22 Juin 2025
Peeping Tom nous entraîne dans un monde cruel et drolatique, en perpétuelle mutation, où des hommes en déshérence se battent et se débattent, dans un paysage lunaire. De séquence en séquence, Gabriela Carrizo chorégraphie les prouesses de cinq Titans en veine d'acrobaties. Après le Festival de Marseille. Chroniques entame une grande tournée.
Une Compagnie pas comme les autres
Comme son nom l'indique, Peeping Tom (le voyeur) jette un œil singulier sur le monde. Entre danse et théâtre, la compagnie, fondée en 1999 à Bruxelles par l'Italo-argentine Gabriela Carrizo et le Français Franck Chartier, développe de spectacle en spectacle une esthétique surréaliste où, dans un espace familial, surgit l'insolite. Un jardin, un salon ou un sous-sol dans la première trilogie ( Le Jardin , 2002 ; Le Salon , 2004 ; Le Sous-Sol , 2007), deux caravanes dans un paysage enneigé, dans 32 rue Vandenbranden (2009), ou une maison de retraite dans Vader (2014). Chaque nouvelle pièce de la compagnie réserve une belle surprise. Chronique s ne déroge pas à la règle bien que, comme pour la création précédente de Peeping Tom, La Ruta (2022), Gabriela Carrizzo en signe seule la mise en scène, avec une équipe renouvelée.
Une fresque en mutation
Dans le pénombre, de gros blocs de pierre, comme détachés d'une paroi rocheuse, jonchent le plateau où des humains s'appliquent à les déplacer, amonceler, tailler. Juché sur l'un d'eux, un colosse prend la pose, statufié. Au lointain, d'immenses panneaux mobiles s'ouvrent sur une obscurité abyssale, propice à l'imaginaire. À cour, une haute paroi offre une surface où calligraphier des signes cabalistiques.
Qui sont les cinq individus qui s'activent dans cette grisaille minérale ? D'où viennent-ils ? Où vont-ils ? Aussi bien hommes des cavernes de l'âge de pierre, alchimistes du Moyen-Âge, fabricants d'élixirs, sculpteurs de la Renaissance italienne, personnages d'un film japonais avec leurs larges chapeaux de samouraïs, ou extraits d'une série B d'arts martiaux à la Bruce Lee. Ou encore héros de bande dessinée, comme cet astronaute sorti d'un album de Tintin. Et pourquoi pas bricoleurs d'improbables machines dans un monde de science-fiction ?
Scénographie et costumes s'appuient sur de multiples références pour créer un univers en perpétuelle transformation, un paysage peuplé d'objets très divers et anachroniques, dont s'emparent les danseurs. Chroniques s'articule en une série de tableaux gigognes, qui naissent les uns des autres en recyclant les accessoires pour créer de nouveaux univers. Les interprètes semblent piégés dans un vortex spatio-temporel, entre vestiges d'un passé et inventions d'un futur.
Danseurs et cascadeurs
Ils sont cinq mais semblent se démultiplier en changeant subrepticement de costumes et d’apparence physique. Par une série de métamorphoses, Simon Bus, Balder Hansen, Seungwoo Park, Boston Gallacher et Charlie Skuy développent des gestuelles acrobatiques inédites, plient leurs membres dans des postures insensées, tombent, rampent, bondissent quand leur tour arrive de mener le jeu ou d’exécuter un solo. Chacun de ces virtuoses développe une personnalité artistique particulière, nourrie de butô, de danse urbaine, d’arts martiaux, de contorsionnisme...
Tantôt individus aux prises avec les éléments, tantôt membres d’une tribu barbare, s’exprimant par borborygmes, ils se fondent dans le décor ou le transforment pour nous faire voyager dans d’étranges contrées, comme on entrerait dans un atelier d’artiste futuriste, un cabinet d’archéologue, où les objets hétéroclites nous racontent l’histoire d’un groupe d’humains en transit.
