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Arts-chipels.fr

Festival À Vif. Rencontres «surprenantes» à Vire, sur le mode de la créativité et de l’échange.

Phot. © DR

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Du 13 au 21 mai 2025, de l’Australie aux États-Unis en passant par l’Ukraine et la France, Lucie Berelowitsch fait se croiser cinq spectacles dont les femmes se réinventent et naviguent dans le « faire ensemble ». Une leçon de vie sur un air de « Surprenante ».

Le Festival À Vif est un événement attendu, chaque année, à Vire. Festival de la jeunesse, il se situe dans le prolongement du festival « Ados » initié par Pauline Sales et Vincent Garanger. En le rebaptisant « À Vif », Lucie Berelowitsch en infléchit le cours. Au lieu de le cibler exclusivement « Jeunesse » – ce qui constituait la vocation du premier CDN de Vire –, elle élargit le propos du festival à la rencontre entre adultes et adolescents, avec des spectacles non exclusivement adressés à un public jeune. Si ce festival reste « leur » festival, il porte aussi les valeurs mises en avant par la directrice et metteuse en scène : celles de la rencontre et du mélange des cultures, et l’implication des forces vives viroises et normandes dans le parcours du festival.

L'Arbre à sang Phot. © DR

L'Arbre à sang Phot. © DR

Femmes-mondes

Cinq spectacles s’inscrivent dans la définition de « surprenante ». Ils s’enracinent dans des fables qui racontent le monde.

La Chanson de la forêt, écrite par une autrice ukrainienne du début du XXe siècle, Lessia Ukraïnka, s’ancre dans la mythologie et le folklore ukrainiens. Création participative, elle résulte d’un travail d’une année de Lucie Berelowitsch avec les Dakh Daughters (artistes associées au CDN), des comédiens professionnels, le conservatoire de musique et de danse de Vire, les lycées Marie Curie et Jean Mermoz de Vire et l’école de musique de Noues-de-Sienne.

My Loneliness Is Killing Me, ici présenté à l’état de première étape, est un spectacle de la compagnie Diplex, implantée en Normandie depuis 2013. Après deux résidences scolaires au collège Jean Vilar de Saint-Sever dans le Calvados, elle propose à dix adolescentes et adolescents de Vire, Condé-sur-Noireau et Falaise de participer à cette étape préparatoire, qui donnera lieu à un spectacle sur Britney Spears créé en 2026 à La Renaissance à Mondeville et au Théâtre Charles Dullin au Grand-Quevilly.

Trois autres spectacles, créés et présentés ailleurs auparavant, sont au programme. I’M Deranged, de Mina Kavani, livre le témoignage théâtralisé d’une jeune Iranienne contrainte à l’exil pour concrétiser son rêve de liberté. Installée en France, le désir d’un retour dans son pays natal ne la quitte cependant pas. Mais qu’il s’agisse de partir ou de rester, il y aura toujours la déchirure.

À l’autre bout du monde, dans une ferme reculée d’Australie, l’Arbre à sang met en scène trois femmes – une mère et ses deux femmes – confrontées à l’assassinat du père de famille, un homme violent, qu’elles viennent de perpétrer. Se pose alors la question : « Que faire du corps ? » Voisins et villageois se mêlent à cette histoire aussi drôle que noire sur l’impunité des violences domestiques, tracée par la plume puissante d’Angus Cerini.

Enfin cinq femmes qui figurent parmi les fondatrices de #MeToo France livrent, avec les Histrioniques, un véritable brûlot, traité avec un humour ravageur, sur les violences faites aux femmes et sur les abus dont elles sont victimes. S’inspirant d’affaires réelles, qui pourraient correspondre à de nombreux cas, elles proposent au public un jeu de piste de l’actualité en la matière en même temps qu’elles mettent à nu un système de domination inacceptable. Pour résister, un seul slogan : Solidarité !

La Chanson de la forêt. Phot. © Samuel Kirszenbaum

La Chanson de la forêt. Phot. © Samuel Kirszenbaum

La Chanson de la forêt : une création grand format.

Pour la réalisation de ce spectacle participatif, Lucie Berelowitsch a vu grand. Avec plus de 70 interprètes au plateau, danseuses, chanteuses, musiciennes et musiciens, de tous âges et avec une majorité de jeunes amateurs, « recrutés » dans les établissements scolaires et les écoles de musique et de danse, l’entreprise est une véritable gageure, qui nécessitera environ neuf mois de travail à partir du moment où le projet a été pensé et où les éléments sont présentés aux différents groupes de participants au spectacle et remis entre leurs mains.

