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Arts-chipels.fr

Premières fois. Mon cœur t’en souviens-tu?

Premières fois. Mon cœur t’en souviens-tu?

Entre laboratoire de production, vie sociale et propositions artistiques, les premières fois sont des événements dont on se souvient parce qu'ils ont engagé quelque chose de nouveau. C'est cette voie qu'explore Frédéric Maragnani pour le Festival des Premières fois à la Scène nationale de Blois.

Du 30 janvier au 8 février 2025 s'est déroulée la deuxième édition du Festival Premières fois . L'occasion de se pencher sur les possibles offerts par cette formule, plus ouverte que celle qui ne concerne que les premières créations de jeunes créateurs.

Les premières fois, c'est ce moment unique où apparaît ce quelque chose de nouveau dans une existence, qui délimite un passage entre avant et après : émois amoureux, émotions artistiques, expériences hors normes, ou parfois ce presque rien qui fait que le lendemain ne ressemblera plus jamais à la veille. C'est ce moment-là que le Festival se propose d'explorer dans ses multiples dimensions.

L'année passée, Joël Pommerat présentait l'aboutissement de deux années de travail mené avec des détenus en établissement pénitentiaire hors des murs de la prison. Cette année, c'est dans plusieurs directions que les « premières fois » s'égayent et tracent un chemin où se côtoient amateurs et professionnels.

À chaque temps, sa première danse © DR

À chaque temps, sa première danse © DR

Du côté de la danse

De jeunes chorégraphes du collectif Bleu Printemps, en résidence à la Ménagerie de verre, sont venus présenter à Blois une création originale, leur première. Avec Pour vous, pas pour vous, Solène Wachter a exploré les alternatives offertes par l'expression « Retourner sa veste ». Dans un dispositif bi-frontal, qui met les spectateurs en situation de choisir un « camp », le chorégraphe pose la question du sens à accorder à un solo selon la place qu'on occupe et du « miroir » que constituent ceux qui vous font face. Dans le même temps, elle propose une physicalité changeante qui oscille entre plusieurs facettes. Jeu du caché et du visible, de l'envers et de l'endroit, du positif et du négatif, du basculement d'un personnage à l'autre crée une « machine à spectacle » dans laquelle le spectateur joue son rôle.

Avec Self / Unnamed , Georges Labbat, de son côté, provoque la rencontre d'un corps et de son double. Mettant en scène la rencontre d'un corps vivant et de son double inanimé de plastique, il oppose le corps-sujet et le corps-objet, le mouvement et l'inanimé, la défaillance du langage face à la violence du silence en même temps que se bousculent à travers eux une multitude d'individus. À la fois amoureux et ami, mère puis enfant, maître ou sujet, victime et bourreau, cette même et unique personne scindée en deux se voit réduite à l'état de servitude quelques minutes seulement après avoir joui de son pouvoir d'oppression. Chacun leur tour, les deux protagonistes s'échangent et se partagent l'autorité et l'impuissance. Jusqu'à ce que l'agilité du corps mortel se trouve imbécile face au calme de la statue et que l'éloquence de ses mots semble dérisoire confrontée à la vaste étendue du silence.

À chaque temps, sa première danse © DR

À chaque temps, sa première danse © DR

Leur fait pendant un laboratoire chorégraphique amateur, initié par une association de danse contemporaine destinée au seniors, la Mécanique du bonheur. Cette association, créée en 2010, s’écarte de la danse de salon, assez commune dans cette tranche d’âge, pour proposer une activité où Pina Bausch et les chorégraphies contemporaines ont remplacé la valse et le tango.

La Scène nationale leur propose d’enrichir leur démarche en travaillant, dans un laboratoire de recherche, une semaine pleine avec une danseuse et chorégraphe professionnelle, Véronique Teindas, pour produire un spectacle montré, pour la première fois, à un public autre que les proches. Une première fois qui se double d’un thème qui renvoie, lui aussi, à la même démarche. Avec À chaque temps, sa première danse, ils évoquent par la danse et le texte leur rencontre avec le corps à travers le geste dansé, la prise de conscience de sa matérialité et la manière dont la danse a révolutionné leur manière d’être au monde.

© DR

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Du côté du cabaret

C’est la première fois qu’un spectacle de cabaret se produit à Blois. Avec la Barbichette, de Jerôme Marin, Monsieur K, et ses complices, c’est le fantasme des nuits folles qui surgit, où le public n’est jamais qu’un simple spectateur et où la fête partagée est au cœur. Monsieur K., fort de son expérience avec le Secret, mais aussi chez Madame Arthur (dont il a été le directeur artistique de 2016 à 2018), imagine une nouvelle célébration, une autre façon de faire Cabaret, un nouveau jeu où la poésie et le rire se tiennent en joue et se jouent de nous. Histoire d’introduire un peu de folie et d’indiscipline et de pimenter une formule éprouvée pour la questionner et, pourquoi pas, la détourner.

