29 Mai 2025
Parler bouche, mais goûter aussi. Tel est le propos de ce spectacle-repas dont l’ambition fait se rencontrer plaisir des sens et appétence culturelle.
Ce spectacle-performance pourrait avoir lieu en plein air ou en salle, salle des fêtes ou de banque, ou même sur un plateau de théâtre réquisitionné pour l’occasion. Il pourrait concerner le déjeuner ou le dîner. La seule contrainte est le nombre de convives-spectateurs : quarante personnes qui s’installent autour d’une table en forme de lèvres de bois blanc pour tester des saveurs en s’imprégnant de culture à l’écoute d’une dizaine de textes soigneusement choisis pour leur résonance avec le thème ; ou, au choix, pour se cultiver sous forme spectaculaire en découvrant l’art d’apprécier les différents bouquets olfactifs et gustatifs qui nous sont proposés tout au long du spectacle. Déjà le nombre limité de convives ajoute une petite note d’épices à l’expérience. Nous sommes un petit nombre d’élus…
De l’entrée au dessert
Sur les tables, verres, mugs et timbales ont été disposés, ainsi qu’un flacon miniature empli d’un liquide transparent. Sur les assiettes en forme de lèvres, en terre modelée par les membres de la troupe, fabriquées par une céramiste bretonne dans la région de résidence de la compagnie, basée à Brest, trois fines tuiles translucides de couleurs différentes parsemées d’épices et de graines sont visibles. Selon un cérémonial très précis fourni par la cuisinière et le cuisinier en toque qui nous reçoivent, les spectateurs-convives seront invités à goûter tour à tour mets et boissons.
On fera à l’occasion la connaissance des produits locaux et de leurs producteurs – le cidre, par exemple –, on comparera, au fil de la dégustation, des huiles, des sels et des sucres, mais surtout on prendra le temps de reconnaître les goûts. On respirera ainsi, avant de les consommer, des noisettes torréfiées, on appréciera le mélange de la betterave, de la tomate séchée et du chèvre et l’on découvrira le parfum insolite de la cardamome ou la saveur piquante du piment. Les associations d’arômes et de saveurs seront au rendez-vous et le chocolat rencontrera l’huile de noisette et les palets à la châtaigne. Quant aux boissons, elles pétilleront dans la bouche dans une respiration de fleur, brûleront ailleurs le gosier, et se consommeront chaudes et froides pour faire entendre d’autres résonances buccales.
Le parcours gustatif mélangera aussi produits d’ici et d’ailleurs comme une invitation au voyage orchestrée par l’artiste culinaire Miske Alhaouthou, d’origine comorienne et percheronne, imprégnée de la cuisine familiale qu’elle a emportée avec elle dans la préparation des catering pour des artistes tels que Catherine Ringer, Camille, Gaël Faye ou Yaël Naïm, en concert ou en festival, et où elle se plaît à métisser traditions et modernité.
Un double plaisir des sens
Ce n’est pas par hasard que les personnages portent des noms dont on pourrait tirer maintes définitions : Mme M nous fait aimer les plats, ou M. R nous les fait respirer tandis que le plaisir des sens s’attache aussi bien à nos sensations gustatives ou olfactives mais aussi visuelles, qu’au sens des textes qui nous seront proposés tout au long du repas et qui sollicitent la vue et l’audition en même temps que la compréhension et transmettent une forme de culture des sens.
Les auteurs choisis pour ces « tapas » textuelles viennent d’horizons divers. Ils sont psychanalystes et contemporains comme Claude Olivienstein dont on connaissait le travail sur les addictions, auteur d’un Écrit sur la bouche, et Gisèle Harrus-Révidi, autrice d’une Psychanalyse de la gourmandise, mais aussi écrivain burlesque du XVIIe siècle à l’humour un peu noir comme Paul Scarron. Ils peuvent remettre en cause une certaine psychanalyse comme le psychiatre Nicolas Dissez qui s’intéresse à « L’os dans la gueule du crocodile ou le phallus », ou autrice de best-sellers comme la romancière Mélissa Da Costa, ou encore féministe comme l’écrivaine et universitaire Xavière Gauthier. Et leurs propos présentent un large éventail de genres : en plus de ceux précédemment évoqués, la poésie avec Christophe Tarkos, le théâtre avec Jean-Louis Jacopin ou l’ethnologie avec un texte d’Hélène Clastres sur le cannibalisme tupinamba en Amazonie pointent le museau.