Du choix du thème à sa réalisation finale, plusieurs facteurs interviennent. Depuis son installation à Vire six ans auparavant, Lucie Berelowitsch, soucieuse d’impliquer la population dans la création artistique, caresse l’idée d’un grand spectacle participatif. S’y ajoute l’arrivée des Dakh Daughters à Vire, un groupe de musiciennes ukrainiennes qui, fuyant leur pays en guerre, trouve refuge dans cette ville. Les contacts se nouent sur le plan artistique avec Lucie Berelowitsch, qui les fait intervenir dans plusieurs de ses spectacles. Parallèlement à la programmation de Danse macabre, accueilli par les Théâtres de la Ville du Luxembourg, Lucie Berelowitsch propose une lecture à trois comédiens de la Chanson de la forêt, dans une forme simple, avec un banc, quelques éléments de costumes et une partition musicale. Le projet se forme de renforcer les liens entre les Dakh Daughters et la population en transformant, avec elles, la lecture en projet participatif.

Cette œuvre d’une autrice ukrainienne phare dont les thèmes associent le conte populaire et les mythes, le sentiment de la nature, la question de l’« inadaptation » sociale de certains personnages et la force de l’art touche particulièrement les musiciennes ukrainiennes. Elle répond par ailleurs à la volonté de Lucie Berelowitsch de faire tomber les barrières, qu’elles soient culturelles – la langue, les traditions –, sociales – en choisissant la forme populaire du conte – et artistiques – la barrière entre acteurs et publics, professionnels et amateurs. 

Une autrice emblématique

Le choix de Lessia Ukraïnka est hautement symbolique. Le texte, écrit en 1911, est un manifeste en faveur des femmes en littérature. La mère de l’autrice, déjà au tournant des XIXe et XXe siècles, avait mené maintes actions en faveur de la reconnaissance des femmes dans le paysage artistique et culturel. Elle avait introduit, par exemple, dans la langue ukrainienne une traduction de « sororité » et initié la création d’un recueil de textes de femmes-écrivaines. Ethnographe, elle est immergée dans les traditions populaires, les croyances et le folklore ukrainiens que Lessia explorera à travers la Chanson de la forêt.

Autrice emblématique, quasi-légendaire en Ukraine, elle incarne aussi l’esprit de résistance d’une langue et d’un peuple malmenés par l’histoire. Succédant à l’époque de la Rus’ de Kiev, au IXe siècle, où Kiev était la capitale d’un empire russe – argument qu’avance Vladimir Poutine dans sa politique vis-à-vis de l’Ukraine –, l’Ukraine passe entre les mains de divers pays qui se partagent son territoire – la Lituanie, la Pologne, les Turcs et les Tatars, l’Autriche et la Russie – avant de devenir République populaire ukrainienne en 1917, sous l’impulsion de l’Empire allemand qui y voit un moyen de contrer les Russes. Mais la défaite de l’Allemagne pousse l’Ukraine dans le giron soviétique. On connaît la suite de l’histoire. La prise de pouvoir de Staline, sa confiscation des ressources ukrainiennes et la terreur rouge prennent la forme d’un génocide de 3 à 4,5 millions d’Ukrainiens. Les Ukrainiens fourniront une part des élites politiques soviétiques – Khrouchtchev, Brejnev – et la langue ukrainienne sera victime de restrictions politiques. Les traditions et l’usage de l’ukrainien ont donc la saveur de la reconquête d’une identité.

La Chanson de la forêt. Phot. © Samuel Kirszenbaum

La Chanson de la forêt. Phot. © Samuel Kirszenbaum

Entre merveilleux et réalisme, une pièce sur la différence

Au bord d’un lac résident des créatures mythologiques et des humains. Divinités de la nature et des eaux – Ondine, Nymphe des champs, Maître des sylvains, Spectre… – et population villageoise cohabitent. Lucas, jeune humain et joueur de flûte, à la recherche de l’arbre de vie qui protègera son oncle Léon, rencontre Dryade, la divinité protectrice des arbres et des forêts. L’amour naît entre eux mais le village en a décidé autrement. Lucas délaissera Dryade pour épouser, pour son malheur, une jeune fille désignée par sa mère. Dryade rejoindra le royaume des ombres et Lucas, à qui l’on avait interdit de jouer de la flûte pour en faire un homme comme les autres, attelé au travail, finira par prendre conscience de son erreur. Rendu à sa flûte, il rejoindra la forêt…

