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Arts-chipels.fr

Opération rumba : La musique à tous les chapitres

Dieudonné Niangouna. Phot. © Guillaume Héraud

Dieudonné Niangouna. Phot. © Guillaume Héraud

Des rives du Congo à Bruxelles en passant par la Grèce, Toronto, Cuba, Haïti... Dieudonné Niangouna et sa joyeuse troupe de danseurs, comédiens et musiciens voyagent sur les pas de la rumba à travers les siècles et les continents : une équipée rocambolesque semée de rencontres insolites et de quêtes identitaires improbables. La musique live est le fil d’Ariane qui nous guide à travers un récit labyrinthique, entre saga familiale et histoire des colonisations.

Démêler les secrets de famille

En solo ou avec de larges distributions, Dieudonné Niangouna nous a habitués aux histoires échevelées, menées tambour battant, où l’énergie tient lieu de signature. Il ne déroge pas à sa réputation en propulsant le public, à un train d’enfer, dans les aventures de Paul et Antoine. Ces frères jumeaux, nés au Congo et que la vie a séparés, partent en quête de leurs origines, jusque-là tenues secrètes. Paul a grandi en France et, devenu chanteur afro rock, quitte Bruxelles, sa femme, la blonde et fantasque cantatrice Olga, et Patrick, son « frère adoptif » et producteur de musique. À cours d’inspiration, il veut renouer avec la rumba de ses ancêtres, au bord du fleuve Congo où vit une sirène légendaire, Nkumba. De son côté, Antoine, dit Obama, « comédien autrichien qui joue en français », s’échine à monter un spectacle entre l’Europe et l’Afrique, avec sa femme, la pragmatique Jelena : La Triste et abominable histoire de l’Homme. Dans leur village natal, Mama Mapassa, un peu sorcière, est là pour démêler les fils d’une généalogie complexe, en lien avec l’histoire de la rumba. Une épopée qui mènera les deux frères à la source de cette danse populaire, en la personne de leur musicien de père enfin débusqué, Edouard Sounga, dit Muddy Waters de Toronto.

Diarietou Keita en Mama Mapassa. Phot. © Guillaume Héraud

Diarietou Keita en Mama Mapassa. Phot. © Guillaume Héraud

Une profusion de personnages

Cette double quête réunit dix acteurs et deux musiciens, pour une vingtaine de rôles hauts en couleurs. La gracieuse Mixiana Laba joue Nkumba, la sirène, et la belle Lezi, à la fois première épouse de Paul et mariée à Yoris, organisateur de combats de catch. Daddy Kamono incarne avec un aplomb bonhomme Obama/Antoine, et Clara Chabalier donne du chien à Jelena. Figure décalée, Marie-Charlotte Biais, Olga, hante le théâtre en robe de feu et perruque peroxydée, à la poursuite de Paul, sur de vieux airs d’opéra. Autre Européen, Mathieu Montanier sera tour à tour Patrick, Yoris, un administrateur colonial, Major, un informaticien amoureux de Lezi. Diarietou Keita s’impose en Mama Mapassa, maternant un Criss Niangouna (Paul) moins convaincant... Difficile de s’y retrouver dans cette galerie de personnages devenue bientôt une ménagerie de masques : perroquet, poule, lion, taureau, singe... Heureusement la musique servira de fil conducteur.

Phot. © Guillaume Héraud

Phot. © Guillaume Héraud

Une esthétique baroque

Les costumes aux couleurs vives de Maria Rossi, assistée de Charisté Monseigny, mêlent kitch contemporain et éléments folkloriques, sous les lumières chaudes de Laurent Vergnaud. La scénographie, signée Dieudonné Niangouna, tire un trait d’union entre les continents et les époques : d’un village africain aux rues de Kinshasa, d’un cabaret de Bruxelles au bureau d’un administrateur colonial, tout converge en un lieu unique, la scène du théâtre donnée comme telle, sans besoin de repères chronologiques ou géographiques. Texte et accessoires suffisent à glisser d’un espace à l’autre, dans une esthétique où dialoguent les cultures. En arrière-plan, une pirogue stylisée symbolise de multiples exils et, sur un écran en fond de scène, apparaissent des images aquatiques fantasmagoriques ou des films d’archive. On y voit les pionniers de la rumba à travers les âges et des événements historiques marquants de l’histoire coloniale, plus particulièrement celle du Congo (RDC ou Brazzaville).

