29 Mai 2025
450 enfants défileront, de la Canebière à l’Hôtel de Ville pour dire et danser leurs revendications. Une méga fête sur le mode hip-hop, coordonnée par la chorégraphe Marina Gomes.
De Toulouse aux quartiers Nord de Marseille
Passionnée de hip-hop depuis l’enfance, Marina Gomes fait ses premiers pas de danse dans le quartier populaire du Mirail, à Toulouse. Sa compagnie, Hylel, est désormais installée à Marseille, depuis 2019 où elle défend une culture urbaine indissociable de son engagement citoyen. Elle entend porter, dans l’espace artistique, des histoires de vie recueillies auprès de personnes invisibilisées sur lesquelles sont projetées nombre de représentations péjoratives et déshumanisantes.
« Mon parcours est atypique, dit-elle, j’ai toujours dansé, danse urbaine et contemporaine, mais j’ai suivi par ailleurs un cursus de psychologue pour avoir un “vrai métier”, ce qui rassurait mes parents. Quand j’ai exercé dans le domaine de la protection de l’enfance, j’ai mesuré l’importance qu’il y avait à donner la parole aux enfants. De ce fait, mes chorégraphies sont surtout orientées vers la jeunesse. Une jeunesse des quartiers populaires, souvent perçue de manière négative. »
Un séjour en Colombie a été décisif : « À Medellín, j’ai travaillé avec des associations qui œuvrent à pacifier des zones en proie à l’ultra violence, notamment par des actions artistiques et de mémoire, auprès de collectifs de jeunes habitants. On les aide à prendre leur destin en main : on doit s’émouvoir des victimes de “narchomicides“, car rien ne justifie ces crimes. Cela m’a aussi montré que je pouvais monter ma propre compagnie avec des jeunes au parcours artistique atypique. »
Dans la foulée, elle crée Asmanti (Midi - Minuit), à partir de rencontres avec des jeunes du Mirail à Toulouse et ceux du Nord de Marseille. C’est la journée d’une bande, chorégraphiée à partir de situations vécues, dans l’esprit du hip-hop et du rap. C’est selon le même principe qu’est né Bach Nord (Sortez les guitares), présenté en ouverture du festival de Marseille 2023, avec des adolescents des quartiers Nord. Il s’agissait de réhabiliter l’image de cette banlieue et de ses habitants, que Marina Gomes estimait avoir été stigmatisés dans le film de Cédric Jimenez, Bac Nord.
La Cuenta [Medellín-Marseille] a vu le jour en résonnance avec les collectifs de Colombie, et parle des homicides liés au narcotrafic, du point de vue des femmes. Cette pièce, pour « 3 interprètes et 49 morts » est nourrie de rencontres avec des mères, épouses, sœurs de victimes : « Cela m’a permis d’aborder la question de la résilience que peuvent apporter la parole et la danse. » Une action du même type sera menée à Mantes-la-Jolie, avec les mamans d’une association du Val-Fourré, un quartier où il y a eu des rixes.
Manifête: une méga organisation
Les premiers ateliers avec les écoliers et collégiens – entre 8 et 14 ans – ont débuté le 24 janvier dernier, menés par le Badaboum théâtre, une compagnie phocéenne qui organise depuis 1990, pour les enfants à partir de 3 ans, des ateliers et stages de théâtre et de cirque, afin de les sensibiliser au monde qui les environne et de les éveiller au débat démocratique. À chaque classe – tous quartiers de Marseille confondus – d’amener ses propositions, lors de « démêlées d’idées » : « On leur donne des outils pour construire une revendication collective dans un cadre esthétique dont le contenu est travaillé par la scénographie. »
Charge ensuite à la plasticienne, Alice Ruffini, de leur faire réaliser, à partir de leurs mots, banderoles et pancartes que chaque classe emporte pour se rendre au défilé. Avant le grand jour, les élèves auront répété la chorégraphie de Marina Gomes – la même pour toutes les classes – avec les danseurs de la compagnie Hylel. Il faudra aussi que les participants s’entraînent à « déclamer » et chanter leurs revendications, en évitant les débordements. « Nous leur apprenons à s’écouter mutuellement, à prendre soin les uns des autres. Ce n’est pas un projet centré sur les individualités mais un travail collectif », précise Marina Gomes.
Pour harmoniser cet ensemble, on peut compter sur la musique d’Arsène Magnard. Entre techno, shatta et reggaeton, il crée depuis 2019 les bandes originales des pièces de la compagnie Hylel, en étroite collaboration avec l’écriture chorégraphique.
Ainsi entraînés, les enfants, d’habitude assignés à des espaces spécifiques (école, parcs), vont pouvoir explorer et s’approprier autrement les lieux urbains où ils n’ont pas une place naturelle.
