29 Février 2024
Marica Marinoni et Juan Ignacio Tula ont fait de la roue Cyr l’instrument de leur langage. La succession de leurs deux soli, dans leur complémentarité, offre un moment esthétique fort et une forme de réflexion circassienne sur les comportements humains.
Pour tout accessoire, une sorte d’immense cerceau d’un poids impressionnant – près de quinze kilos – que Marica Marinoni et Juan Ignacio Tula manipulent avec aisance comme s’il ne pesait rien, ou presque. Pourtant l’instrument semble doué d’une vie propre dès lors qu’on le met en mouvement. Mis en branle par une impulsion, il peut tournoyer sur lui-même, décrire des cercles concentriques en même temps qu’il adopte dans l’espace un parcours sinusoïdal. Il peut s’enrouler autour de son manipulateur, tracer avec lui les figures d’un ballet ou, à la manière de l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, l’inclure à l’intérieur de son périmètre. Autant dire qu’il remplit l’espace et offre des opportunités relationnelles que les deux artistes explorent, chacun à leur manière.
Lontano. Comme un combat de boxe.
L’Italienne Marica Marinoni ouvre le bal en jouant la confrontation, en opposant distance et proximité, rapprochements et éloignements. Comme deux adversaires entrant dans l’arène qui s’observent, se frôlent subrepticement et se testent avant de se livrer à un corps à corps, elle se glisse le long de la roue, la fait jouer presque insensiblement d’une main sur l’autre, d’un bras sur l’autre, en y engageant une épaule puis en la retirant, en laissant à la roue un champ libre, une autonomie dans laquelle elle se glisse puis s’échappe avant de reprendre le contrôle. Bientôt le rythme s’accélère, le corps à corps se fait plus âpre, la lutte plus franche. Le grondement d’une foule en délire se fait entendre. Il faut à la circassienne la force de résister au mouvement de la roue qui l’entraîne d’un côté, puis de l’autre, qui la projette à sa suite dans son mouvement circulaire, garder le contrôle alors que les mouvements s’intensifient et s’accélèrent dans un déplacement plus erratique. Elle prend des risques, roule, esquive, tombe et se relève avant de retomber puis de se relever, engageant toutes ses forces dans une résistance acharnée, livrant un combat aussi fascinant que sans merci où elle se livre à corps perdu, qui n’est pas sans rappeler celui des Filles du renard pâle avec lesquelles elle collabore pour leur dernier spectacle, Révolte !
Instante. Sur un air d’éternité et d’immanence.
Tout autre est l’approche du danseur et acrobate originaire d’Argentine Juan Ignacio Tula, engagé dans un mouvement de rotation incessant qui n’est pas sans rappeler la danse des derviches tourneurs et la mystique soufie. Tourner à s’oublier, à perdre la raison, en faisant fi de tout repère, dans un mouvement éternellement recommencé qui vous transporte ailleurs, loin des contingences du corps. Pourtant rien n’est uniforme dans le mouvement de rotation qu’il imprime. Les pieds marquent leur rythme propre, entre pointes et plats formant des figures complexes, les bras passent insensiblement d’un côté à l’autre de la roue, la taille, la poitrine, le buste, la tête et le cou sont mis à contribution. Mais les échos du monde extérieur transpercent parfois l'uniformité sans faille par où l'esprit s'évade et se font source de douleur avant que ne reprenne la course circulaire hors du temps. Bientôt c’est une danse des voiles que dessine le mouvement giratoire, avec le costume de l’acrobate ou une couverture de survie vif-argent qui laisse dans l’espace une trace lumineuse et se transforme, sans que le mouvement ne s’arrête, en foulard, en jupe ou en turban. La lumière stroboscopique qui tombe sur cette rotation sans fin démultiplie les traces de la roue, la dépouillant de sa matérialité pour en faire matière à penser, dans une suite d’échos concentriques qui, de manière hypnotique, ouvrent la porte au rêve et font de ce voyage un voyage intérieur.
Ainsi les deux pièces proposent-elles deux façons complémentaires d’être au monde, dans la confrontation ou dans la transcendance. Dans l’un comme dans l’autre cas, elles offrent une expérience extrême dont le dépassement de soi est la clé.
Lontano / Instante Marica Marinoni / Juan Ignacio Tula Compagnie 7bis
Lontano
S Conception et création Marica Marinoni et Juan Ignacio Tula S Avec Marica Marinoni S Création lumière Jérémie Cusenier S Création sonore Estelle Lembert S Création costumes Gwladys Duthil S Regard extérieur Mara Bijeljac S Régie en alternance Estelle Lembert et Célia Idir S Production Compagnie 7bis - Juan Ignacio Tula S Coproduction Le festival UtoPistes en partenariat avec La Mouche – Théâtre de Saint-Genis-Laval, Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie – La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf, LE PALC-Pôle National Cirque Grand Est (Châlons-en-Champagne), MA scène nationale – Pays de Montbéliard, Théâtre de SaintQuentin-en-Yvelines, La Verrerie d’Alès, Pôle National Cirque Occitanie, Centre culturel Agora – Pôle National Cirque de Boulazac, Le Vellein, scènes de la CAPI – Isère S Avec le soutien de la SACD / Processus Cirque, de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes au titre de l’aide à la création et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes
Instante
S Conception et création Juan Ignacio Tula S Avec Juan Ignacio Tula S Création lumière Jérémie Cusenier S Création sonore Gildas Céleste S Création costumes Sigolène Petey S Régie en alternance Estelle Lembert et Célia Idir S Diffusion et production Triptyque Production – Andréa Petit-Friedrich, Marie Greffier S Administration Anne Delépine
S Production Compagnie 7bis - Juan Ignacio Tula S Remerciements à la Compagnie Les mains, les pieds et la tête aussi pour son accompagnement et son soutien S Accueil en résidence & coproduction Espace Périphérique, Parc de La Villette – Mairie de Paris, MA scène nationale – Pays de Montbéliard, Le festival UtoPistes en partenariat avec Les Nouvelles Subsistances et la Maison de la danse, Lyon
28 février — 3 mars 2024 Du mercredi au vendredi, 20h – samedi, 19h – dimanche, 15h30
Théâtre du Rond-Point – 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris
Rés. T. 01 44 95 98 21 – www.theatredurondpoint.fr
TOURNÉE
16 et 17 avril 2024 Festival Splatch à La Passerelle, scène nationale / Saint-Brieuc (22)
27 et 28 avril 2024 Lontano Festival Circ d'Ara Mateix - Mercat de les Flors / Barcelone (Espagne)
16 au 20 mai 2024 Circus Dance Festival / Cologne (Allemagne)