Overblog Tous les blogs Top blogs Mode, Art & Design Tous les blogs Mode, Art & Design
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Arts-chipels.fr

Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten. La Pétroleuse, le Bricoleur et le Chef d’orchestre.

Niki de Saint Phalle, Photo de Hon, repeinte. Entrée de l’exposition au Moderna Museet en 1966. Peinture sur impression offset, 300 x 293 cm. Niki Charitable Foundation, Santee, Californie © 2025 Niki Charitable Foundation / Adagp, Paris. Phot. © Niki Charitable Foundation. DR / Katrin Baumann © Hans Hammarsköld Heritage

Niki de Saint Phalle, Photo de Hon, repeinte. Entrée de l’exposition au Moderna Museet en 1966. Peinture sur impression offset, 300 x 293 cm. Niki Charitable Foundation, Santee, Californie © 2025 Niki Charitable Foundation / Adagp, Paris. Phot. © Niki Charitable Foundation. DR / Katrin Baumann © Hans Hammarsköld Heritage

Reconsidérer l’art, sa fonction et son rapport au public est une antienne souvent entendue à l’époque contemporaine. Mais ce retour sur un trio pour qui la défense de l’art contemporain fut d’abord une démarche iconoclaste et contestataire mérite qu’on s’y arrête.

Pontus Hulten est, en 1966, le directeur du Moderna Museet de Stockholm quand il propose à Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, ainsi qu’à l’artiste suédois, Per Olof Ultveld, de réaliser un projet d’envergure pour le Musée. Le Moderna Museet est encore tout jeune. Créé, suite au très bon accueil réservé aux collections dont Hulten avait la charge au Nationalmuseum, et placé sous la direction de ce dernier, il est installé dans des locaux indépendants. Le grand projet de Pontus Hulten, ce sera Hon – En Katedral (« Elle – Une cathédrale »), une gigantesque Nana dans l’esprit de celles commencées par Niki de Saint Phalle l’année précédente et le premier aboutissement monumental d’une relation entamée par le conservateur et historien de l’art au milieu des années 1950 avec Jean Tinguely et, à l’aube des années 1960, instaurée avec Niki de Saint Phalle. Une collaboration et une amitié qui se prolongeront jusqu’à la mort des protagonistes et que traverse, en particulier, la création du Centre Pompidou et le rôle fondamental qu’ils y ont joué.

Chronologique, l’exposition suit le parcours de cette collaboration aussi emblématique que fidèle qui lia ces trois personnages. Largement appuyée sur les collections du Centre Pompidou, mais aussi sur des prêts majeurs d’institutions nationales et internationales, elle ajoute aux sculptures, dessins et affiches des documents photographiques d’œuvres monumentales aujourd’hui détruites, des films d’archives rares ainsi que des lettres-dessins riches d’information sur les échanges et la collaboration instaurée par les deux artistes avec celui qui ne dédaigna pas de mettre concrètement la main à la pâte pour réaliser leurs installations.

Jean Tinguely, Sculpture méta-mécanique automobile, 1954. Fer, tôle peinte, remontoir, 134 x 79 x56 cm. Centre Pompidou, musée d’art moderne, Paris © Adagp 2025. Vue de l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, Paris - scénographie Laurence Fontain © DR

Jean Tinguely, Sculpture méta-mécanique automobile, 1954. Fer, tôle peinte, remontoir, 134 x 79 x56 cm. Centre Pompidou, musée d’art moderne, Paris © Adagp 2025. Vue de l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, Paris - scénographie Laurence Fontain © DR

Un parcours chronologique

Une dizaine de salles permettent, dans l’exposition, de poser des jalons qui suivent à la fois l’évolution des deux artistes et les grandes étapes de leur collaboration avec Pontus Hulten.

Le parcours commence avec la rencontre de Pontus Hulten et de Jean Tinguely en 1954, à laquelle s’ajoute la formation du couple Tinguely-Saint Phalle et les premières relations d’Hulten avec la jeune artiste. Il se poursuit avec une évocation de la carrière et de la pensée de Pontus Hulten : au Moderna Museet, où il crée l’exposition Notre musée tel qu’il devrait être et définit sa démarche d’enrichissement des collections, qui concerne aussi les deux artistes, puis au Centre Pompidou et au Museum Tinguely de Bâle, qu’il contribue chaque fois activement à créer avant de les diriger.

