10 Mars 2025
Revendiquer sans honte ni déni un droit de cité indépendant de sa couleur de peau est le propos de ce spectacle. Il fait entendre la poésie, le chant et la musique de ces voix noires si souvent occultées ou maintenues sous le boisseau.
C’est sur un plateau noir et sans décor qu’apparaissent sur le plateau des interprètes tout de noir vêtus. Des tambours et une contrebasse, parfois accompagnés, en fond, par d’autres instruments absents de la scène, viennent rythmer un parcours composé de textes et de poèmes pour l’essentiel contemporains, venus du monde entier. Le Martiniquais Aimé Césaire y voisine ainsi avec le Togolais Elemawusi Agbedjidji, le Camerounais Marc-Alexandre Oho Bambe avec le Français Joe Starr, le Guyanais Léon Gontran Damas avec le Sénégalais David Diop ou l’Haïtien Lyonel Trouillot, la Belge Lisette Lombé avec la Française Éva Doumbia, entre autres, pour ce qui est des francophones. Du côté anglophone, les Américains George Jackson, James Baldwin ou Malcolm X y croisent le Britannique Roger Robinson.
La mémoire de l’esclavage et de la discrimination
Le spectacle s’ouvre sur une forme de déclaration des droits de l’homme, la Charte du Manden, rédigée au Mali en 1222. Déjà sont mises en avant les valeurs de respect de la vie et de solidarité, le refus de réduire en esclavage d’autres populations, le respect mutuel que se doivent les individus, dans et hors de leur communauté.
Les textes sont lettres, poèmes, extraits de pièces de théâtre. Incantatoires, accusateurs, craintifs ou revendicatifs, ils couvrent toute la gamme des souffrances de ceux qui ne sont pas parvenus à faire reconnaître leurs identités, à les faire accepter au même titre que les autres.
Déclinant, sur le thème « Importation, déportation exploitation », la longue litanie de l’esclavage sur des projections, en fond de scène, de corps noirs alignés sur des bateaux que montrent les gravures anciennes ou les châtiments infligés aux esclaves, le spectacle évoque les exactions commises au nom du bien-être occidental. Autophagies établit ainsi un parallèle entre des projections de pâtisseries, toutes plus appétissantes les unes que les autres, et le poids de sang qu’a valu aux noirs l’exploitation de la canne à sucre destinée à les produire. Le spectacle évoque le déracinement, la honte, le reniement de soi, le carcan comme un nœud coulant qui étrangle, les lynchages et la nécessité de crier, de dire, d’affirmer son identité : « Je suis nègre » dira l’un des textes, comme le mouvement, la musique et la vie.
Viendra ensuite le temps des revendications, celles par exemple de ces tirailleurs « sénégalais » venus de toute l’Afrique pour défendre « leur » pays, la France, que le gouvernement congédie sans leur verser leur solde, et les luttes contre la discrimination raciale qui frappe les noirs américains, qui conduiront aux actions des Black Panthers. L’évocation s’achèvera sur les agressions racistes et les violences policières, liées à la mort tragique d’Adama Traoré ou à bien d’autres dont la liste, extraite du Iench, anagramme du « chien », d’Éva Doumbia semble sans fin.
Un parcours musical, poétique et dansé
Prenant appui sur l’œuvre poétique de Léon-Gontran Damas, Black Label, écrit en 1956, l’acteur et rappeur Joey Starr, le metteur en scène David Bobée, la chanteuse Noëmi Saint-Aimé, le musicien contrebassiste Wilbur Thompson, le chanteur et danseur Nicolas Moumbounou et le chansigneur Jules Turlet, s’emparent des plus grands écrits de la poésie antiraciste.
Joe Starr apporte la puissance impressionnante de sa présence physique et le timbre rauque et vibrant de sa voix. Nicolas Moumbounou, qui chante aussi, développe dans l’espace une chorégraphie très ancrée dans le sol où la violence de la cassure et la dynamique toute en tensions des mouvements le disputent à un développé aérien et souple des bras comme pour montrer l’alliance de la douceur et de la force. Noémi Saint-Aimé accompagne, de sa belle voix inspirée, le chemin de souffrance, de courage et de colère de ceux qui luttent pour l’égalité réelle. Wilbur Thompson, en martèlements dramatiques du tambour ou en accents déchirants de la contrebasse devenue expression de souffrance, ponctue et accompagne un spectacle tout en vibrations et en sensibilité à fleur de peau. Quant à Jules Turlet, à travers sa gestuelle muette mais éloquente, il raconte une histoire sans parole dépourvue de pathos mais non exempte d’émotion.
