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Arts-chipels.fr

Richard III. Une tragédie ludique pour acteur, danseurs, récitants et marionnettes.

Phot. © Antonin Lebrun

Phot. © Antonin Lebrun

Cette adaptation très originale d'une des tragédies les plus sanglantes du cycle « historique » de Shakespeare offre à la pièce un toilettage nouveau, marqué du sceau de l'inventivité.

C'est dans une atmosphère de vents en tempête que retentissent, comme les grondements du tonnerre, les trois coups qui ouvrent le spectacle. Place au théâtre, annoncent-ils, tandis que des narrateurs, côté jardin, introduisent un crépuscule du Moyen Âge, plein de bruit et de fureur. Les drapeaux claquent au vent. Ils sont aux couleurs des protagonistes de l'histoire : les York et les Lancastre, qui se disputent l'héritage Plantagenêt.

L'histoire de Richard III, prince laid, méchant et contrefait, n'est plus vraiment à raconter sinon pour dire que « plus noir tu meurs ». Car il n'a rien pour plaire, Richard de Gloucester qui deviendra Richard III. En plus d'être repoussant, il est dévoré d'ambition et voudrait être roi. Mais il y a pas mal de candidats pour succéder au roi sur le trône. Qu'à cela ne tienne ! Il les éliminera l'un après l'autre en faisant miroiter à ses sbires d'hypothétiques récompenses sous l'œil effaré et effrayé des dames de la Cour, à commencer par sa propre mère. Emprisonnements, procès fallacieux, assassinats ne le font pas reculer, jusqu'à ce que trop soit trop et qu'il tombe, victime de ses propres agissements, au cri bien connu de : « Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! »

Phot. © Johan Julien

Phot. © Johan Julien

Le parti pris d’un seul acteur

C’est ce personnage démesuré, mégalomaniaque, maléfique et pervers que la compagnie La Poupée qui brûle choisit de privilégier en donnant à ce seul rôle une personnalité « humaine ». Un acteur, Antonin Lebrun, la bosse sur le dos, la démarche chaotique, le visage grimé, qui rappelle le Pantalon de la commedia dell’arte, en version malfaisante, occupe le devant de la scène, jubilation du Mal incarnée, perfidie faite homme, appétit de pouvoir dévorant en bandoulière. Comme l’araignée qui tisse sa toile, il épie et ourdit vilénie sur vilénie, et ce n’est pas le moindre des paradoxes que ce personnage de chair et d’os se cache sur une petite scène fermée par un rideau aux allures de castelet dont les marionnettes auraient été expulsées.

Phot. © Loïc Blanchard

Phot. © Loïc Blanchard

Des marionnettes à taille humaine

Tous les autres personnages sont incarnés par des marionnettes de grande taille, capables de se placer au niveau de Richard de Gloucester et même de l’outrepasser. Animées par un ou plusieurs manipulateurs tout de noir vêtus et masqués, elles incarnent tous les autres protagonistes. En rang d’oignon, elles figurent la cour du roi, avant d’intervenir dans le cours du récit. Massives, elles pourront n’être que visage dont un tissu figure seulement le corps mais elles jouent aussi avec les proportions comme avec le mouvement. Ainsi la tête de Buckingham, âme damnée de Richard, est-elle détachable de son corps et manipulée, comme marionnette, par son maître, celui auquel elle a fait allégeance. Ainsi la tête en forme de ballon du maire de Londres, qui émerge de sa gigantesque fraise, tourne sur elle-même dans son affolement devant les exigences du monstre avant de rentrer peureusement dans son col. Et les visages des moines s’animeront pour constituer un chœur des vierges lorsque Richard feindra de faire retraite et de refuser la couronne. Ratcliffe, en exécuteur des basses œuvres, apparaît comme un bourreau massif, une brute épaisse qui arrache d’une seule main la tête de ses ennemis, laissant apparaître des filaments de laine rouge en guise de sang. Quant au duo d’amour entre Buckingham et Richard, c’est main dans la main, la manche de la marionnette enfilée dans le bras de son manipulateur que tous deux se retirent pour conspirer ensemble.

Phot. © Johan Julien

Phot. © Johan Julien

Distance, distance…

À cette mise à distance des personnages –  exception faite de Richard – transformés en pantins sortis de leur boîte quand le besoin – l’intrigue de la pièce – s’en fait sentir correspond un autre parti pris : celui de séparer personnages et voix. C’est ainsi que deux « porteurs de parole », un homme et une femme, qui ont contribué à mettre en place le contexte au début de la pièce, prêteront leur(s) voix à tous les personnages. Usant de toutes les ressources du travestissement vocal, ils joueront les rôles d’hommes et de femmes conformément à leur sexe, mais l’homme (Achille Grimaud) pourra aussi bien devenir reine douairière à la voix un peu grave et cassée, et la femme (Katia Lutzkanoff) installer le ton caressant du duc de Buckingham. Ces décalages, en accentuant la dimension du jeu, insistent sur la théâtralité du spectacle.