Phot. © Guillaume Héraud

Phot. © Guillaume Héraud

La rumba chantée-dansée

« Il était une fois la rumba. Mais un jour cette musique partit pendant la traite des Noirs ; une de ses notes tomba dans la mer et sombra au fond des abîmes pour rejoindre la sirène Nkumba. C’est là que ton père, Paul, intervint. Il se dirigea au bord du fleuve Congo. Dans son acharnement, il parvint à courtiser la sirène Nkumba avec sa voix suave et ses accords endiablés. Autour de minuit, Nkumba sortit des abîmes et vint s’offrir entièrement à lui.  » C’est ainsi que Dieudonné Niangouna, par la bouche de Mama Mapassa, raccorde histoire et légende.

Il restait à Pierre Lambla et Rodriguez Vangama à nous les raconter en musique. Instruments à vents, cordes et batterie s’harmonisent, des riffs acides à la guitare alternent avec des morceaux plus ronds quand rumba et blues swinguent ensemble. Les deux compositeurs, bons musicologues, suivent la rumba à la trace, à travers les siècles et les continents, jusqu’à aujourd’hui : musiques traditionnelles des peuples du Congo (Brazzaville et RDC), berceau de toutes les influences ; rumba des années cinquante jusqu’à l’indépendance ; Tango ya bâ Wendo de Franco, métissage de Cha-cha, yéyé, mambo dans les années soixante ; Rumba Rock par Papa Wemba, star des années soixante-dix ; Soukouss des années quatre-vingt, avec le Ndombolo de Koffi Olomidé ; rumba décalée des années 2000... Et, bien sûr, l’inoubliable Indépendance Tcha-tcha de Joseph Kabaselé, dit Grand Kallé, conçu pour les travaux de la Table Ronde à Bruxelles en vue de négocier l’indépendance du Congo-Belge, et devenu l’hymne des indépendances africaines.

Chaque séquence est rythmée par les chants en solo ou en chœur des comédiennes. Également danseuses, elles se déploient sur les chorégraphies de Stella Keys Ladys, symbiose entre afro-danse, Ndombolo, danse contemporaine et hip-hop.

Si la rumba congolaise naît pendant la période coloniale, elle prend racine bien avant la pénétration occidentale dans le royaume Kongo. En passant par les routes de l’esclavage pour arriver à Cuba jusqu’à son retour au pays natal, sous les auspices de la colonisation belge et française. Mais cette musique va s’affranchir pour devenir le symbole des luttes d’indépendance passées et à venir. C’est à cette liberté qu’appelle Opération Rumba, malgré des errements dramaturgiques, et un « disque » qui parfois « s’enraye » à répétition, comme en plaisante un compère, depuis la salle. « Un homme raconte toujours la même histoire qui n’en finit jamais », dit l’un des personnages, à propos d’une pièce condamnée par la critique « pour faux raccords ». Les artistes, animés d’une énergie communicative, se livrent, au bout de cette traversée, à une danse endiablée, arrosée de l’indispensable bière Primus. Une belle fête théâtrale et musicale qui fait oublier les longueurs du spectacle.

Phot. © Guillaume Héraud

Phot. © Guillaume Héraud

Opération Rumba Texte, mise en scène et scénographie Dieudonné Niangouna
S Avec Marie-Charlotte Biais, Clara Chabalier, Daddy Kamono, Diarietou Keita,Mixiana Laba, Ornella Mamba, Mathieu Montanier, Pepita Mpuhwe, Criss Niangouna, Dieudonné Niangouna et les musiciens Pierre Lambla, Rodriguez Vangama (en alternance avec Costa Mbunda) S Direction musicale Pierre Lambla et Rodriguez Vangama S Chorégraphie Stella Keys Ladys S Lumière Laurent Vergnaud S Son Félix Perdreau S Costumes Marta Rossi assistée de Charisté Monseigny S Vidéo Aliénor Vallet S Régie générale Alexandre Hulak S Assistanat à la mise en scène Bardol Migan S Production Compagnie Les Bruits de la Rue S Coproduction TAP Scène nationale de Grand Poitiers, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines Scène nationale (recherche d’autres partenaires en cours) S Durée 2h40

TOURNÉE
Création le 9 janvier 2025 au TAP Théâtre Auditorium de Poitiers
Du 20 au 22 mars 2025 MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Le 29 mars 2025 Maison de la Culture d’Amiens
Les 23 et 24 mai 2025 Palais des Beaux-Arts, Charleroi, en coréalisation avec Le Manège Maubeuge

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