L’exposition aborde ensuite les manifestations organisées par et/ou avec Pontus Hulten : le Mouvement dans l’art, en 1961, à laquelle participent Jean Tinguely, mais aussi Daniel Spoerri et l’ingénieur Billy Klüver ; Elle – Une cathédrale, à Stockholm, en 1966, où l’entrée du public se fait par le vagin d’une gigantesque Nana enceinte et où l’on peut découvrir de vraies sculptures, mais aussi une galerie de fausses peintures de maîtres modernes, une petite salle de cinéma, un distributeur de boissons, un toboggan, un bassin de poissons rouges, une cabine téléphonique et un « banc des amoureux ».

Suivent les réalisations françaises : le Cyclop, une gigantesque installation de ferraille et de matériaux de récupération, à Milly-la-Forêt, pour laquelle Tinguely sollicite la participation de ses amis artistes – entamée en 1969, l’œuvre ne sera achevée qu’après la mort de Tinguely ; le Crocrodrome de Zig et Puce, réalisé pour l’ouverture, en 1977, du Centre Pompidou, un monstre d’une trentaine de mètres de longueur dont la mâchoire est imaginée par Saint Phalle, les intestins créés par Luginbühl et le dos par Tinguely ; enfin, les expositions Tinguely (1988-1989) et Niki de Saint Phalle (1980) au Centre Pompidou. L’exposition se conclut sur les échanges épistolaires avec Pontus Hulten qui orientèrent les décisions prises par Niki de Saint Phalle à la mort de Tinguely concernant l’œuvre de celui-ci, ou portent sur le questionnement de l’artiste par rapport à la réalisation de son Jardin des tarots en Toscane.

Niki de Saint Phalle, Sans titre, 1980. Polyester peint,métal et fil de nylon. Moderna Museet, Stockholm. Donation de Pontus Hulten, 2005, Vue de l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, Paris - scénographie Laurence Fontaine © Didier Plowy pour le GrandPalaisRmn, 2025 © Adagp, 2025

Niki de Saint Phalle, Sans titre, 1980. Polyester peint,métal et fil de nylon. Moderna Museet, Stockholm. Donation de Pontus Hulten, 2005, Vue de l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten, Paris - scénographie Laurence Fontaine © Didier Plowy pour le GrandPalaisRmn, 2025 © Adagp, 2025

L’association exemplaire de deux artistes

L’exposition fait ressortir la communauté de vues entre Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely. Si leurs styles sont très dissemblables, des points communs les rassemblent. Tous deux revendiquent l’utilisation de matériaux triviaux, de rebut, d’objets de peu de valeur ou laissés pour compte du quotidien, qui se trouvent magnifiés par l’usage qu’en fait l’art, comme pour signifier que le quotidien peut être art, en même temps que leur usage détourné et leur profusion ironique dénoncent une société du déchet et le caractère dérisoire, banal, vulgaire de ces produits de consommation.

Leur collaboration artistique est tout aussi exemplaire et nombre de sculptures témoignent de l’imbrication de leurs travaux. La Fontaine Stravinsky, créée en 1983 face à l’Ircam sur une proposition de Pontus Hulten, en est un des exemples. L’artiste dont Saint Phalle dira qu’il est « mon copain de travail, mon amour, mais aussi mon rival » se double d’un bricoleur de génie, capable d’imaginer les structures en mouvement les plus folles que tous deux, avec la collaboration d’autres artistes, empliront de leurs contenus respectifs, sans se porter mutuellement atteinte.

Dans ces œuvres collectives, à chacun sa personnalité et son type d’intervention. Doté de l’« œil d’un homme du Moyen Âge », Tinguely pense ossature de ces projets colossaux, il agrandit, sans le secours d’un architecte, une petite maquette à des dimensions imposantes, et donne corps à l’imagination baroque et colorée de sa partenaire qui elle, de son côté, travaille la résine.

Si tous deux, en 1960, alors respectivement en couple, Tinguely avec l’artiste Eva Aeppli et Niki de Saint Phalle avec l’écrivain Harry Matthews, se rencontrent impasse Ronsin où se trouvent leurs ateliers et entament une aventure amoureuse commune, ils ne sont plus vraiment un couple lorsqu’ils se marient dix ans après, en 1971 et scellent alors, par leur union, la persistance de leur communauté d’esprit et leur certitude de rester chacun le garant de l’œuvre de l’autre après sa disparition.

Jean Tinguely, L’Enfer, un petit début, 1984. Métal, objets et matériaux divers, moteurs électriques. 370 x 920 x 700 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Scénographie Laurence Fontaine © Hervé Véronèse © Centre Pompidou, 2025 © Adagp, Paris, 2025

Jean Tinguely, L’Enfer, un petit début, 1984. Métal, objets et matériaux divers, moteurs électriques. 370 x 920 x 700 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Scénographie Laurence Fontaine © Hervé Véronèse © Centre Pompidou, 2025 © Adagp, Paris, 2025

Au-delà de la collaboration, un compagnonnage artistique au long cours.

