22 Juin 2025
Dix danseurs et danseuses composent un tableau vivant, chorégraphié par Faye Driscoll. Agrégés sur un étroit plateau, les corps s’animent contre vents et marées, jusqu’à la démence. Performance physique fascinante autant que perturbante, présentée pour la première fois en France au Festival de Marseille, le spectacle continue sa tournée en Europe et au-delà.
Le Radeau de la Méduse, version danse contemporaine
Qualifiée de « post-millenium postmodern wild woman » par le journal new-yorkais The Village Voice, l’artiste américaine, connue pour ses spectacles hors norme, souvent in situ, ne manque pas d’audace. De l’Institut d’art contemporain de Boston à la Biennale de Venise, du Festival d’Automne à Paris au Melbourne Festival, ses pièces ne laissent pas indifférents et peuvent faire polémique. Weathering (érosion, désagrégation pourrait-on traduire) est de celles-là. Poussant les interprètes à l’extrême limite de leurs capacités physiques et mentales, que ce soit dans l’immobilité ou dans le déchaînement de la violence, la performance débute par des chants psalmodiés, mélopées et plaintes, alors que les artistes, l’un après l’autre, prennent lentement place sur un praticable central, carré et mou, et s’immobilisent, comme statufiés en plein mouvement, dans des positions plutôt inconfortables. Les corps enchevêtrés sur cette surface réduite opèrent d’imperceptibles changements. Visages inexpressifs, agrippés les uns aux autres, ils semblent chercher leur salut dans le contact avec autrui : on pense à la fameuse scène de naufrage de la frégate Méduse, peinte par Théodore Géricault (1791-1824).
Tous dans le même bateau
Piégés dans le dispositif scénographique de Jake Margolin et Nick Vaughan, les rescapés, au moindre geste, provoquent la réaction de leurs voisins. Solitaires et silencieux, tout à leur propre danse, mais forcément solidaires par leur promiscuité, ils ne peuvent faire abstraction de la sueur, de l’odeur, de la salive et autres excrétions que chacun dégage dans l’effleurement des corps et la chaleur des projecteurs. Tandis que le paysage sonore conçu par Ryan Gamblin et Guillaume Soula monte en puissance, réverbérant respirations rauques, plaintes et cris, cet amas humain mouvant s’agite tel un monstrueux organisme. Vingt bras et jambes luttent pour se faire une place confortable, en vain. La fureur s’empare progressivement du groupe, c’est à qui phagocytera ou éjectera l’autre, tandis que des machinistes font tourner de plus en plus vite le carré blanc qui les porte, glissant de sueur et autres sucs, jonché de détritus.
Sauve qui peut, au-delà du quatrième mur.
La fièvre s’empare du plateau, une horde sauvage se déchaîne, les corps volent à travers l’espace pour s’écraser les uns contre les autres. Ce n’est que courses, bousculades, chutes, corps soulevés et lâchés... Et les spectateurs, disposés en quadrifrontal, dans une grande proximité avec les artistes, se trouvent happés par la violence, voire potentiellement — mais pas vraiment — exposés aux jets d’objets divers : chaussures, pantalons, manteaux, sous-vêtements, pétales de fleur, sacs, cordes....Cette activité tournoyante, cette turbulente coordination de mouvements simultanés demande aux artistes une maîtrise du risque, et une grande écoute les uns des autres, pour ne pas se heurter trop fort.
Le public retient son souffle en sympathie avec ce déchaînement cacophonique sensoriel, mêlant odeurs, froissements de chair et d’étoffe, cris, piétinements et galops. Alors que le groupe se désagrège, on se rappelle l’harmonie et la paisible cohabitation du départ, toujours possibles en théorie.
Puis, au terme de la débandade, on perçoit une certaine jouissance des artistes à nous faire entrer dans ce chaos, en venant s’asseoir au milieu du public et partager avec lui transpiration et nudité. Pas certain que tout le monde adhère à cette provocation. Même si elle prend un tour plutôt joyeux en affirmant que, tout aussi horrifiants qu’ils soient, nous pouvons vivre dans le bruit la fureur de l’époque.
Weathering a obtenu le Grand Prix de la Danse de Montréal en 2024. La même année qu’Oceanic Feeling, dernier projet de Faye Driscoll à avoir vu le jour, une performance in situ sur Rockaway Beach à New York.
Weathering
S Conception, chorégraphie et direction Faye Driscoll S Interprétation James Barrett, Kara Brody, Miguel Alejandro Castille, Amy Gernux, Maya LaLiberté, Mykel Marai Nairne, Jennifer Nugent, Cory Seals, Carlo Antonio Villanueva, Jo Warren S Scénographie Jake Margolin, Nick Vaughan S Conception des éclairages Amanda K. Ringger S Direction sonore et musicale Sophia Brous S Son en direct et conception sonore Ryan Gamblin S Composition, enregistrements de terrain, conception sonore Guillaume Soula S Conception des costumes Karen Boyer S Dramaturgie et conception olfactive Dages Juvelier Keates S Assistance chorégraphique Amy Gernux S Coordination de l’intimité Yehuda Duenyas S Directrice technique et des éclairages Connor Sale S Gestion de la scène et des accessoires Emily Vizinan S Weathering est commandé et produit par New York Live Arts dans le cadre du programme Randjelović/Stryker Resident Commissioned Artist Program S Co-commandé par Carolina Performing Arts à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, le Centre de Résidence Artistique de la Joyce Theater Foundation S Création 2023 au New York Live Arts, (NY, USA)
19 - 22 juin première en France, Friche la Belle de Mai
Dans le cadre du Festival de Marseille (12 juin-6 juillet 2025) T. 04 91 99 02 50
TOURNÉE
du 27 au 29 juin 2025, Epidaurus Festival (GR)
du 4 au 6 juillet 2025, Julidans Amsterdam Amsterdam (NL)
du 13 au 17 août 2025, Jacob's Pillow Dance Festival Becket, MA (USA)
du 4 au 6 septembre 2025, Philadelphia Fringe Festival Philadelphia, PA (USA)
du 12 au 15 novembre 2025, Festival d’Automne Paris