Tchoko © DR

Tchoko © DR

Du côté du théâtre

C’est une jeune autrice et actrice qui fait à Blois ses premières armes, après avoir commencé à les fourbir au Théâtre 13. Olivia Mabounga est aussi metteuse en scène, mais ici, c’est Ludmilla Dabo qui lui apporte son savoir-faire et la force de son travail dans la création de ce seule-en-scène d’un grand intérêt, malgré  ses imperfections. Tchoko raconte l’histoire d’une jeune fille noire, Gloire, qui se rêve en Beyoncé, la chanteuse et rappeuse star à la longue chevelure blonde et ondulée et à la peau claire. Mais Gloire est noir couleur cirage et ses cheveux sont crépus et couleur de nuit et donc « laide ». Harcelée par sa mère et ses tantes, elle décide de se « tchokoter » la peau, de l’éclaircir, en même temps qu’elle se fera défriser et teindre les cheveux pour trouver sa place dans les modèles occidentaux. C’est le début d’une longue et douloureuse marche vers une dépigmentation aux conséquences tragiques. Une malédiction où le « consentement » s’avère une « soumission » aux effets irréversibles.

À travers ce thème, Olivia Mabounga aborde un sujet hélas courant à notre époque, qui fait le bonheur de nombre d’officines, des producteurs de produits de beauté aux coiffeurs et autres marchands de rêve. En mettant en scène une jeune fille à la fois révoltée et victime, écartelée entre attraction et répulsion, la pièce met en évidence la complexité du processus de manipulation hérité du colonialisme et élève un cri d’alarme. Dans un décor encombré de perruques blondes et de signes de la starification – usage de l’argent et de l’or, mise en avant de la féminité comme marchandise, accumulation de produits à blanchir – Ludmilla Dabo, qui pousse la comédienne-autrice vers l’excès et le cri souligne le caractère inacceptable de cette nouvelle forme d’esclavage.

S'il comporte des longueurs et gagnerait à être resserré, le texte, avec son caractère incantatoire, ses antiennes qui ressassent sans relâche les objurgations, les injonctions, le matraquage publicitaire et les remontrances des proches, a cependant la force d’un oratorio, d’une houle qui entraîne inlassablement le personnage vers sa propre perte. Cette mise en garde lyrique touche, dans son excès même et sa dimension désespérée. Avec, au registre des premières fois, la venue d’un public non coutumier de la Halle aux grains de Blois qui franchit une porte, souvent considérée comme inaccessible ou fermée : l’accès au spectacle vivant.

Dans sa diversité et dans son éclectisme, le Festival des « premières fois », en tissant un lien entre expérience individuelle, vie sociale et création pose les jalons de ce qu’est « faire communauté ».

Tchoko © DR

Tchoko © DR

Festival Premières fois

La Halle aux grains, Scène nationale de Blois www.halleauxgrains.com

Tchoko
S Mise en scène Ludmilla Dabo S Texte, initiatrice du projet et jeu Olivia Mabounga S Avec les voix de Anthony Capelli, Ludmilla Dabo, Hannarick Dabo, Marie Desgranges, William Edimo, Mathias Girbig, Lily-Fleur Pointeaux S Scénographie Clarise Delile S Création lumières Stéphanie Daniel S Costumes Mérèndys Martine S Composition musicale Anthony Capelli S Remerciements Claire Bosse-Platière, Salomé Ayache, David-Christelle Sanvee, Ophélie Mac, Estelle Borel, Aurore Déon, Daphnée Biiga Nwanak, Rébecca Chaillon, Karima El Kharraze, William Edimo, Vincent Gagliardi, Patricia Sallusti, Claudine Moreau, Philippe Moreau, Elisa Monteil, Anthony Martine, Louis Jeffroy, Lily-Fleur Pointeaux, Marie Desgranges, Mathias Girbig, Hannarick Dabo, Lise Delente, Elise Bernard, Frédéric Maragnani, Véronique Felenbok, Laurent Jugel, Gatien Mabounga, Véronique Legrand, Toufik Dahmani, Clément Pascaud, Pierre-Yves Leborgne, Charlotte Mallet, Alienor Poher, la maison de quartier Semard de Saint-Denis, Théâtre Ouvert et le JTN pour leur accueil lors des répétitions S Production Compagnie Les énervées S Coproduction Halle aux grains – scène nationale de Blois ; Théâtre 13 S Coréalisation Compagnie Les énervées ; Théâtre 13 S Durée 1h30 S Dès 14 ans

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