30 Mars 2025
Petr Forman livre une version plus visuelle que spirituelle du poème soufi de Farid al-Din Attar : la quête du roi Simorgh par le peuple ailé, ici vingt danseurs comédiens, est un voyage fantastique, dans un décor des Mille et une nuits, avec effets spéciaux et projections 3D. Une merveille pour les yeux.
Une somptueuse volière orientale
Les frères Forman, marionnettistes de formation, baladent depuis vingt-cinq ans leurs productions depuis leur Tchéquie natale à travers le monde, dans leur propre dispositif ambulant, construit sur mesure pour chaque spectacle, dans la tradition du théâtre forain : « On a un chapiteau, la structure, les caravanes autour, on s’occupe du montage et du démontage, tout cela c’est naturel pour nous. Depuis la Baraque réalisée avec la Volière Dromesko, les Voiles écarlates créées sur notre péniche, on a toujours voyagé et tout fait nous-mêmes. Nos projets sont peut-être un peu grands, mais on veut suivre cette idée de voyager avec eux, comme à l’époque où le théâtre était naturellement ambulant. »
À l’entrée du chapiteau, polygone de toile de trente mètres de long sur dix de haut, zébré noir et blanc, les spectateurs prennent leur billet dans une petite guérite et chacun se voit remettre le masque d’un oiseau de son choix. L’ambiance promet d’être bon enfant.
Sous la tente, conçue spécialement pour La Conférence des oiseaux, les gradins sont installés sous un dais enveloppant, composé de tapis et tissus persans. Le plateau est décoré de panneaux aux motifs orientaux, déplacés pour les besoins du récit. Sur scène, les comédiens danseurs évoluent à l’écoute d’un conteur. Il est question de rois cruels et sanguinaires... De quoi fuir cette contrée. Plus tard, les artistes vont se costumer et se maquiller à vue, en oiseaux, dans de petites cabines à roulettes équipées de miroirs qui, retournés, reflèteront le public.
L’espace scénique imaginé par Petr Forman et son scénographe Josef Lepša est à géométrie variable et se transformera pour simuler le périple des volatiles, grâce à des déploiements de rideaux, des projections en 3D, des manipulations d’étoffes.
Séduisant écrin pour cette fable qui a connu la célébrité en Occident grâce à l’adaptation de Jean-Claude Carrière pour la mise en scène Peter Brook au Festival d’Avignon 1979. Joué dans le monde entier avec succès, ce scénario a, par ailleurs, inspiré au compositeur Michaël Levinas l’une de ses premières œuvres marquantes, en 1985. Petr Forman, lui, a découvert La Conférence des oiseaux lors de sa tournée, grâce à sa traduction en tchèque par un ami de son père Miloš Forman.
Les oiseaux se cherchent un roi.
Le poète soufi Farîd al-Dîn Attâr (1142-1220) reprend un conte persan, pour en faire une épopée mystique : l'histoire d'un groupe d'oiseaux fuyant un royaume cruel et injuste à la recherche de leur véritable roi, le Simorgh. « Nous avons un roi, il faut partir à sa recherche, sinon nous sommes perdus », exhorte la Huppe qui prend la conduite des opérations. Après de longs atermoiements – il est difficile de quitter ce que l’on possède –, les plus courageux décollent. Au terme d’un voyage mouvementé et périlleux, il leur est révélé que ce Simorgh n’est autre qu’eux-mêmes : « Ils cherchaient un roi mais le portaient en eux [...] Le soleil de sa majesté est un miroir. Celui qui se voit dans ce miroir, y voit son âme et son corps. [...] Il a appris ce qu’il voulait savoir mais il est le seul à comprendre ».
Le poème d’origine relate leurs hésitations et incertitudes et, à l'instar d'autres récits orientaux, est émaillé de contes, d'anecdotes, de paraboles. Le metteur en scène, officiant pour une fois sans son jumeau Matěj, s’appuie sur le texte de Jean-Claude Carrière, assez fidèle au conte soufi, mais l’adapte avec Ivan Arsenjev, en le réduisant à une narration édulcorée, portée par la voix off d’un récitant. Les protagonistes ne diront rien de leur caractère, de leurs doutes et de leurs errements. Les comédiens se contentent, une fois déguisés en volatiles, de se déployer dans la salle en exhibant au milieu du public une belle panoplie de costumes et masques sophistiqués, à l’image des différentes espèces. Ils brassent l’air de leurs ailes, grands éventails portés à bout de bras, piaillent et dansent, imitant, dans leurs comportements, Rossignol, Perroquet, Paon, Canard, Perdrix, Héron, Pie, Faucon, Chouette et autres...