Phot. © Johan Julien

Phot. © Johan Julien

Des manipulateurs danseurs

À la déconstruction que propose la mise en scène s’additionne le rôle que jouent les manipulateurs-marionnettistes. Car ils ajoutent à ce théâtre qui dit son mode de fabrication un autre niveau. Anonymes dans leurs collants noirs, ils sont aussi partie prenante visible du spectacle. Au début, lorsque le texte évoque la guerre entre les factions, un combat chorégraphié se met en place, comme une joute équestre mais sans cheval – celui qui manquera tant à Richard pour s’enfuir à la fin. À plusieurs reprises ils interviendront, transposant sans illustration directe des échanges entre les personnages ou des situations, dessinant un ballet impeccable et plein de ressources qui complète l’ensemble. Fourmis industrieuses au four et au moulin, ils auront aussi à charge de transformer le plateau à mesure que Richard, enfoncé dans son délire, perdra pied. C’est à la fin, dans un décor qui n’est pas sans rappeler le chaos de la Mer de glace de Caspar David Friedrich, que le personnage se trouvera englouti tandis que ces créatures de l’ombre, décagoulées et démasquées, gagneront sur scène leur autonomie en se livrant à une danse victorieuse.

Il y a beaucoup d’intelligence dans cette manière de démarquer la tragédie de Shakespeare, et une imagination débordante et parfaitement maîtrisée dont le public fait son miel. On se divertit beaucoup et on se laisse prendre à ce jeu à tous les étages. Il est maintenant à souhaiter que ce spectacle, monté à force de volonté et sans beaucoup de moyens pour la compagnie, trouve de nouveaux relais et tourne largement. La qualité du travail présenté le justifie pleinement.

Phot. © Johan Julien

Phot. © Johan Julien

Richard III
S Texte William Shakespeare S Traduction Jean-Michel Déprats S Adaptation Yoann Pencolé, Pauline Thimonnier, Achille Grimaud S Direction artistique et mise en scène Yoann Pencolé S Jeu et manipulation Antonin Lebrun S Narration et voix Achille Grimaud et Katia Lutzkanoff S Danse et manipulation Yann Hervé, Améthyste Poinsot, Lucile Ségala S Régie plateau et manipulation Clara Stachetti S Régie Lumière Cyrille Morin S Régie son Benajmin Rouxel S Conseil artistique Magali Julien S Chorégraphie Bruce Chiefare et Magali Julien S Dramaturgie Pauline Thimonnier S Assistante à la mise en scène Claire Le Plomb S Création marionnettes Antonin Lebrun et Clara Stacchetti S Création musicale Pierre Bernert avec la participation des musiciens Sylvain Bernert (violoncelle), Peter Davies (trombone), Régis Pons (trompette) S Création lumière Alexandre Musset S Scénographie Alexandre Musset et Yoann Pencolé S Costumes Clara Stacchetti S Administration Justine Le Joncour S Diffusion Anne-Laure Lairé (
diffusion.lpqb@gmail.com) S Illustration Antonin Lebrun S Photos et Teaser Johan Julien S Production La Poupée qui brûle S Coproductions Théâtre à la Coque-CNMa, Hennebont (56) ; Théâtre de Laval-CNMAa(53) ; Le Sablier -CNMa, Ifs (14) ; La Maison du Théâtre-Brest (29) ; La Paillette-Rennes (35) ; Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières (08) ; Centre Culturel Athéna-Auray (56) ; Le Strapontin-Pont-Scorff (56) ; Le Quatrain-Haute-Goulaine (44) ; le Carré-Sévigné, Cesson-sévigné (35) ; Théâtre de Chatillon – Festival MARTO S Coréalisation le Strapontin et Trios - EPCC ; Le Sillon – Pleubian ; Théâtre de Laval - CNMa ; Festival Mondial des théâtres de marionnette de Charleville-Mézières ; Le Carré Sévigné - Cesson-Sévigné S Soutiens Ministère de la Culture – DRAC Bretagne ; Région Bretagne Rennes Métropole ; ville de Rennes ; Conseil département de l’Ille et vilaine Spectacle Vivant en Bretagne (Avis de tournée) S Aide à l’embauche de l’Institut International de La Marionnette S Remerciements Le Triangle, cité de la danse (35) ; le Garage, CCN de Rennes et de Bretagne (35) Trio…S EPCC, Hennebont - Inzinzac-Lochrist (56) ; Lillico – Rennes (35) S Création janvier 2025 S Ce spectacle bénéficie du dispositif de soutien à la diffusion « Avis de tournées » porté par l’ODIA Normandie, la Région Pays de la Loire et Spectacle vivant en Bretagne S Durée 1h50

TOURNÉE
(92) Châtillon – Festival MARTO – Théâtre de Chatillon – Ven. 21 mars 2025 à 20h30
(56) Inzinzac-Lochrist – Théâtre du Blavet – Mar. 1er avril 2025 à 14h et 20h. Coréalisé par le Théâtre à la Coque CNMa, le Trio.s EPCC et le Strapontin
(22) Pleubian – Le Sillon – Jeu. 3 avril à 20h + ven. 4 avril 2025 à 10h
(53) Laval – Théâtre de Laval CNMa – Ma 6 mai 2025 à 14h et 20h30
(08) Charleville-Mézières – Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes – 21 au 23 septembre 2025
(35) Cesson-Sevigné – Le Carré Sévigné – nov. ou déc. 2025

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