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Arts-chipels.fr

Fragments de la forêt aujourd’hui disparue. Du théâtre grand format au Conservatoire de Paris.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Simon Falguières conjugue styles et formes dramatiques dans une fresque au long cours, écrite pour 33 comédiens et comédiennes, à leur sortie du Conservatoire Supérieur d’Art Dramatique de Paris. De fragment en fragment se dessine un théâtre où l’intime rejoint l’épique. Emportés par une mise en scène enlevée et rigoureuse, les élèves donnent vie à des personnages venus de l’imagination fertile de l’auteur. Dans sa forêt de conte de fées, les monstres et les figures d’autrefois croisent les humains d’aujourd’hui.

Le théâtre à travers les âges

Dans une chambre d’hôpital, le Poète écrit pour conjurer la mort qui le guette. Il livre des fragments d’une œuvre en cours qu’il espère finir à temps : des histoires d’autrefois s’entrelacent avec notes de travail et bribes de journal intime, tandis que, au quotidien, soignants, amis, père, mère et sœur le visitent. Autant de personnages qui naissent dans cette salle, tapissée de pages volantes de manuscrits, lieu unique d’un théâtre multiforme. Confiné entre son lit et sa table de travail, l’écrivain démiurge accompagne discrètement ses créatures, attentif à leurs faits et gestes.

Les scènes du présent racontent, au jour le jour, la dernière semaine du Poète mourant, et servent de récit-cadre aux morceaux d’une pièce de théâtre, livrés pêle-mêle et dont les titres s’inscrivent sur le mur du fond. Un lai du Moyen Âge, raconté par une aède, constitue le premier fragment : la geste de Guingamore, le chevalier errant qui abattit le sanglier blanc et rentra au château paternel couvert de gloire, mais fut renié par sa mère. Dans la veine du conte, on voit un roi enceint d’un monstre sanguinaire, en 1307, une bête terrassée par une sorcière après avoir dévoré bien des preux.

Un enfant sauvage difficile à dresser va se venger du roi, son père adoptif, un être cruel et maltraitant, en 1554. En 1643, c’est une vieille aveugle, abandonnée dans les bois par son fils, qui console un jeune homme, assassin malgré lui. On aura auparavant assisté à une scène de famille bourgeoise, en 1880, qui met en présence un frère et une sœur, elle femme de lettres incomprise, lui rongé par la jalousie, tous deux sous la coupe d’une mère autoritaire. Le sixième épisode, Je t’aime (1788), est une version des Liaisons dangereuses façon je t’aime moi non plus... Quant à la dernière séquence, elle semble inachevée car la mort aura eu raison du Poète.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

La forêt de tous les possibles

En prologue, les premiers vers du Chant I de la Divine Comédie font écho à l’entre-deux où se trouve le Poète de Simon Falguières. À l’instar de celui de Dante, il est « au milieu de sa vie » (il dit avoir trente-six ans). Perdu dans une forêt obscure, aux portes de l’Enfer, le héros dantesque rencontre Virgile. Lequel lui conseille « d'aller par un autre chemin ». D’où les bifurcations que prend l’auteur de Fragments de la forêt aujourd’hui disparue, ou plutôt son alter ego fictionnel, zigzagant d’un siècle à l’autre.

Si la forêt a aujourd’hui disparu, elle demeure, dans l’imagination de l’auteur, habitée en tout temps par un(e) enfant et un monstre (tantôt sanguinaire, tantôt protecteur) qui traversent tous les épisodes. Il y a bien sûr la sorcière, un bûcheron et sa bûcheronne, la vieille et l’assassin, le chevalier... tous sortis d’un imaginaire luxuriant imprégné de références littéraires, des poètes de l’Antiquité aux dramaturges classiques, des fabliaux du Moyen Âge à Tchekhov.