Une odyssée intersidérale
Après de longs atermoiements, la gent ailée s’envole, plongeant dans le décor qui s’anime et se creuse avec des projections en relief, du mapping vidéo, des effets spéciaux dignes d’un film de fantasy. Le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter sur une musique planante dans un périple visuel et cinétique. Les chorégraphies, plutôt basiques, simulent vol, chute, lutte contre les éléments qui se déchaînent en tonnerre et pluie sur la bande son...
Que reste-t-il alors de la fable morale et mystique de Farîd al-Dîn Attâr, où les oiseaux représentent les humains ? Le sage soufi, pour trouver le Simorgh et atteindre la vraie nature de Dieu, doit franchir sept vallées et leurs secrets : Recherche ; Amour ; Connaissance et Doute ; Détachement ; Unité de soi; Effroi,la dernière étant Dissolution totale de soi et éveil vers le rien. « Ne craignez pas l’échec mais il est possible qu’en cours de route, vous buviez votre propre sang », prévient un géant des montagnes. Or les aventures des volatiles se résument ici à une traversée des images, grâce à des technologies et à une réalisation de haute qualité. Son et lumière, jeux d’ailes, d’étoffes et de nuages finissent par nous submerger, jusqu’à nous faire perdre le sens de cette quête conduisant à l’ascèse. Et ce, malgré la voix de Denis Lavant qui nous tient en éveil.
La Conférence des oiseaux, d’après La Conférence des oiseaux de Farîd al-Dîn Attâr (1142-1220)
S Mise en scène Petr Forman S Scénario Ivan Arsenjev, Petr Forman, Jean Claude Carriére S Avec Marek Zelinka, Manuel Ronda, Rob Hayden, Francois Brice, Milan Herich, Maureen Bator, Daniel Raček, Petr Forman, Veronika Švábová, Tereza Krejčová, Miroslav Kochánek, Zuzana Sýkorová, Petr Goro Horký, Ivan Arsenjev, Martin Štourač / Petr Vinecký, Philippe Leforestier, Petr Baštýř / David Pražák S Voix Denis Lavant, François Brice, Laya Khanjani S Création plastique Josef Lepša S Musique Simone Thierrée S Productrices exécutives Pavla Kormošová, Anna Chlíbcová S Conseiller littéraire au sujet d’Attar Nora Sequardtová S Conception et réalisation des costumes et masques Josef Lepša, Lenka Polášková, Michaela Mayrová, Vjačeslav Zubkov S Conception, réalisation et peinture des décors Jaromír Vlček, Zdeněk Palme, Míra Polák, Radim Kollega, Vjačeslav Zubkov, Lenka Polášková, Michaela Mayrová, Jana Novotná, Kateřina Soukupová, Tereza Komárková S Conception 3D Oldřich Jindřich S Conception projections Panasonic Connect Europe – Ben Mitchell & Zdeněk Krýsl, Adam Špinka S Conception lumières Petr Forman, Josef Lepša, Petr Baštýř S Concept son Philippe Leforestier, Michal Holubec S Conception et design de la tente Petr Forman, Josef Lepša S Plans techniques de la tente SARL C3 SUD-EST S Réalisation de la structure de la tente et des gradins Atelier Gest S Production de l’espace scénique et des structures de soutien Tomáš Pleticha, Martin Maleček, Martin Fuchs, MAF (Ostrava) S Conseillers et ingénieurs Radim Kollega, Romuald Simonneau, Míra Polák S Complices Jean Michel Puiffe, Jan Blaško
S Production Théâtre des Frères Forman S Partenaire général du spectacle ČEZ GROUP S Partenaire général de la tente BiRDEK S Coproduction Théâtre-Sénart, Scène nationale ; Les Gémeaux – Scène nationale ; L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry, Pôle National Cirque S Durée 1h20 S À partir de 8 ans
TOURNÉE
Vu à l’Espace Cirque d’Antony, du 22 au 26 mars 2025 : une programmation Les Gémeaux hors les murs, en partenariat avec L’Azimut – Pôle national Cirque dans le cadre du Festival MARTO
Du 8 au 16 avril 2025 Théâtre de Caen
Du 28 avril au 3 mai 2025 Maison de la culture de Bourges – Scène nationale
Du 15 au 21 mai 2025 Le Cratère – scène nationale Alès
Du 23 au 29 juin 2025 Espace des Arts, Scène nationale Chalon-sur-Saône