6 Juillet 2025
Le Festival de Châteauvallon souffle sa 60e bougie. La preuve par l’exemple que la décentralisation n’est pas un concept vide.
À quoi ça sert, la culture ? C’est la question souvent posée par les comptables de la chose publique qui n’y voient que le petit plaisir de quelques-uns. Pourtant, ils sont nombreux à avoir attesté, au fil du temps, de la nécessité, pour toute société, de créer du lien et d’instaurer le dialogue. Pour souder une communauté, éviter les guerres de factions, faire évoluer les choses dans le sens du bien commun tout en privilégiant la qualité de l'échange, un rôle que joue l'art. C’est à ce besoin qu’ont répondu les fondateurs, Henri Komatis et Gérard Paquet, en créant ce festival loin de Paris, à portée des habitants de Toulon et de sa région.
La décentralisation au cœur
C’est à 1961 que remonte la décision du gouvernement français d’ouvrir vingt maisons de la culture, réparties sur l’ensemble du territoire. Il aura fallu vingt-cinq ans pour que le projet de mettre l’art à la portée du peuple, envisagé par le Front populaire, trouve un début de concrétisation avec les maisons de la culture, qui ouvriront en rafale dans les années 1960, avec plus de parcimonie ensuite. Avec l’idée que tout ne se décide pas que de Paris et que l’art doit être partagé.
C’est dans les mêmes années qu’émerge le projet de créer, sur la colline de Châteauvallon, à Ollioules, sur un site naturel exceptionnel, une manifestation qui prouve de manière éclatante que des initiatives originales et de grande qualité peuvent voir le jour ailleurs que dans la capitale. Leur spécificité ? – Le projet n’émane pas de l’État mais de la volonté de quelques-uns, avant de devenir l’affaire de la collectivité tout entière.
Ses promoteurs ont l’art au cœur. Henri Komatis, né Mathis – dont le pseudonyme a été choisi pour éviter toute confusion phonétique avec Henri Matisse –, architecte et peintre abstrait spécialisé dans les compositions murales, est né à Toulon. Quant à Gérard Paquet, homme de théâtre, il est originaire de La Seyne-sur-Mer, qui fait face à Toulon, à l’autre extrémité de la rade.
Naissance d’un projet
Avec leurs épouses, Simone Komatis et Colette Paquet, ils font le projet de transformer une ancienne bastide du XVIIe siècle, elle-même implantée sur le site d’un fortin du XIe siècle, située sur la commune d’Ollioules, près de Toulon, en un lieu de création et de spectacles. Henri Komatis en dessine les plans, les habitants et les amis mettent la main à la pâte ou apportent des aides de toute sorte, les collectivités locales s’associent au projet et, en 1966, un amphithéâtre en plein air, en référence au modèle grec, comme pour établir la filiation, est créé. Suivent un théâtre couvert, des studios de travail et des hébergements. Le double symbole d’une implication locale et d’une foi qui fait bouger les montagnes.
Aujourd’hui l’amphithéâtre compte 1 200 places et fait le plein à chaque représentation. Chaque niveau du site a sa fonction. La « rue principale » mène à la bastide originelle et à l’amphithéâtre. Au-dessus se trouve le théâtre couvert. Plus haut encore, la Maison ronde, lieu de création et de résidence pour les artistes et les studios dévolus aux répétitions et à des représentations plus intimistes. Une conception qui unit le faire et le montrer, où création et diffusion marchent d’un même pas.
Entre sa création et aujourd’hui, le Festival se sera développé dans différentes directions. En 1969 est créé le premier festival de jazz, avec des géants du jazz que l’histoire a retenus : Jimmy Smith, Gerry Mulligan, Stan Getz, Dizzy Gillespie, Keith Jarrett, Charlie Mingus, Carla Bley, Art Blakey – un rêve de programmation devenu réalité… Châteauvallon accueillera John Baez et Paul McCartney and the Wings et, en 1980, le Festival de danse est créé. Châteauvallon devient le Théâtre National de la Danse et de l’Image (TNDI), un ancrage fondamental du Festival encore aujourd’hui, et associe la science à l’art en accueillant historiens, philosophes, linguistes, psychiatres et physiciens dans le cadre de rencontres pluridisciplinaires. Cet axe est renforcé en 1990 par la participation de Boris Cyrulnik, ancien neuropsychiatre, psychanalyste, qui anime un groupe de recherches en éthologie clinique au Centre hospitalier de Toulon-La Seyne-sur-Mer.
