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Arts-chipels.fr

Chandâla, l’Impur : du théâtre haut en couleurs qui résonne avec le cinéma bollywoodien.

© Christophe Péan

© Christophe Péan

L’exposition Bollywood Superstars, histoire d’un cinéma indien, qui propose, au musée du Quai Branly, concerts, théâtre, film et conférences, offre l’occasion de revoir cette pièce créée en 2018 au Festival des Francophonies de Limoges.

La pièce est reprise ici avec une nouvelle distribution.

Chandâla l’Impur: Roméo et Juliette revisité à l’indienne

« Cher Monsieur Shakespeare, nous allons jouer votre pièce dans le contexte des castes », annonce une voix off, avant que ne retentisse la célèbre musique de Shigeru Umebayash pour le film In the Mood for love de Wong Kar-Wai. C’est l’histoire tragique de Jack (Roméo), un Intouchable, et de Janani (Juliette), fille de brahmanes ultra-conservateurs. « Nous adaptons chaque élément de la pièce de Shakespeare au système des castes», précise Koumarane Valavane, l’auteur et metteur en scène. Tout y est, mais transposé : la rencontre au bal masqué se fait dans un cinéma porno ; la scène du balcon a lieu sous les jupes de la nourrice... La deuxième partie du spectacle diverge un peu vers une réalité couleur locale. 

Les flèches de l’amour, dans le style Bollywood

Aux destinées des jeunes gens, préside le dieu Amour : descendu du ciel avec son arc et ses flèches, il conduira le cortège nuptial au guidon d’un rickshaw. Là où nous reconnaissons Cupidon, les Hindous verront Kama, divinité maléfique, lui aussi armé d’un arc et voguant dans les airs (souvent sur un perroquet).

Le spectacle convoque tous les arts du théâtre indien. Pour la scène nuptiale, les comédiens dénudent avec délicatesse leurs effigies de bois et d’étoffe, imaginées par le maître des marionnettes K. Periyasamy. La chorégraphie mêle danse traditionnelle, kathakali et hip-hop en passant par quelques citations de West Side Story ou des comédies de Bollywood. La musique puise aux racines des percussions du Kerala. Les chants gaana, proches du rap, proviennent de la communauté des Intouchables. La plupart des comédiens excellent dans la gestuelle traditionnelle du therou kouthou, une forme de théâtre qui mêle le chant, la danse et le jeu. Certains ont dû apprendre la langue tamoul pour reprendre les rôles de leurs prédécesseurs, retenus sur des tournages de film ou d’autres spectacles

© Christophe Péan

© Christophe Péan

La réalité dépasse la fiction

Sur l’écran qui sert de toile de fond à la pièce, ces vers s’inscrivent en préambule : « Dans la belle Inde où se tient notre scène/ vit un très vieux démon qui ne se nourrit que de haine/ Assis sur son trône vernis de sacré/ il a divisé le monde en quatre couleurs : « Au sommet de la pureté se trouvent les Brahmanes, au-dessous d’eux les Ksatriya, les guerriers, puis les Vaisya, les marchands, enfin les Sûdras , les serviteurs. Il faudrait ajouter comme cinquième catégorie ceux qui sont totalement impurs à toucher, les Chandâlas. Ils sont exclus de tout car susceptibles de polluer la pureté des lieux, de l’air, des objets, des autres... ». Aujourd’hui en Inde, ils sont deux cents millions (18 % de la population !) à être victimes de nombreuses discriminations et condamnées aux tâches les plus viles : éboueurs, égoutiers, chargés de la crémation des corps… Comme le père de Jack, notre Roméo. Au pays où Ram Nath Kovind, un Intouchable, a été président de la République en 2017 à 2022, les crimes d’honneur persistent.

On entendra à plusieurs reprises le témoignage de Kausalya, une jeune femme dont l’amoureux a été assassiné par des tueurs, sur l’ordre de ses parents. Elle a porté plainte et son père a été condamné pour avoir commandité le meurtre. «C’est la première fois, précise, Koumarane Valavane, et cette jeune fille est en train de se battre pour une loi contre les crimes d’honneur.»

© Christophe Péan

© Christophe Péan

Comme au cinéma

Certaines séquences de la pièce se déroulent au cinéma. Des consignes sanitaires, des bandes-annonces de films d’action calqués sur les blockbusters hollywoodiens ou des publicités diffusées pendant les entractes dans les salles obscures indiennes y sont projetées. Cette violence du septième art fait écho à celle de la société, présente en arrière-plan de la pièce et de la fable shakespearienne. La forme bon enfant et un peu kitsch que prend ici la tragédie avec ses séquences dansées, ses couleurs vives et ses cortèges fleuris n’est qu’une manière décalée et ironique de mettre en évidence des drames quotidiens et bien réels.