Entre noirceur et drôlerie
Présenté à travers une riche imagerie, un combat fascinant se joue alors entre l’individu, son environnement et lui-même. Que les références des séquences appartiennent au passé ou au futur, tout concourt à créer un paysage hostile : textures minérales, objets métalliques et scénographie lunaire d’Amber Vandenhoeck ; éclairages rasants ou rougeoyants de Bram Geldhof ; sons inquiétants de Raphaëlle Latini (qui cosigne la mise en scène). Les corps se heurtent aux aspérités d’un univers rugueux, les rochers écrabouillent les jambes, ou sont trop lourds à transporter, les choses sont difficiles à domestiquer et, entre les individus, ce n’est guère plus tendre. Chacun semble vivre dans une bulle de solitude, même en groupe, quand ce n’est pas la guerre. Mais cette noirceur dominante est tenue à distance par des gags, des incidents comiques, souvent tirés des films muets en noir et blanc. Pour cette tribu de survivants, finalement confrontée aux robots étiques créés par les artistes Lolo et Sosaku — rappelant les Méta-Matics de Jean-Tinguely —, l’apocalypse n’est pas loin, il ne s’agit pas de le cacher. Mais elle peut prendre un tour joyeux et poétique dans un univers instable qui questionne notre fragilité. Présenté au Théâtre de la Criée par le Festival de Marseille dans le cadre d’un soutien à SOS Méditerranée, ce spectacle est dans l’air du temps quand d’autres cauchemars sont à nos portes.
Chroniques
S Conception et mise en scène Gabriela Carrizo S En coréalisation avec Raphaëlle Latini S Création et interprétation Simon Bus, Boston Gallacher, Balder Hansen, Seungwoo Park, Charlie Skuy S Scénographie Amber Vandenhoeck S Lumière Bram Geldhof S Son Raphaëlle Latini S Costumes Jana Roos, Yi-Chun Liu, Boston Gallacher S Conseil artistique Eurudike de Beul S Création technique Filip Timmerman S Assistante scénographie Edith Vandenhoeck S Assistant technique Clément Michaux S Assistante artistique Helena Casas S Ingénieur du son Jo Heijens S Collaboration spéciale Lolo y Sosaku S Stagiaires Laura Capdevila Milet, Ivo Hendriksen S Création le 5 juin 2025 Théâtre national de Nice S Production Cie Peeping Tom, Théâtre National de Nice - CDN Nice Côte d’Azur S Coproduction ExtraPôle SUD Production, Les Salins - SN de Martigues, Koninklijke Vlaamse Schouwburg - Bruxelles, Festival Aperto Reggio Emilia - Reggio nell Emilia, Bühnen Köln - Cologne, Teatre Nacional de Catalunya - Barcelone, Torinodanza Festival - Turin, Le Vilar - Louvain-la-Neuve, Centro Danza Matadero - Madrid, FOG Performing Arts Festival - Milan, Théâtre Paris- Villette - Paris, Emilia Romagna Teatro FondazioneERT / Teatro Nazionale di Reggio nell Emilia, schrit_tmacher Festival - Heerlen, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg S Soutiens Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, Ministère de la Culture DRAC PACA, Région SUD PACA, Département des Alpes-Maritimes S Durée 1h30
TOURNÉE 2025
18-20 juin 2025, Festival de Marseille
27 et 28 septembre, Aperto Festival Reggio Emilia (IT)
2 et 4 octobre, TorinoDanza (IT)
8 et 9 octobre, Triennale Milano (IT)
13 et 14 octobre, Dialog Festival Wroclaw (PL)
14 au 16 novembre, Anthéa Antibes (FR)
20 et 21 novembre, Théâtre des Salins Martigues (FR)
27 au 29 novembre, Théâtre Liberté,Toulon (FR)
5 et 6 décembre, Carré Leon Gaumont Sainte-Maxime (FR)
9 au 19 décembre, KVS Bruxelles (BE)
TOURNÉE 2026
23 et 24 janvier, Tanz Köln (DE)
4 au 6 mars, Aula Magna Le Vilar, Louvain-la-Neuve (BE)
20 et 21 mars, Teatro Central Sevilla (ES)
28 et 29 mars, Emilia Romagna Teatro Cesena (IT)
02 au 08 avril, La Villette Paris (FR)
28 au 30 avril, Théâtres de la ville de Luxembourg (LU)
4 au 14 juin, Teatre Nacional de Catalunya Barcelona (ES)