Renaître de la volonté commune
En 1995, le Front National s’empare de la mairie de Toulon. Le bras de fer du Festival avec la municipalité, qui s’ensuit, provoque le licenciement de Gérard Paquet et la dissolution de l’association gestionnaire de Châteauvallon. La mobilisation des artistes, en France et à l’international, ainsi que celle de l’État notamment, permettent la création d’une nouvelle association : le Centre National de Création et de Diffusion Culturelle (CNCDC). En 2015, le CNCDC obtient le label de Scène nationale, en association avec le Théâtre Toulon-Liberté, alors dirigé par Charles Berling. Celui-ci prendra la direction des deux institutions en 2020. En 2025, c’est sur cette « Utopie réalisée » qu’il s’appuiera pour regarder l’avenir.
Se pencher sur son passé pour regarder l’avenir
Pour Charles Berling, l’expérimentation passée, célébrée pour cet anniversaire, ne revient pas à porter un regard en arrière, teinté de nostalgie, mais à y puiser de quoi continuer d'aller de l’avant. Faire que les jeunes – et avec eux les enfants – disent : « Nous sommes ce que vous fûtes. Nous serons ce que vous êtes. »
Charles Berling fait référence à la place que Châteauvallon a occupée dans sa vie d’enfant et d’adolescent. « Moi, quand j’avais 12-13 ans, ça m’a sauvé la vie. » L’art et la culture sont une nécessité pour lui. L’un de ses adversaires, aujourd’hui, ce sont les GAFAM, les géants du web regroupés sous cet acronyme. Et pour lutter contre la léthargie qui guette, il faut, encore et toujours, « créer du lien », persister dans cette idée d’une « cité des sciences, des arts et de la culture pour les soixante ans à venir. » Dans un monde en « déconstruction », affirme-t-il, il faut « provoquer l’avenir » et ceci ne peut se faire sans « avoir confiance et respecter ». « Faire que les citoyens s’en mêlent » est son credo.
Des actions concrètes
L’action culturelle, c’est la partie immergée de l’iceberg, celle qu’on ne voit pas et dont l’absence de visibilité ouvre la porte au questionnement sur l’aide à la culture. C’est ce travail au petit point, en micro actions qui, assemblées produiront de grands effets, dont celle d’une responsabilité citoyenne de chaque individu, qui importe. Ce sont des actions menées sur le long terme : les ateliers théâtre que Charles Berling poursuit depuis plusieurs années les mercredis et durant une partie des vacances scolaires. Le projet des « 60 ans », c’est proposer aux enfants d’explorer les recoins mystérieux de Châteauvallon pour en faire une fresque qui sera présentée aux 1 200 spectateurs de l’amphithéâtre.
C’est le projet mis en place à l’école du Château à Ollioules par la plasticienne Pauline Léonet et le musicien Vincent Hours, des ateliers qui permettent aux élèves d’explorer des formes artistiques alliant arts visuels et musique. Ce sont les carrés de plantation du jardin partagé de la Florane, un quartier défavorisé de Toulon, où les enfants de l’école de la Florane et les habitantes et habitants du quartier s’initient, avec l’équipe du Jardin remarquable de Baudouvin, à la faune et à la flore provençales, à la biodiversité et même au fonctionnement du circuit de l’eau dans une optique écologique. Un prolongement du projet, avec les Jardins de Gally, porte sur la végétalisation du site du Festival.
C’est aussi la rencontre de l’artisanat d’art avec l’art en proposant aux créatrices et créateurs artisans de célébrer l’héritage de la Scène nationale en utilisant leurs propres moyens d’expression, en inventant « leur » version.
Au travers de ces manifestations, ce qui importe, c’est la mise en mouvement, le rassemblement autour d’un projet qui unit, qui fait communauté mais nécessite aussi, pour réussir, un importanttravail de coordination, de communication, de contact, confié aux équipes culturelles.
Une ouverture à la musique contemporaine et à ses enjeux
Outre ce qui concerne le théâtre et la danse, un véritable travail d’apprivoisement de la musique contemporaine a été entrepris auprès du public par le compositeur Loïc Guénin, artiste associé de la Scène nationale. Pour faire que la musique contemporaine, qui est un art de notre temps, soit comprise. Prolongeant des contacts qu’il établit toute l’année avec les forces vives de la région, il propose pour le Festival une promenade matutinale sur le site du Festival. Dès cinq heures du matin, au lever du soleil, les spectateurs sont conviés à prendre conscience de la nuit qui s’éloigne et du recommencement du jour, à s’imprégner de la nature environnante, des senteurs de la pinède dans un parcours poétique et sensoriel tout en découvrant une musique qui efface les frontières entre musique électroacoustique et musique contemporaine. A Web, a Limb, a Wire, animé par une musicienne, une plasticienne, une comédienne, une danseuse et une poétesse constituera l’une de ses interventions.