Le Théâtre Indianostrum

Créé en 2007, cette compagnie veut promouvoir un théâtre moderne dans une continuité culturelle. Elle possède aujourd’hui une petite scène, à Pondichéry, la salle Jeanne d’Arc, un ancien cinéma français. D’où son nom complet de Indianostrum Pathé-Ciné Familial. Koumarane Valavane, franco-indien et ancien membre du Théâtre du Soleil, y a invité en 2015 Ariane Mnouchkine et son École nomade. Naîtront de ces échanges, la création par le Théâtre Indianostrum d’Une chambre en Inde par le Théâtre du Soleil, et celle d’un diptyque amoureux : Chandâla, l’impur, puis Dounia, mon amour ! À l’issue de trois heures avec entracte, cette troupe polyvalente et généreuse a reçu un accueil enthousiaste. Mais dommage, le spectacle, coproduit par lne se joue que trois soirs au Musée. Peut-être trouvera –t-il une nouvelle vie, dans le sillage de Bollywood Superstars

Chandâla, l’Impur : du théâtre haut en couleurs qui résonne avec le cinéma bollywoodien.

Balade dans cent années de cinéma indien

La pièce s’intègre dans le projet du Musée du quai Branly de faire une place à la culture populaire indienne. Au premier plan figure évidemment l’industrie cinématographique bollywoodienne. Avec près de 2 000 films par an, l’industrie cinématographique indienne est la plus importante au monde, et le petit nombre de films qui circulent dans l’Hexagone ne rend pas compte de cette prolifération. On s’arrête souvent à Satyajit Ray, qui reste une exception, le reste étant perçu comme des romances doucereuses avec happy end, entrecoupées de danses et de chansons sirupeuses, dans des polychromies criardes ... C’est oublier que l’Inde est un continent, qu’on y parle vingt-deux langues avec autant de cultures, de croyances et de coutumes différentes. Qui sait que les montreurs de théâtre d’ombre, de marionnettes, de lanternes magiques ont préfiguré un vaste réseau de cinéma ambulant de village en village ? Qui connaît les premiers films muets des années 1920, inspirés de récits mythologiques hindous ?

© DR

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L’exposition fait dialoguer des œuvres d’arts avec un parcours cinématographique qui nous conduit, d’écran en écran, vers des extraits de films inconnus de nous avec des extraits de films, inconnus de nous, qui ont eu leur heure de gloire en leur temps dans différentes parties de l’Inde. Dans le contexte de construction nationale et de l’indépendance indienne, les dieux et les grands monarques inspirent les premiers blockbusters capables de fédérer un vaste public, au-delà des clivages régionaux et linguistiques du sous-continent. Ils ont aujourd’hui cédé la place aux super héros. L’exposition se termine avec les acteurs vedettes du « star system » indien. De véritables icônes populaires, objets de vénération.

Il faut se laisser porter dans cette ambiance colorée où clignotent des lettres de néon. Entrer dans une cabine où de multiples écrans dans un vertige d’images exhibent une infinité de danseuses... Pour finir, un montage choc présente, dans l’ordre chronologique, les stars et des blockbusters, souvent des adaptations à l’indienne de ceux d’Hollywood... Une belle énergie se dégage de cette exposition qui a été présentée au Louvre Abu Dhabi du 25 janvier au 4 juin 2023. Elle nous fait percevoir que tout reste encore à découvrir à propos du cinéma populaire indien à grand spectacle et, plus généralement de la culture indienne actuelle.

Masque de danse chimu. Ravana, le roi des démons. V. 1990, Bengale occidental, Purulia. Papier mâché peint et verni © DR

Masque de danse chimu. Ravana, le roi des démons. V. 1990, Bengale occidental, Purulia. Papier mâché peint et verni © DR

Bollywood superstar, Histoire d’un cinéma indien

Jusqu'au 24 janvier au Musée du Quai Branly www.quaibranly.fr T. : 01 56 61 71 72

Commissaires de l’exposition : Julien Rousseau, Conservateur du patrimoine, Responsable de l’unité patrimoniale Asie au musée du quai Branly Jacques Chirac et Hélène Kessous, Docteure en anthropologie sociale et ethnologie, adjointe scientifique au Musée départemental des arts asiatiques à Nice.

Chandâla l’Impur

S Récit inspiré par l’histoire de Kausalya et Shankar, l’histoire tragique de deux amants appartenant à des castres opposées S Texte et mise en scène Koumarane Valavane S Assistantes à la mise en scène Srijita Kar Chowdhury et Marine Cormorèche S Avec Ashish Atrey, Avanti, Kalpesh Samel, Kasvi Sonkorison, Naresh Kumar, Nikita, Saranjith NK, Youkeshbabu, Shafali, Shivesh Kumar S Scénographie & accessoires Manon Grandmontagne et Shavee Sathish Kumar S Construction Clément Vernerey et Joseph Bernard S Chorégraphie Suresh Banu et Sathish Kumar S Musique et chant Saran Jith et David Salamon S Maître des marionnettes K. Periyasamy S Réalisation vidéo Nishanth Verma et Pascal Brazeau Production Théâtre Indianostrum (Inde) et Théâtre du Soleil (France), en coproduction avec Les Francophonies - Des écritures à la scène (Limoges) et le Théâtre de l’Union - Centre Dramatique National du Limousin (dans le cadre du programme Au-Delà de nous)

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