11 Mai 2025
À l’occasion de la 10e édition du festival Youth is Great, créé par le Grand Bleu à Lille, les jeunes sont associés à une création faite pour eux et avec eux par Alexandra Fleischer et Joachim Latarjet. Un moment fort sur le thème de la « Fiesta », choisi cette année par le projet Lille3000, qui rassemble expositions, fêtes et célébrations, expositions, installations, spectacles mais aussi bals et balade gourmande à vélo.
Le désir de « faire communauté » sous-tend la démarche du Grand Bleu, une scène conventionnée Art, Enfance et Jeunesse créée en 1981, qui envisage la place du spectacle vivant pas seulement sous l’angle de la « consommation », mais l’utilise comme un outil pour rassembler, provoquer des rencontres et faire en sorte que les spectateurs fassent de la culture leur affaire, dans un rapport de proximité avec les artistes. Parcours de spectateurs, labos de pratique artistique, projets de forme participative, matinées créatives à partager en famille, spectacles décentralisés s’ajoutent à la volonté d’initier les jeunes à la réalité du théâtre en les faisant participer à son élaboration. L’équipe du Grand Bleu met aussi en avant la nécessité de trouver des chemins d’accès pour ceux qui, traditionnellement, ne franchissent pas la porte des théâtres.
Cette ouverture au monde, qui passe par une porosité entre la création et le public trouve l’une de ses expressions dans la mise en place de résidences d’artistes, qui familiarisent le public avec le processus même de mise en oeuvre d’un spectacle qu’il peut voir en « chantier » et dont il mesure aussi la mobilisation, pas seulement artistique mais aussi technique et pratique. Cela passe aussi – c’est le cas pour Boum-Boum-Boum – par la création d’un spectacle participatif qui met en mouvement les forces vives du lieu d’implantation : le théâtre qui est à l’initiative du projet, mais aussi toutes les institutions qui interviennent dans les domaines les plus divers, dans la culture, la santé, l’éducation, les services sociaux, les accueils de migrants, ou autres, et les innombrables associations qui quadrillent généralement une ville et lui donnent sa physionomie particulière, son identité propre, sa différence et son supplément d’âme.
À la base du projet, un duo qui devient trio
C’est dans ce contexte que naît Boum-Boum-Boum, à la croisée du théâtre et de la musique qui caractérisent la démarche d’Alexandra Fleischer et de Joachim Latarjet, réunis dans la compagnie Oh ! Oui. Ils sont artistes associés pour une durée de trois ans à Lille. Joachim Latarjet est multi-instrumentiste, compositeur et comédien, Alexandra Fleischer plus orientée vers le théâtre et le jeu. Et comme le thème de la fête, choisi pour l’édition 2025, est indissociable de la danse, le spectacle intègrera le mouvement dansé dans son projet, avec la complicité du danseur, chorégraphe et performeur Alexandre Théry, qui l’organisera, en relation avec le texte et la musique. Les équipes techniques du Grand Bleu assureront la régie du spectacle, apportant leur contribution aux éclairages, jets de fumée et autres artifices. Le maître d’œuvre en sera Joachim Latarjet, qui en invente le synopsis et crée la musique.
Boum-boum-boum. Trois générations de jeunes s’emparent de la fête
Pour créer le spectacle, Joachim Latarjet s’appuie sur des rencontres qu’il effectue avec des jeunes dans les écoles. Trois tranches d’âge, correspondant aussi à des perceptions différentes de la fête liées aux évolutions des centres d’intérêt en fonction des âges sont mis en avant : le groupe des 8-10 ans, les « boums », à l’âge des pyjama-parties, des copains et des fous rires innocents ; les 11-13 ans (les « boums-boums »), en plein éveil de l’adolescence, avec ses troubles et ses incertitudes, et la volonté de marcher hors des traces des « grands » ; les 14-19 ans où la rupture avec l’enfance est consommée.