Des bouches et autour d’elles
On glosera sur bouches, boucher et déboucher, sur les découpeurs de viande et les bouche-trou et on s’intéressera aussi bien aux métaphores relatives à la bouche qui parsèment la langue française – avoir l’eau à la bouche, mettre les bouchées doubles, faire la fine bouche, à bouche que veux-tu, tourner sept fois sa langue dans sa bouche – qu’au sourire de la Joconde.
On interrogera la relation entre manger et dire, on se penchera sur cette curieuse histoire d’amour qui utilise des termes anthropophagiques pour parler de la nourriture – dévorer, bouffer qui, là aussi, jouent sur plusieurs tableaux – en faisant un détour par les cigares de George Sand ou la machine de guerre que représente la parole. Désir, plaisir, remords, gourmet et goinfre, respiration et souffle seront tour à tour sollicités tandis qu’on évoquera les mensonges de l’histoire véhiculés par les extrémismes qui avalent des vérités pour les passer sous silence.
Un spectacle qui en amène d’autres
Par les bouches est à la fois un spectacle qui se suffit à lui-même et se construit à travers une trilogie culinaire dans laquelle apparaissent deux autres moments de la « communication » culinaire : le Petit Déjeuner et l’apéro avec Apérotomanie. La compagnie Dérézo propose donc ce repas de manière isolée ou associée à l’un ou l’autre ou aux deux autres spectacles.
Au-delà de son thème, Par les bouches témoigne de la démarche initiée au début des années 2000 par Charlie Windelschmidt, liée aux arts de la rue et au désir de toucher un public pour qui le théâtre n’est pas une évidence. Performances urbaines mais aussi spectacles de plateaux ont ainsi emmené recherches et essais d’artiste sur les routes de France mais aussi à l’étranger. Lauréat du programme Villa Médicis hors les murs en 2015 pour ses recherches sur les masques indonésiens, Charlie Windelschmidt n’a pas attendu cette date pour se produire aux États-Unis, à Washington DC, puis les années suivantes en Turquie, en Tunisie, en Colombie, en Indonésie ou en Italie, en particulier au Piccolo Teatro de Milan.
À partir de 2016 il crée des formes culinaires tout terrain (Le Petit Déjeuner, Apérotomanie puis Par les bouches en 2025) et continue d’approfondir sa démarche dont l’espace public est le pivot. Le thème de la nourriture est communément partagé et spectacle culinaire est pour lui l’un des moyens de vaincre les appréhensions des « non-spectateurs » et d’apporter de la « culture » à ceux qui considèrent, à tort, qu’elle n’est pas faite pour eux. Le mélange entre le partage qu’implique la nourriture, l’humour avec lequel les « cuisiniers » mêlent réalités « triviales », jeux sur la langue (dans tous les sens du mot) et textes issus de réflexions de haut vol offre un tremplin à une manière de faire et de vivre la culture autrement. On ne peut que souhaiter à la compagnie brestoise Dérézo bon vent pour la suite…
Par les bouches. Une histoire culinaire de la bouche, du cri primal au dernier souffle
S Mise en scène Charlie Windelschmidt S Interprètes Mathilde Velsch, Robin Le Moigne S Artiste culinaire Miske Alhaouthou S Construction de décor Charlie Windelschmidt et Ronan Rouanet S D’après les textes de Mélissa Da Costa (Tout le bleu du ciel, LP), Nicolas Dissez (« L’os dans la gueule du crocodile ou Le phallus », in les Apologues de Jacques Lacan, PUF), Christine Durif-Bruckert (la Nourriture et nous – Corps imaginaire et normes sociales, Armand Colin), Xavière Gauthier (« Pourquoi Sorcières » in Sorcières, les femmes