11 Mai 2024
Le groupe Baro d’evel aime se poser là où on ne l’attend pas. Il a délaissé les animaux, vrais et faux, pour explorer les voies du concert mais, comme à l’accoutumée, un subtile détournement s’est produit.
Une curieuse structure sur laquelle veillent deux personnages présents dans le noir trône au milieu de la scène. Elle va s’ouvrir, dévoilant des alignements de poteries de toutes tailles et de toutes formes. L’harmonium, avec son soufflet qui le rapproche de l’accordéon, ouvre le bal. Les deux escogriffes sur le plateau s’échinent à déplacer les poteries mais le sol est décidément récalcitrant : il glisse sous les pieds de celui qui pousse les pots. Bientôt l’autre s’installe à la guitare électrique. Le ton est donné. Nous sommes sortis des repères habituels du concert sans être dans celui du spectacle musical car la trame est ténue, aussi ténue qu’évanescente. Il ne reste plus à la chanteuse , Camille Decourtye, qu’à nous introduire dans une chanson qui parle d’endroit où se cacher pour s’arrêter, faire un break, retrouver son souffle.
À orchestration insolite répertoire multilingue
En anglais, en français, en espagnol, ce sont des histoires de vie qu’elle raconte, de nécessité d’un refuge quand tout se casse la gueule, d’un lieu à susciter des envies envers et contre tout, d’un lieu qui permette de revenir en arrière et de se poser la question de ce que sera demain, d’un lieu où l’on puisse s’aimer même quand tout est perdu. Sa voix grimpe dans les aigus et se rapproche du cri, elle sombre dans les profondeurs dramatiques de sa cage thoracique tandis que la batterie, l’harmonium et la guitare écrivent eux aussi cette partition de l’émotion, de la passion et du désespoir. Bientôt le chant sera relayé par Blaï Mateu Trias qui remplace toute velléité de paroles par des onomatopées éloquentes tandis que les poteries se transforment en flûtes ou en percussions et que les pas deviennent rythmes et battements, parfois inspirés du flamenco. L’univers musical se transforme et la guitare électrique, jouée à l’archet, se prend des airs de violon ou de contrebasse.
Une histoire, des histoires
Dans ce parcours où apparaissent incidemment les raisons qui ont motivé la création du spectacle – l’arrêt forcé provoqué par le confinement, qui laisse le champ libre à une investigation détachée des contingences – d’autres récits s’installent. C’est d’abord le chemin labyrinthique que Blaï Mateu trace à la craie sur les parois ouvertes qui ont défini l’espace scénique. Une voie continue en zigzag qui mène d’un point aléatoire à un autre avant que des directions ne se dessinent ou que la discontinuité s’installe. Il y a aussi l’histoire des corps qui se cherchent et se mélangent dans la danse, qui s’enroulent ensemble et se déroulent, qui s’aiment du bout de leurs lèvres scellées ensemble et se le disent avec le corps, mêlant, après les arts plastiques, l’acrobatie au propos. Le corps est musique et la musique est corps. Et c’est au sol, dans un rapport à la terre et non dans l’élévation, que s’élabore la chorégraphie.
Une terre omniprésente
Cette terre, c’est aussi celle qui tourne et que tourne, au sens propre puisque Blaï Mateu. Installé devant un tour de potier, il monte à vue une poterie. Cette technique, il l’a explorée durant le confinement et elle fait entrer la vie au-delà du spectacle. Une vie proliférante dans l’accumulation des objets présents sur scène, qui eux-mêmes vont au-delà de leur existence utilitaire pour devenir écho des motifs tracés à la craie en même temps qu’instruments de musique et accessoires de scène qui prendront la direction de l’imaginaire. On retrouve la marque de fabrique de Baro d’evel, la volonté de faire toujours un pas de côté par rapport à ce qu’on attend, de s’ouvrir sur une investigation qui fait disparaître les frontières, de quelque nature qu’elles soient avec un appétit de vie qui porte tout le spectacle. Le public ne s’y trompe pas. Il ovationne un spectacle aussi inventif qu’inattendu. Dans leur « cachette », les Baro d’evel et leur complice guitariste, Nicolas Lafourest, ont retrouvé leur souffle.
La Cachette
S Auteurs et artistes interprètes Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias et Nicolas Lafourest S Régie lumières Enzo Giordana S Régie son Brice Marin S Directeur délégué / Diffusion Laurent Ballay S Administratrice de production Caroline Mazeaud S Chargé de production Pierre Compayré S Attaché à l’administration Élie Astier S Stagiaires polyvalents Lucien Ballay et Juliette Gradat S Production Baro d’evel S Coréalisation Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord S Ce spectacle a été créé en étroite collaboration avec le théâtre Garonne, scène européenne S La compagnie est conventionnée par le ministère de la culture et de la communication – Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Occitanie / Pyrénées – Méditerranée et la Région Occitanie / Pyrénées – Méditerranée S Durée 1h
Du 10 au 18 mai 2024, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre des Bouffes du Nord – 37, bis, boulevard de La Chapelle, 75010 Paris
De Baro d’evel, voir aussi Mazùt, du 22 mai au 7 juin aux Bouffes du Nord