Pontus Hulten trouve en eux un reflet de ses propres préoccupations artistiques : une volonté contestataire revendiquée, qui prend des dimensions iconoclastes et libertaires. Non seulement Tinguely et Saint Phalle s’attaquent, dans le droit fil de dada, à une certaine manière d’être de l’art et ils dynamitent, par leurs créations, l’ordre social établi, mais ils remettent en cause les catégories de l’art, créant un art de la confrontation et en mouvement dans lequel le spectateur joue un autre rôle que celui de regardeur passif.

Tinguely, grand admirateur de Duchamp, invente, dès 1954, une série de sculptures animées, les Méta Matics, originellement nommées Méta-mécaniques, qui dénoncent la structure d’une société industrielle où la machine ne libère pas l’homme mais l’aliène. Les machines de l’artiste, elles, refusent le système. Elles ne produisent rien, ne servent à rien. Agencements d’engrenages, de tiges, de câbles, de roues de bicyclette, de poulies, de contrepoids, d’éléments mis en branle et animés par le mouvement instauré par des moteurs de manière aléatoire, elles sont la manifestation revendiquée du non-sens.

Dès les années 1960, Niki de Saint Phalle, de son côté, crée des performances qui mettent à mal l’idée d’un art entièrement maîtrisé par l’artiste. Dans sa série des Tirs, elle prépare soigneusement la matière, verticale, de ses compositions, parsemées d’objets divers et le plus souvent recouvertes d’une couche de peinture blanche, mais elle laisse au hasard, provoqué, la faculté de les colorer. Elle dispose le long du tableau des poches de peinture qu’elle perce aléatoirement à la carabine pour « faire saigner la peinture ». Les couleurs explosent sous l’impact et se répandent en coulures. Non seulement elle s’attaque à une certaine sacralisation de l’art, mais elle dénonce, en tant que femme, l’image de virilité que comporte l’association carabine-tir-chasseur. Quant à Elle – Une cathédrale, où les visiteurs pénètrent dans le corps de la femme par le vagin, cette Origine du monde si réalistement peinte par Courbet, elle est, dans son gigantisme, la manifestation éclatante d’une revendication féministe – comme l’est la série monumentale des Nanas.

On pourrait ajouter que, dans l’exposition, le divertissement est de la partie car les machines présentées sont aussi, à intervalles réguliers, en mouvement. Il ne suffit que d’un peu de patience pour que la cacophonie des bruits passe d’une salle à l’autre, d’une sculpture à l’autre, pour que des rotations entraînent cercles et sphères dans un mouvement sans objet autre que lui-même, ou pour que naisse une impression de déséquilibre, d’incertitude et de hasard. Dans ce pays du temps passé où les GAFAM n’existaient pas encore, on se prend à rêver de ce monde où contester le sens avait encore un sens…

Vue de l’exposition. Au premier plan, Niki de Saint Phalle, Black Rosy ou My Heart Belongs to Rosy, 1985. Tissu, fils de laine et peinture sur grillage, 225 x 150 x 85 cm. Niki Charitable Foundation, Santee, Californie © 2025 Niki Charitable Foundation / Adagp, Paris

Vue de l’exposition. Au premier plan, Niki de Saint Phalle, Black Rosy ou My Heart Belongs to Rosy, 1985. Tissu, fils de laine et peinture sur grillage, 225 x 150 x 85 cm. Niki Charitable Foundation, Santee, Californie © 2025 Niki Charitable Foundation / Adagp, Paris

Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten
S Exposition coproduite par le Centre Pompidou et le GrandPalaisRmn avec l’aimable participation de la Niki Charitable Art Foundation S Commissaire Conservatrice en chef des collections contemporaines Musée national d’art moderne – Centre Pompidou Sophie Duplaix S Commissaire associée Attachée de conservation Musée national d’art moderne – Centre Pompidou Rita Cusimano

Du 26 juin 2025 au 4 janvier 2026, mar.-dim. 10h-19h30. Nocturne ven. jusqu’à 22h
Grand Palais, Gal. 3 & 4 - Entrée square Jean Perrin, 17 avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris
Rés. : https://www.grandpalais.fr/fr/programme/niki-de-saint-phalle-jean-tinguely-pontus-hulten

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article