L’autre est un concert et une balade musicale inspirés de Walden, de Henry David Thoreau, l’homme qui s’était isolé dans une cabane au milieu des bois pour élaborer une réflexion à l’écart de la société qui est encore aujourd’hui une référence de tous les penseurs de l’écologie. En toutes saisons et à toute heure du jour et de la nuit, Loïc Guénin s’est promené sur le site. Il en a tiré des partitions graphiques mêlant musique, mots et sons, qui seront présentés au fil de la promenade par le compositeur (aux claviers analogiques) et son ensemble de musiciennes et musiciens (laptop, patch max, flûte, clarinette, alto, violoncelle et percussion).
Une programmation éclectique
Les créations proposées par Loïc Guénin ne sont pas un cas isolé de prise en compte du lieu. Les interventions du Ballet Preljocaj et du G.U.I.D. (Groupe Urbain d’Intervention Dansée) investissent la pinède en reprenant plusieurs tableaux des œuvres du chorégraphe – un habitué du Festival – spécialement adaptés pour Châteauvallon, en même temps que l’Espace vide, créé par Caillou Michael Varlet et Nacim Battou, propose un mapping vidéo sur la mémoire musicale, culturelle, chorégraphique du Festival. Deux œuvres d’Angelin Preljocaj seront également présentées dans l’amphithéâtre : une nouvelle création, Licht, et une réflexion dansée à partir de la composition de Karlheinz Stockhausen, Helikopter.
« Je ne suis pas un bourgeois », se revendique Charles Berling lorsqu’on lui parle de programmation, citant Nana Mouskouri qui, par le passé, fit polémique. Un exemple pour dire qu’il n’a pas d’a priori en matière de choix, sinon la qualité des spectacles et la prise en compte de la diversité des publics.
La programmation 2025 reflète cette volonté, en proposant des invitations à danser aptes à rassembler la jeunesse, en associant dans la programmation des spectacles qui se confrontent nécessairement et peuvent amener le public à prendre en considération plus que leurs centres d'intérêt. Faire venir la Comédie-Française avec les Serge, un spectacle musical sur Serge Gainsbourg – petit contournement, soit dit en passant, du « théâtre » – et les confronter au dynamisme contestataire de (La)Horde du Ballet de Marseille ; imaginer une Nuit du hip-hop ou une Block Party autour d’un pique-nique festif en les mettant en parallèle avec les créations de Loïc Guénin ou celles d’Angelin Preljocaj reflètent cette volonté d’un certain éclectisme, orienté vers différents publics, allié à une exigence de faire découvrir ce que l’art de notre temps a à nous apporter. Ainsi convient-il d’entendre cet anniversaire et le tremplin vers le futur qu’il propose...
Festival d’été de Châteauvallon – 795, Chemin de Châteauvallon – CS 10118 – 83 192 Ollioules
www.chateauvallon-liberte.fr ou reservations@chateauvallon-liberte.fr
Production Châteauvallon-Liberté, Scène nationale
Grand Hôtel, Place de la Liberté – 83000 Toulon
Programmation des spectacles
1er juillet 2025 Les Serge (Gainsbourg Point Barre) - Stéphane Varupenne & Sébastien Pouderoux avec la troupe de la Comédie-Française
4 juillet 2025 - G.U.I.D. & L'Espace vide + Rencontre avec Christian Tamet, Ballet Preljocaj — Caillou Michael Varlet & Nacim Battou
6 juillet 2025 - Les Dormeuses + A WEB, A LIMB, A WIRE, Compagnie La Divine Usine — Loïc Guénin
10 – 11 juillet 2025 – Roommates, (LA)HORDE — Ballet national de Marseille
15 juillet 2025 - WALDEN [châteauvallon], Loïc Guénin
18 juillet 2025 - La nuit du hip-hop, Kader Attou
24 – 26 juillet 2025 - Helikopter & Licht, Angelin Preljocaj
29 juillet 2025 - Soirée de clôture, Jann Gallois