Traitée sur le mode poétique et romantique, cette fable mythologique et folklorique aborde plusieurs thèmes. Celui de l’union de l’homme et de la nature, incarné par le personnage de Lucas, a aujourd’hui une résonance particulière. Celui de l’a-normalité et de la différence sont aussi au cœur de la pièce. La mère de Lucas n’a de cesse que de le faire rentrer dans le rang en lui faisant épouser une humaine et en lui imposant de travailler. Enfin, et cet aspect de la fable touche les Dakh Daughters qui y trouvent un écho de leur situation, Lucas est un poète à qui l’on interdit de chanter mais qui, finalement, choisira de braver l’interdit.

La Chanson de la forêt. Phot. © Samuel Kirszenbaum

La Chanson de la forêt. Phot. © Samuel Kirszenbaum

Une mise en scène qui joue la compréhension mutuelle

Spectacle participatif, la Chanson de la forêt n’est pas seulement une pièce de théâtre. Elle intègre les contributions apportées par les divers groupes qui travaillent, séparément, sur le spectacle. Car théâtre, musique et danse sont conjugués dans la conception. La musique proposée par les Dakh Daughters fonctionne comme une transposition musicale du contenu du spectacle. Tantôt en accompagnement, tantôt en intermèdes musicaux, elle jette une passerelle entre le fonds populaire et mythologique et l’époque actuelle. Oscillant entre airs folkloriques et rythmes rock elle fonctionne comme l’un des acteurs du spectacle, renvoyant à l’idée de nature et de simplicité ou accentuant la dramatisation. Elle fournira aux élèves du Conservatoire de musique, et en particulier au violon et aux cuivres, la base d’un travail de longue haleine qui sera mené avec la participation active du directeur de l’école. Les Dakh Daughters apporteront aussi leur connaissance des danses traditionnelles qui émaillent le spectacle. L’une des musiciennes et actrices se rendra dans les classes concernées pour expliquer aux élèves, et à leurs professeurs, la structure de ces chorégraphies et les pas à apprendre. Côté chant, c’est dans la rencontre des langues qu’il s’effectuera et les jeunes chanteurs s’initieront à la langue ukrainienne et à ses sonorités, ouvrant un champ supplémentaire au dialogue avec l’autre.

Ainsi, c’est collectivement en même temps qu'isolément que chaque groupe répétera sa partie. Il n’y aura que trois jours de répétitions générales pour tout mettre en place, le premier avec les comédiens seulement, les deux autres pour agencer l’ensemble du spectacle et mettre au point la régie. Une gageure à relever que l’enthousiasme de chacun rend non seulement envisageable mais réalisé.

Quant à l’objet fini, le spectacle lui-même, si l’on peut regretter que la traduction ait un petit air compassé, que l’articulation texte, musique, chants et danses donne parfois une impression de succession de numéros et n'apparaisse pas comme les parties d’un tout homogène, si l’ensemble n’est pas toujours parfaitement audible, ce qui est lié au non-professionnalisme des intervenants, l’essentiel n’est pas là. L’importance réside dans la mise en mouvement d’une ville, dans l’enthousiasme et l’implication de chacun dans une mise en œuvre commune, par-delà les barrières culturelles ou idiomatiques. L’idée mise en acte de « faire communauté », chère à Lucie Berelowitsch et, peut-être, un dernier feu d’artifice pour la metteuse en scène avant de prendre congé de Vire.

My Loneliness Is Killing Me. Phot. © DR

My Loneliness Is Killing Me. Phot. © DR

My Loneliness Is Killing Me. Marcher dans les pas de Britney Spears.

La compagnie Diplex s’empare de la vie mouvementée de Britney Spears, la « princesse du pop », adulée par les adolescents des premières décennies des années 2000 et l’une des artistes les plus vendues au monde avec plus de 150 millions de disques vendus.

L’histoire de Britney Spears a des allures de conte de fées qui aurait mal tourné. Cette jeune chanteuse, devenue richissime, qui débute une carrière fulgurante à la toute fin des années 1990, on la retrouve dans les années 2000-2010 traquée par les paparazzi qui commentent à loisir ses amours contrariées et ses extravagances de star trop jeune dont les tenues ou le comportement font les délices de la presse à scandale. Cette pression permanente la conduit de cures de désintoxication en traitements psychiatriques, scrutés par les médias. Non seulement elle sombre, mais on lui retire ses enfants et elle est finalement placée, en 2008, sous la tutelle de son père, qui en fait une machine à produire de l’argent. Elle fera appel de cette tutelle dix ans plus tard, en 2019, avec le soutien de ses fans, et en 2022, elle arrêtera sa carrière et publiera ses mémoires l’année suivante.