vivent, éd. Albatros), Gisèle Harrus-Révidi (Psychanalyse de la gourmandise, Payot), Jean-Louis Jacopin (le Rire de résistance, tome 1, ss la dir. de Jean-Michel Ribes, Beaux-Arts éditions), Claude Olivienstein (Écrit sur la bouche, Odile Jacob), Paul Scarron (« Vous faites voir les os » in Recueil de quelques vers burlesques, Classiques Garnier), Christophe Tarkos (« Je gonfle » in le Petit bidon et autres textes, P.O.L.), Hélène Clastres (« Les beaux-frères ennemis. À propos du cannibalisme tupinamaba », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n °6) S Administration Sophie Desmerger S Production Mathilde Pakette S Diffusion Louise Vignault S Diffusion et communication Nina Faidy S Production Compagnie Dérézo S Partenaires L’Atelier à Spectacle – Scène conventionnée Art et Création de l’Agglo du Pays de Dreux (28), Conseil Départemental d’Eure-et-Loir (28), DRAC Centre-Val de Loire, Le Manège – Scène nationale de Maubeuge (59) S Construction des tabourets du spectacle – Réalisée par les élèves de 4e et 3e SEGPA du collège Joséphine Baker, Brest (29) S Fabrication des assiettes – Atelier HyperBol, Daoulas (29) S Fabrication du Cigar Box - Lobo Guitar Box (22) S 2 représentations par cession / 2 x 40 places S Création 28 et 29 mai 2025 au Festival Champs Libres de Vernouillet (28) S Durée de chaque représentation 55 minutes S À partir de 12 ans
TOURNÉE (en cours)
28 & 29 mai 2025 CRÉATION – Festival Champs Libres - à Vert-en-Drouais (28)
Juin 2025 Tournée départementale – Avec le Département d’Eure et-Loir (28) (en cours)
19, 20, 21 septembre 2025 Représentations hors les murs – au Forum Antique de Bavay avec Le Manège, scène nationale de Maubeuge (59)
5 autres spectacles de la compagnie sont ou seront en tournée : Apérotomanie - Rituel théâtralo-apéritif ; Le Petit Déjeuner - Un frichti théâtral pour se réveiller ?; Ce que voient les oiseaux - Procédé théâtral camératique ; LennuT - Promenade culturelle low-tech ; ...Et Les 7 nains ? - Ni civil, ni pénal, un procès en forme de cabaret (création automne 2025)
Le Petit Déjeuner : • 8 juin 2025, Ville de Pézénas (34) • 9 juin 2025, Ville de Mèze (34) • 11 juin 2025, PL Bergot, Brest (29) • 12 juin 2025, Collège Joséphine Baker, Brest (29) • 15 juin 2025, La Ville aux Dames (37) • 18 juin 2025, Maison de Quartier de Bellevue, Brest (29) • 20 juin 2025, Médiathèque de Bellevue, Brest (29) • 29 juin 2025, Communauté de commune du Morbihan - Locminé (56) • juillet et août 2025 (avec Apérotomanie), Eté Métropolitain, Bordeaux Métropole (33) • 4 octobre 2025, Castelnau d’Estrétefonds (31) • 5 octobre 2025, Machecoul (44) • 11 et 12 octobre 2025, Théâtre intercommunal Emile Loubet, Montélimar (26), à confirmer
Apérotomanie : • 28 juin 2025, Ville de Fondettes (37) • 4 juillet 2025, Espace Keraudy, Plougonvelin (29) • juillet et août 2025 (avec Le Petit Déjeuner), Eté Métropolitain, Bordeaux Métropole (33) • 4 juillet 2025, Espace Keraudy, Plougonvelin (29) • 5 septembre 2025, Les Marinades, Brest (29) • 28 juin 2025, Ville de Fondettes (37) • 4 juillet 2025, Espace Keraudy, Plougonvelin (29) • 5 septembre 2025, Les Marinades, Brest (29)
LennuT : • 21 et 22 juin 2025, Ville de Levallois (92) • 21 et 22 juin 2025, Ville de Levallois (92) • 23 août 2025, Landivisiau (29) • 4 octobre 2025, LennuT, Langeux (22) • 18 et 19 octobre 2025, Foire Saint-Simon, Nogent sur-Seine (10)
...Et Les 7 nains ? • 4 au 7 novembre 2025, Le Quartz, scène nationale, Brest (29) • 12 et 13 novembre 2025, Théâtre du Pays de Morlaix (29)