À chacun de ces groupes Joachim Latarjet associe un type de développement musical : la voix pour les petits, un accompagnement acoustique pour les moyens, les instruments électriques et électroniques et leur dynamique pour les plus grands. Ses musiques originales intègreront les petites voix flûtées de la chorale de l’école Lalo, la fanfare du collège Nina Simone et, sur l’ensemble du spectacle, les interventions musicales aux claviers, cordes et percussions ainsi qu’à la voix des étudiants et étudiantes de l’École supérieure de Musique et Danse des Hauts-de-France, en passe de devenir professionnels.
Pour ce qui est des acteurs, une trentaine de jeunes participe au spectacle, alors qu’on en attendait la moitié – tous les « recrutés » de départ sont demeurés « accrochés » au projet alors qu’habituellement des abandons interviennent en cours de route – et ils intègrent dans leur groupe des jeunes issus de milieux défavorisés ou des handicapés.
Une aventure riche mais « sportive »
Il fallait, disent Alexandra Fleischer et Joachim Latarjet, éviter un certain nombre d’écueils pour que la perception de la fête, de ce qu’elle raconte, de ceux qu’elle convie, des questions qu’elle fait surgir reste vivante.
La première difficulté, avec ces comédiens d’occasion, c’est le texte. Joachim Latarjet l’écrit en s’inspirant des propos recueillis et le modifie au fil des improvisations pour « aller dans le sens de leurs propositions », mettre en avant l’idée de plaisir du jeu et échapper à la récitation. Chacun évoquera ses premiers souvenirs de fête. On y intègrera ceux dont la parole est hésitante. On y parlera aussi bien du must des bonbons que de la biture des parents, des anniversaires que des carreaux qu’on casse par accident dans le feu de l’action, et on s’amusera des aventures du « fils du coloc’ de la belle-mère de ma cousine ».
Il faut prendre en compte, dans la conception, les diktats, tabous et refus liés à l’âge des acteurs, particulièrement dans les rapports filles-garçons. Quand il s’agit d’aborder, par exemple, la possibilité pour les garçons et les filles de s’enlacer pour danser un slow, c’est un mur d’interdits qui se dresse face au simple acte de se toucher. Le spectacle reflètera cette impossibilité dans un échange à plusieurs voix sur le thème : « Le slow, c’est mort ! »
Il faut intégrer ceux qui sont à l’aise avec leur corps et ceux qui le sont moins, ceux qui singent les numéros de variété que déversent les télés et se rêvent en stars, les agités hyperactifs impatients de jeter sur scène, qui une roue ou un grand écart, qui une figure de hip-hop ou de breakdance. Charge à la chorégraphie de saisir les idées au vol et, en même temps, de régler les mouvements de groupe, les gestuelles dansées, les figures imaginées par le chorégraphe.
Il faut enfin tenter à tout crin de ramener une concentration qui ne cesse de fuir quand tous s’éparpillent et que les groupes s’égayent à travers la salle. Un joyeux désordre, où la ligne directrice est sans cesse rappelée par Joachim Latarjet mais laisse une place, en permanence, à l’idée nouvelle surgie du hasard de l’interprétation des consignes, qui, parfois, vient modifier le synopsis et oblige à revoir les tops départ par rapport à la musique ou à prolonger un motif musical pour lui donner droit de cité.
Du côté de la musique
La musique sert de déclencheur à tout le spectacle. Ses changements de rythmes ou d’airs engendrent chaque fois la mise en place d’une nouvelle séquence, une autre vision de la fête, et Joachim Latarjet, le trombone à la main, règle en chef d’orchestre l’évolution de la musique, qu’il a écrite, en même temps qu’il indique d’un signe les entrées en scène qui leur sont liées.
Il lui faut reprendre, en les transformant, les musiques à danser que les jeunes fredonnent, comme les Démons de minuit, ces airs qui tournent, malgré soi, de manière obsédante dans la tête, et jouer avec ces paroles que les jeunes connaissent par cœur et s’échangent, se renvoient, les slamer et mélanger toutes les musiques, tous les rythmes qui sont des composantes de la fête. Tantôt jazzy, la musique aborde aussi les rives du disco, du rap, du funk et du rock.
C’est en seulement dix-sept jours dévolus à la création que les répétitions « scéniques » et musicales se succèdent. Les chorales répètent dans leur école, avec les enseignants, et les étudiants de l’École supérieure de musique bûchent leur partition avant d’intervenir collectivement parallèlement à la mise en place du texte et des actions théâtrales et chorégraphiques sur scène car ils épauleront le spectacle de bout en bout. Sur scène on saute du réglage des instruments ou de leur apparition sonore à la coordination avec le jeu.