De cette négritude explorée, questionnée, fouaillée à fleur de nerfs et de peau, émerge, en dépit de quelques longueurs, une voix originale, différente, qui s’impose avec la volonté de se faire entendre et reconnaître, ce qui n’est que justice. Non plus la plainte d’hommes ramenés à un statut d’objets matériels, de biens dépouillés de leur humanité par l’esclavage, mais le chant d’hommes libres, forts et enfin égaux.
Black Label
S Avec JoeyStarr, Nicolas Moumbounou, Sélène Saint-Aimé en alternance avec Noëmi Saint-Aimé et Wilbur Thompson, Jules Turlet S Avec les textes de Elemawusi Agbedjidji, James Baldwin, Gérald Bloncourt, Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, Julien Delmaire, Souleymane Diamanka, David Diop, Éva Doumbia, Langston Hughes, George Jackson, JoeyStarr, Sundjata Keita, Kiyémis, Lisette Lombé, Marc-Alexandre Oho Bambe, Roger Robinson, Sonny Rupaire, Tracy K.Smith, Assa Traoré, Lyonel Trouillot, Malcom X S Conseil littéraire Didier Boudet S Scénographie David Bobée et Léa Jézéquel S Décors Les ateliers du Théâtre du Nord S Lumières Stéphane Babi Aubert S Création musicale Sélène Saint-Aimé, Jean-Noël Françoise S Vidéo Wojtek Doroszuk S Costumes Mayoko Bobée S Assistanat à la mise en scène Sophie Colleu et Jean-Serge Salh S Remerciements Renarde Ailée et Éva Doubia S Productions Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing Hauts-de France S Coproductions Equinoxe, Scène Nationale de Châteauroux ; Les Nuits de Fourvière - Festival international de la Métropole de Lyon S Avec le soutien pour l'accessibilité de la Fondation Handicap Malakoff Humanis Avec l'accompagnement de VIA Agence d'interprétation LSF S Durée 2h
Les textes • Charte du Manden Sundjata Keita / Mali, 1222 • J’ai saoulé ma peine dans Black Label / Léon-Gontran Damas / Guyane, 1956 • Les Dameurs / Sonny Rupaire / Guadeloupe, 1957 • Autophagies / Éva Doumbia / France, 2020 • Déclaration / dans Patauger dans l’eau Tracy K Smith / Etats-Unis, 2018 • Lettre de frère caoutchouc vaincu par la neige à sa femme dans Transe (s) – Maître (s) / Elemawusi Agbedjidji Togo, 2019 • Colère / dans À nos humanités révoltées Kiyémis / France, 2018 • Le Temps du martyre / dans Coup de pilon David Diop / Sénégal, 1957 • De terre, de mer, d’amour et de feu Marc-Alexandre Oho Bambe / Cameroun, 2017 • Discours sur le colonialisme / Aimé Césaire Martinique, 1950 • Avoir peur / Langston Hughes / Etats-Unis, 1922 • Adieu l’ami / Lyonel Trouillot / Haïti, 2011 • Interview de Malcom X / dans The Young Socialist États-Unis, 1965 • Eveil Woke / dans Paradis portatif Roger Robinson / Angleterre, 2019 • Jimmy’s Blues Poems / James Baldwin / États-Unis, 1985 • Lettre écrite en prison / dans Les Frères de Soledad George Jackson / États- Unis, 1971 • Cycloparade / dans Brûler, brûler, brûler Lisette Lombé / Belgique, 2020 • Quitte ou double / Julien Delmaire / Février 2024 • J’ai mal au monde / Gérald Bloncourt / Haïti, 1991 • Je suis noir / JoeyStarr / France, 2024 • Poésie hybride hexagonale dans Habitant de nulle part originaire de partout Souleymane Diamanka / Sénégal, 2021 • Lettre à Adama / Assa Traoré / France, 2017 • Le Iench / Éva Doumbia / France, 2020 • Le Rouge assombrissant de ton sang dans Paradis Portatif / Roger Robinson / Angleterre, 2019
TOURNÉE
5 mars 2025 à la Maison des arts de Créteil
11 mars 2025 au Carreau Scène national, Forbach
Du 15 au 22 mars 2025, au Théâtre du Nord, Lille
27 mars 2025 à l'Equinoxe Scène nationale, Châteauroux
31 mars 2025 à la Maison de la Culture d'Amiens
4 avril 2025 au Théâtre du Choisy-le-Roi
10 mai 2025 au Théâtre de La Villette, Paris