10 Juin 2024
Le cirque est un art en pleine effervescence. Pluridisciplinaire, la sélection de Circusnext présentée depuis plus de vingt ans au Théâtre de la Cité internationale est pour la première fois majoritairement féminine : 6 femmes sur 8 artistes. Un éventail de propositions pour la plupart décalées et poétiques.
Triés sur le volet
Circusnext, anciennement Jeunes Talents Cirque Europe, est un réseau européen qui encourage et soutient les artistes émergents du cirque contemporain. Il compte à présent 25 lieux partenaires dans 15 pays. Au fil du temps, il a révélé des artistes aujourd’hui incontournables comme Baro d’evel, Camille Boitel, Galaktik Ensemble, Alexander Vantournhou et bien d’autres qui ont conquis les pistes de cet art hors classe. Circusnext doit bientôt s’installer à la Ferme Montsouris, dans le 14e arrondissement, un nouveau lieu de la Ville de Paris consacré au cirque.
Un jury de professionnels et artistes des nations partenaires a, en février 2023, sélectionné, parmi 120 dossiers, 36 équipes qui ont bénéficié de laboratoires dans 5 pays d’Europe. Parmi eux, 12 finalistes ont eu droit à une coproduction et à des résidences dans les lieux membres de Circusnext Plateforme, en Europe. À l’arrivée, 4 projets de spectacles sont présentés au Théâtre de la Cité internationale à Paris, sous un format de vingt minutes : des travaux en devenir mais suffisamment aboutis pour être montrés au public.
Le Soulèvement de la Terre : le Bruit des Pierres, par la compagnie Maison Courbe (Nina Harper, Domitille Martin, Ricardo Cabral) / Acrodanse, aérien - France
Il faut écouter les pierres, elles nous transmettent les messages de notre Planète, en souffrance depuis que l’homme creuse le sol à la recherche de minerai. Ainsi l’entend le trio qui s’est rassemblé pour en décrypter la sagesse. Tombées du firmament ou ancrées au sol, les pierres relient ciel et terre. Elles sont des trésors que la sculptrice Domitille Martin tapisse de feuilles d’or, des galets bons à croquer : Nina Harper ne s’en prive pas. La danseuse aérienne acrobate, venue du Brésil et formée à l’Académie Fratellini, apprivoise ensuite ce matériau à l’état brut. Ces rochers, suspendus au-dessus du plateau comme de grands mobiles, créent d’étranges agrès qu’elle escalade, défiant la pesanteur, à la conquête de l’espace. Sous la lumière, ils brillent comme les étoiles d’une galaxie lointaine pour dire la beauté du monde que l’humain abime. Ces vingt minutes magiques, orchestrées par des textes du Brésilien Ricardo Cabral contre le pillage de la Planète, promettent une belle performance, prévue au Théâtre municipal de Grenoble en mars 2025.
La Beauté en question : Saucisson, de la compagnie Taigi Cirkas (Elena Kosovec, Izabele Kuzelyte) / Acrobatie aérienne - Lituanie
Elles sortent de housses en plastique suspendues aux cintres. Figures féminines conservées sous naphtaline, Elena Kosovec et Izabele Kuzelyte viennent bousculer l’image de la belle circassienne au corps parfait. L’une déguisée en fausse Marilyn, robe de soie et perruque blonde, joue à la dame assise sur un air d’opéra, genre sois belle et tait-toi. L’autre quitte lentement sa chrysalide aérienne, glissant au sol le long d’un cordon ombilical rougeâtre. Sorte de poupée à la mode surréaliste, dans la lignée de Hans Bellmer, désarticulée, elle se contorsionne au sol ou suspendue à son filin sanguinolent. Saucisson tourne en dérision la féminité à partir d’images conventionnelles contrastées (la Barbie et la mère), dans la lignée du concept féministe de « post beauté ». C’est gentiment destroy, drôle et provocateur. Les deux acrobates ont créé leur compagnie à Vilnius en 2016 et sont des membres actives de la communauté du cirque contemporain lituanien.
Danse avec la roue : Là où la nuit n'est pas si loin puisque le jour s'en va déjà, de Noa Aubry / Roue allemande - France
La roue allemande, d’abord destinée à la gymnastique, a gagné les pistes de cirque dans les années 1990, en même temps que la roue de Cyr, son dérivé, créée par Daniel Cyr. Elle comporte deux anneaux reliés par des montants horizontaux, auxquels l'artiste s'accroche à l'aide de ses pieds et de ses mains pour créer des figures. Noa Aubry apprivoise ce lourd agrès dans des éclairages rasants. Elle évolue avec lenteur dans le clair-obscur, bercée par les changements de lumière et sur une musique sourde et répétitive. Souvent immobile, elle défie la force d’inertie du grand cerceau métallique, n’hésite pas à le quitter un temps, pour mieux le chevaucher, et surfer sur les vagues sonores. Elle se fige, écartelée comme l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, une étude des proportions du corps humain, ou épouse de son corps la rotondité de l’appareil. Par des mouvements de flux et de reflux ou des balancements incessants de la roue sur elle-même, elle nous invite à un voyage hypnotique.
Le corps en morceaux : Fragmentos, de la compagnie La Víspera (Vinka Delgado, Diego Hernando) / Mât chinois, marionnette - Espagne
Une femme à quatre jambes, à quatre bras, à deux têtes. Le corps féminin ici se décompose et se recompose pour créer des mannequins à figure humaine et inversement. Masques, prothèses et autres artifices marionnettiques, portés par trois interprètes, tracent sous les traits d’une être unique, un portrait démultiplié. Au pilori d’un mât chinois, une martyre à double buste s’érige en majesté christique...
« La fragmentation est un outil pour briser la douleur. Quand la souffrance est trop lourde à traiter, l’esprit se divise », confie Vinka Delgado. Plasticienne reconvertie à la danse et au cirque, avec Diego Hernando, magicien du trompe l’œil et de la lumière, elle emprunte au registre sado-maso pour dénoncer les violences faites au femmes, les injonctions à la normalité ou les douleurs psychiques... Ces états du corps s’inscrivent dans une imagerie surréaliste toute hispanique, à la Luis Buñuel ou Salvador Dali... À la fois drolatiques et cruelles. Au regard de ces vingt minutes déjà très abouties, le duo espagnol nous promet une belle réussite.
Ces projets, lauréats de Circusnext 2024, ont été présentés au Théâtre de la Cité Internationales les 5 et 6 juin 2024. Ils devraient être créés en 2025. Les informations les concernant sont donc encore parcellaires. Seules celles concernant le Bruit des pierres nous sont connues.
Le Bruit des pierres par la Compagnie Maison Courbe (Nina Harper, Domitille Martin, Ricardo Cabral) S Écriture, mise en scène et interprétation Nina Harper, Domitille Martin et Ricardo Cabral S Régisseur général et plateau Vincent Van Tilbeurgh S Dramaturge Tristan Garcia S Regard extérieur Fragan Gehlker S Musique Nova Materia (Eduardo Henriquez et Caroline Chaspoul) S Partenaires Ville de Grenoble et département de l’Isère S Coproduction Théâtre Municipal de Grenoble, les Subsistances à Lyon et Le Vellein, scènes de la CAPI – Isère.