À la lisière de cette forêt des contes et des mythes, Simon Falguières entremêle les histoires du passé et le présent de son Poète aux prises avec son œuvre et sa disparition prochaine. Ce personnage qui lui ressemble comme un frère est épisodiquement soustrait à son monde imaginaire par des visiteurs avec lesquels se rejouent des situations intimes en miroir avec ses fantasmagories théâtrales. Il appartient aux spectateurs de le suivre dans les entrelacs de ces différents modes narratifs, qui constituent un riche matériau, écrit sur mesure pour les jeunes comédiens.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Des acteurs tout terrain

Pour leur spectacle de sortie, les trente-trois élèves du CNSAD ont de quoi exercer leur talent. Du collectif que constituent les soignants de l’hôpital émergent des personnages vite campés, costumes et maquillages à l’appui. Dans le blanc clinique du décor et des blouses, le noir et le rouge des accessoires se détachent sous les éclairages sophistiqués de Léandre Gans, cofondateur avec le metteur en scène de la compagnie le K.

Au ton détaché des notes de travail et du journal intime succèdent les scènes de genre, de l’épique chanson de geste au drame bourgeois façon XIXe siècle En passant par la farce : le Capitaine Crochet est flanqué de mouches clownesques ; le médecin accoucheur du roi enceint emprunte au Docteur Diafoirus du Malade imaginaire .... Des saltimbanques itinérants, un père fantôme ou une mère haïe et suicidaire, clin d’œil à Hamlet, côtoient des monstres dignes des travaux d’Hercule. Simon Falguières excelle à ces écritures « à la manière de » tout en les fondant dans son propre univers poétique, lexical et syntaxique.

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Phot. © Christophe Raynaud de Lage

Des lendemains désenchantés

Dans la même veine que le monumental Nid de cendres – treize heures en sept parties – qui tentait, non sans une certaine naïveté, de réconcilier réel et l’imaginaire pour échapper à la noirceur du monde, cette nouvelle épopée – sept heures en cinq parties – paraît plus sombre. Elle sonne comme un adieu à l’enfance, dans les scènes familiales récurrentes et la course contre la montre du Poète avec la mort. La Faucheuse est partout : elle rôde dans la forêt autour de la tombe d’un enfant inconnu, ressuscité sous différents traits d’une époque à l’autre ; elle hante les personnages d’aujourd’hui et d’hier. Mais elle est tenue à distance par une écriture bien vivante, servie par une mise en scène dynamique et joyeuse qui met en valeur cette troupe. On peut simplement regretter que ce passionnant spectacle ne soit joué que quatre fois. On en redemande !

Fragments de la forêt aujourd’hui disparue, texte et mise en scène de Simon Falguières
S Assistants à la mise en scène Lolita de Villers et Paul Meynieux S Régie générale Saïd Nelhamra S Création et régie lumière Léandre Gans S Création et régie costumes Valérie Montagu et Lucie Duranteau S Création et régie son Liza Lamy S Régie vidéo Frédéric Pickering S Construction décor Frank Echantillon S Direction technique Sébastien de Jésus et Valentin Pinoteau S Avec les élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique S Production Martin Kergoulay et Justine Leguy Genest S Durée du spectacle environ 7 heures.
Du 27 juin au 1er juillet 2025 au Théâtre du Conservatoire 2 rue du Conservatoire, Paris 9e

On pourra retrouver Simon Falguières et la compagnie le K. au Festival du Moulin de l’Hydre les 5 et 6 septembre, à Saint-Pierre-d'Entremont (61)
5 septembre • 19h Bien Parado, collectif La Méandre • 21h30 Koudour, Hatice Özer concert Hatice Özer
6 septembre • 14h Prélude de Pan, Clara Hédouin • 17h L’orchestre du nouveau monde • 18h30 Vivre, Louis de Villers • 21h Le Journal d’un autre, Simon Falguières • 22h30 Deadwood – concert
Prix libre pour l'entrée - réservation lhydre.com

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