25 Avril 2024
Daniel Mesguich donne vie aux personnages du drame d’Alphonse Daudet : un solo éblouissant aux accents de Provence.
Une performance palimpseste
Le metteur en scène revient à L’Arlésienne, une vieille fréquentation. Il y a quelques années, avec le regretté Jean-Claude Malgoire à la direction musicale, il avait mis en scène cette pièce aussi mal connue que le personnage titre dont on parle beaucoup sans jamais l’entendre. Adaptée d’une nouvelle des Lettres de mon moulin par son auteur, elle fut créée à Paris le 1er octobre 1872, au Théâtre du Vaudeville, accompagnée d’une musique de scène de Georges Bizet. Un échec pour l’écrivain, un succès pour le compositeur dont la partition a été reprise sous forme de suites d’orchestre par Bizet lui-même, puis par Ernest Guiraud, ami du compositeur et par beaucoup d’autres après eux...
Sous la battue de Jean-Claude Malgoire, les Musiciens du Paradis, La Grande Écurie et la Chambre du Roy jouaient la musique d’origine et Daniel Mesguich assurait à lui seul les récitatifs, endossant tous les rôles. Ce spectacle a aussi été enregistré en 1998 (chez Auvidis). Voici ce qu’en disait Christian Wasselin dans Webthéâtre: « Jean-Claude Malgoire restitue les vingt-sept numéros de la partition de Bizet, qui dialogue idéalement avec le texte. Une partition faite de seize mélodrames de six chœurs et de pages autonomes confiées à l’orchestre. Jamais la Marche des rois et la Farandole n’ont sonné avec une telle éloquence. On savoure l’invention mélodique de Bizet (qui n’a rien à voir avec la pâleur de Mireille de Gounod, qui se déroule aussi en Camargue). Bizet utilise le saxophone alto, instrument nouveau à l’époque, il fait chanter à merveille la clarinette ».
Le metteur en scène reprend aujourd’hui le récitatif, sans la musique, devant un décor rustique projeté en fond de scène, illustrant les cinq tableaux du drame. Un discret bruitage donne du mouvement à sa lecture.
Daudet réhabilité
A l’instar de Carmen, l’Arlésienne est une femme fatale qui vient déranger la vie d’une famille de braves paysans, mais contrairement à l’héroïne de Prosper Mérimée, elle n’est pas là pour se défendre et reste une figure sans nom, qui ensorcelle les hommes. Alphonse Daudet s'inspira du suicide d'un neveu de Frédéric Mistral, en 1862 : à la suite d'une déception amoureuse, le jeune homme se jeta d'une fenêtre du mas familial. C’est le sort du héros de l’Arlésienne, victime d’une passion irrépressible : « Tu verras si on ne meurt pas d’amour » sont les derniers mots de la pièce.
On passe volontiers sur une dramaturgie désuète pour s’attacher à la performance de Mesguich acteur. Seul en scène, campé devant un micro, il fait dialoguer accents et timbres de voix et nous offre une composition polyphonique qui donne corps aux personnages et relief à l’œuvre. Sans forcer le trait, il convoque autour du malheureux héros, Frédéri, sa mère, Rose, son amoureuse transie, la timide Vivette, et son frère, soit-disant idiot mais le plus sage de tous. Il y a aussi le vieux berger Balthazar et le ténébreux gardian Mitifio, celui par qui les mauvaises nouvelles arrivent...
L’acteur fait sonner la langue savoureuse de l’écrivain dont la Chèvre de Monsieur Seguin a bercé notre enfance. Daudet cite à plusieurs reprises cette fable cruelle : « Qu’est-ce qu’il a fait, le loup à la chèvre ? », demande l’Innocent au Grand-Père. Allusion au vain combat de Frédéri contre une passion qui le dévore.
Tendons l’oreille. Écoutons cette prose fleurie aux saveurs de thym et de serpolet, où miroitent les eaux du Rhône sous le mistral de Camargue mais où sourdent de brutales passions. « L’essentiel est de faire chatoyer chaque personnage et la manière à la fois naïve, populaire et très recherchée dont Daudet, que l’on considère à tort comme un auteur mineur, écrit », dit Daniel Mesguich. Mission accomplie.
L’Arlésienne d’ Alphonse Daudet
S Mise en scène et jeu Daniel Mesguich S Création sonore Maxime Richelme S Vidéo Baptiste Magnien S Régie Laurent Dondon et Maxime Richelme S Assistante à la mise en scène Sterenn Guirriec et Térigr L S Production Miroir et Métaphore - Cie Daniel Mesguich
Les Enfants du paradis, 34, rue Richer, Paris 9e
Tous les dimanches à 15h30 jusqu’au 26 mai (relâche le dimanche 5 mai).