Coller ensemble les morceaux
Voir s’articuler ensemble les éléments du puzzle dans le filage où tous les éléments, mis bout à bout, révèleront ou pas la réussite du spectacle, est, dans ce contexte, une aventure en soi, compte tenu des nombreux aléas qui épicent les ingrédients du processus créatif. Ce qui en ressort est loin d’être négligeable car, malgré la dispersion et l’apparent désordre, le spectacle est en place. Et avec lui une qualité qui dénote considérablement avec nombre d’expériences de ce type menées ailleurs.
En premier lieu parce que le travail musical, théâtral et chorégraphique se démarque considérablement du prototype du « spectacle de fin d’année » auquel nous ont habitués les spectacles réalisés avec des non-professionnels. Non seulement on découvre une musique exigeante et riche de sonorités venues de partout, très bien interprétée par ces presque-professionnels musiciens, mais la prestation de chant demandée aux très jeunes choristes, martelée à coups de gérondifs anglais ou comportant des variations de tons assez subtiles offre une vraie proposition musicale, difficile pour ces enfants « boum ».
Ensuite parce qu’en dépit des maladresses inhérentes à l’exercice, toute la gamme des situations scéniques est explorée, depuis le monologue ou le dialogue jusqu’au travail en chœur ou en partition collective d’un même texte, alternant narrations et mises en situation, sans oublier l’adresse directe au public en sollicitant son attention pour un geste non anodin, celui de « prêter » l’oreille.
Enfin parce que dans les courses folles qui lient un fauteuil roulant qui déboule à toute allure et une chorégraphie qui s’organise, dans ces séquences qui expriment la non-communication absolue entre des filles et des garçons qui se font face avec hostilité, incompréhension ou mépris sur des tabourets, à l’opposé de leur désir, et à travers ces séquences dansées où l’on échappe aux pointes classiques pour trouver les chemins d’une gestuelle contemporaine parlante, qui joue la disharmonie, le rythme et le mouvement, on trouve un véritable intérêt, en dépit de l’imperfection des réalisations inhérente à l'exercice et au temps imparti.
Boum-Boum-Boum grouille d’animation et de vie et cette dynamique imprègne un spectacle où l’humour est présent en même temps qu’une certaine poésie, par exemple lorsqu'un adolescent franchit la ligne rouge de l’opposition des genres pour offrir à la jeune fille qui l’émeut le texte qu’il a écrit pour elle.
Une aventure humaine
Lorsqu’à la fin du spectacle, les jeunes se rassemblent en ronde autour du fauteuil roulant de l’handicapé qui tourne sur lui-même, l’image synthétise ce qui est fondamental dans ce projet : une aventure humaine, avec toute sa charge émotionnelle. C’est ce que déclarent les jeunes à la fin du spectacle en remerciant ceux qui leur ont permis d’être là. Ils ne se connaissaient pas. Ils ont appris à le faire, travaillé ensemble, malgré et avec leur différences, formé un groupe, noué des amitiés dont ils comprennent l’importance. Ils ont partagé une expérience de vie. Le fait que le déclencheur – le projet de spectacle – ait joué la qualité et l’exigence ne fait qu’ajouter un supplément artistique à une démarche aussi exemplaire qu’intéressante.
Boum-Boum-Boum. S Tiré de témoignages d’enfants et d’adolescent·es S Une création orchestrée par Alexandra Fleischer, Joachim Latarjet et Alexandre Théry S Production Le Grand Bleu, Lille S Créé les 10 et 11 mai 2025 au Grand Bleu S Durée 1h environ
En ce moment, la compagnie Oh ! Oui tourne avec un ciné-concert, BRICOLO, à partir de 3 ans, où Alexandra Fleischer et Joachim Latarjet rendent hommage à Charley Bowers, génie du cinéma muet, à travers un spectacle musical pour les tout-petits.
12 > 16 mai 2025 : Vitry-sur-Seine – Théâtre Jean Vilar