Des revendications surprenantes
« J’ai été surprise par leurs slogans, d’une grande maturité, dit la chorégraphe. Ils ont tout compris et savent bien mettre le doigt sur les problèmes. Quel que soit le quartier d’où ils viennent, ils sont conscients des questions d’écologie, de racisme de justice. Ils sont inquiets et se positionnent sur des sujets politiques. Ils proposent un vrai programme dont on pourrait s’inspirer. Qu’on leur donne les clefs du pays ! »
Les professeurs, aux dires des animateurs, ont accueilli le projet Manifête avec beaucoup d’intérêt, une opportunité pour eux d’aborder certains sujets délicats. Mais ce sont les enfants eux-mêmes qui s’exprimeront librement, sur la place publique, et pourront ainsi affirmer leur citoyenneté, soutenus par une création dont ils sont à la source. Ils y racontent aussi leurs rêves d’une société meilleure pour eux et les autres générations.
Les artistes ne souhaitent pas dévoiler la teneur de leurs réclamations avant la manif, elles sont à découvrir le 12 juin prochain. Venus des rues adjacentes, les différents cortèges afflueront en dansant sur la Canebière, selon une logistique orchestrée par Marina Gomes et son équipe.
Une trilogie voyageuse
Marina Gomes été choisie par la ville de Marseille pour porter la flamme olympique dans les quartiers Nord, comme une reconnaissance de son action sur ce territoire. Mais elle apporte le feu sacré de la danse comme expression populaire hors sa cité d’élection, en reprenant ailleurs les pièces de sa « trilogie »: Asmanti (Midi - Minuit), Bach Nord (Sortez les guitares) et La Cuenta. Le triptyque, ou chaque pièce isolément, est interprété par des danseurs professionnels en y mêlant, selon les contextes, des amateurs.
Autour de ses spectacles, la compagnie Hylel met en place des actions avec des associations citoyennes pour recréer ces pièces au sein des quartiers, en milieu scolaire ou carcéral : « On construit ensemble, à partir de leurs paroles », dit Marina Gomes.
Sa démarche, souvent qualifiée de « chorégraphie documentaire », est née d’une nécessité : faire entendre ceux qui vivent comme en marge, dans ces grands ensembles, tours, barres, dalles, classés zup ou zep, quartiers sensibles, zone rouge... Ils ont leurs mots à dire, et besoin de les dire : « Dans un climat politique extrêmement clivant, il y urgence à mettre du dialogue entre nos différents univers sociaux et géographiques. Le théâtre doit être l’agora de notre société. Il est temps que les jeunes issus de quartiers populaires puissent y prendre leur place », conclut la chorégraphe. Une artiste engagée à suivre au Festival Paris l’été, à Nanterre, Fos-sur-Mer, Suresnes et ailleurs…
Manifête
Marina Gomes et 17 classes d’écoles élémentaires et collèges de Marseille : collège Adolphe-Monticelli (8e), collège André-Malraux (13e), collège Estaque (16e), collège Le-Petit-Prince (Gignac-la-Nerthe), collège Vieux-Port (2e), école Bernard-Cadenat (3e), école Bois-Lemaître (12e), école Chave (5e), école Hozier (2e), école Jean-Mermoz (8e), école Lodi (6e), école Plan-d’Aou (15e), école Parette Mazenode (11e), école Rouet (8e), école Saint-Louis-Gare (15e).
Un projet conçu et imaginé par le Festival de Marseille et le Badaboum théâtre.
Jeudi 12 juin 10h30 Rendez-vous place Général-de-Gaulle
Durée du parcours 1h, entrée libre
S Chorégraphie Marina Gomes S Intervenant·es danseur·ses de Hylel Elias Ardoin, Olivia Pili, Bérénice Garcia S Compositeur Arsène Magnard S Scénographie Alice Ruffini Conception et animation des ateliers de concertation « Démêlées d’idées » Anne-Claude Goustiaux et Julie Joaquim-Figueiredo (Badaboum théâtre) S Ce projet reçoit des financements spécifiques de la Ville de Marseille, du Ministère de la Culture - Direction régionale des affaires culturelles et du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône et le soutien de l’Académie d’Aix-Marseille et de Lieux Publics, centre national des arts de la rue et de l’espace public S Avec le mécénat de la Fondation Voix.es Vues D’ailleurs.
Festival de Marseille du 12 juin au 6 juillet 2025 T.04 91 99 02 50
Festival Paris l’été : Bach Nord (Sortez les guitares)
25 juillet 2025 Lycée Henri Bergson, Paris 19e à 17 et 20h
26 et 27 juillet 2025 Palais de la Porte Dorée, Paris 12e à 18h
Version augmentée avec jeunes Franciliens de plusieurs arrondissements et départements et des danseurs de la Compagnie Hylel
6 novembre 2025 Bach Nord + La Cuenta, scène nationale La Garance, Cavaillon
23 et 24 janvier 2026 La trilogie ( Asmanti + Bach Nord + La Cuenta ), festival Suresnes Cités Danse.