My Loneliness Is Killing Me. Phot. © DR

My Loneliness Is Killing Me. Phot. © DR

Une histoire de fascination

À travers une conversation, trois amis évoquent leur amour pour la star en empruntant à une galerie de costumes les tenues caméléon qui caractérisèrent les vêtements qu’adopta Britney Spears au fil des évolutions thématiques de ses vingt années de carrière météoritiques. Des extraits d’entretiens de la chanteuse, d’émissions de variété ou d’auditions au tribunal apportent une note complémentaire au jeu qu’introduisent les interprètes par rapport au personnage de Britney. Les tubes de la chanteuse sont rejoués en play-back et des extraits dansés, auxquels participent de jeunes danseuses issues des collèges avec lesquels ont travaillé les membres de la compagnie, révèlent l’évolution de ses chorégraphies au fil des albums, qui sont autant d’états d’âme transposés dans des corps.

Plus qu’un biopic, cette création collective confronte ces vies de fans, incarnés par l’actrice et les deux acteurs qui occupent la scène, à celle de la star, pour interroger son destin hors du commun d’icône adulée mais prisonnière, d’esclave hypersexualisée, de femme maltraitée qui demande, à un moment, qu’on fasse le distinguo entre les illusions de la scène et sa réalité, qu’on lui permette d’être et non plus de paraître. Une émotion non exempte d’un regard critique devant l’hyper médiatisation de notre société. Drôle, dynamique et pleine d’allant, cette création tout public est pensée comme une forme légère, adaptable en tous lieux.

Au-delà des spectacles, un bal ADO clôturera le Festival, au Préau, à Vire, le mardi 20 mai à 20h. Le moins qu’on puisse dire est que les réactions des jeunes, dans les salles, sont enthousiastes…

Phot. © DR

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La Chanson de la forêt Texte Lessia Ukraïnka (1911), traduit en français par Henri Abril en 1985
S Mise en scène Lucie Berelowitsch S Collaboration artistique Baptiste Mayoraz S Avec les Dakh Daughters - artistes associées Natacha Charpe-Zozul, Natalia Halanevych, Ruslana Khazipova, Solomiia Melnyk et Anna Nikitina & Guillaume Bachelé, Lépoldine Hummel, Clara Lama Schmit - comédienne permanente au Préau, Baptiste Mayoraz et Thibault Lacroix. & plus d’une soixantaine de jeunes du territoire de Vire S Éléments de costumes les élèves du BTS Métiers de la mode du Lycée professionnel Jean Mermoz (Vire), avec l’accompagnement de Ève Le Corre-Le Trévédic et Malika Maçon S Scénographie et lumières François Fauvel S Sonorisation Mikaël Kandelman S Production Le Préau CDN de Normandie-Vire S Avec l’aide de la Drac Normandie, la Région Normandie et du Département du Calvados S Avec le soutien des Théâtres de la Ville du Luxembourg S Durée 1h30 S À partir de 10 ans

Calendrier de réalisation
S Première lecture le 27 janvier 2024 Dans le cadre des Samedis au Théâtre, organisés aux Théâtres de la Ville du Luxembourg
S Répétitions entre octobre 2024 et avril 2025 Avec l’accompagnement des partenaires et des professeur·e·s relais (Conservatoire de Vire Normandie, Lycée Marie Curie, Ecole de Musique de Noues-de-Sienne)
S Répétitions les 10, 11 et 12 mai 2025 Avec l’ensemble de l’équipe artistique
S Représentations les 13, 15, 16, 19 et 20 mai 2025 au Préau (Vire) Dans le cadre du festival À VIF https://www.lepreaucdn.fr/

My Loneliness Is Killing Me
S Texte et mise en scène Flavien Beaudron, Stephen Bouteiller, Céline Ohrel, Wandrille Sauvage S En partenariat avec Chorège - CDCN Falaise S Dès 14 ans S Durée 1h15
Représentations
14, 15, 16 & 20 mai 2025 à 11h00 - Lycée Mermoz, Vire
21 mai 2025 à 20h30 - St-Germain-du-Crioult

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