25 Avril 2024
Longtemps remisées ou exposées hors les murs de la cathédrale, les œuvres présentées par l’exposition du Mobilier national nous entraînent vers une face moins célèbre du décor de la cathédrale mais dont le rôle n’en marqua pas moins son histoire. Une plongée qui croise le XVIIe siècle et le contemporain en passant par les conséquences de la restauration de Viollet-de-Duc.
Du 24 avril au 21 juillet 2024, le Mobilier national offre une double opportunité : celle de découvrir rassemblées des œuvres éclatées sur le territoire français, ayant appartenu ou appartenant encore à la cathédrale Notre-Dame de Paris et de les retrouver rendues à leur fraîcheur d’origine ou presque par les travaux de restauration attentive dont ils ont fait l’objet et dont l’exposition se fait aussi l’écho. La succession d’espaces aménagés dans le bâtiment des Gobelins permet, après avoir été accueilli par deux vues intérieures de la cathédrale révélant la disposition des œuvres à l’origine, de pénétrer dans la galerie des « Mays », ces peintures autrefois accrochées dans la nef de la cathédrale, avant de découvrir les tapisseries monumentales de la vie de la Vierge qui occupaient le chœur, puis le nouveau mobilier qui sera installé lors de la réouverture en décembre 2024 et le tapis de chœur, commandé par Charles X, seulement déployé pour les grandes occasions.
Une opération de rénovation à grande échelle
Tout au long du parcours des indications sont données sur les techniques de restauration des œuvres entreprises à l’initiative de la DRAC Île-de-France, du Mobilier national et du Centre de Recherche et de Restauration des Monuments de France (C2RMF). Une opération à grande échelle qui mobilise des équipes importantes sur une durée étendue. Vingt-deux tableaux composent l’exposition – outre 13 « mays » appartenant à la cathédrale actuelle, on trouve des tableaux placés dans les retables d’autels des chapelles latérales, à l’image des toiles de Lubin Baugin et des frères Le Nain. Leur remise en état et en éclat a mobilisé 50 restaurateurs pendant 24 mois. Quant au tapis de chœur qui était stocké dans un bas-côté de la cathédrale, il aura fallu à l’atelier de rentraiture du Mobilier national, pour la seule partie supérieure exposée ici, un an et demi pour en réparer les cassures, déchirures et dégâts causés par les mites. Toutes ces équipes ont mené avec une minutie et un savoir-faire remarquables un travail de fourmi auquel l’exposition rend, à juste titre, hommage à travers photos, vidéos, explications et témoignages.
Fragment du carton du tapis de chœur de Notre-Dame de Paris, Charles-Adrien Devertu d’après Jacques-Louis de La Hamayde de Saint-Ange, 1832-1833. Huile sur toile. Mobilier national, GOB 1187 © DR
Sous la surface, l’histoire
Les moyens scientifiques les plus modernes ont été utilisés, non seulement pour la rénovation des œuvres, mais aussi pour pénétrer dans leur histoire et connaître les matériaux qui les composent. Un fragment du carton du tapis de chœur, réalisé par Charles-Adrien Devertu d’après Jacques-Louis de La Hamayde, nous renseigne sur les modifications apportées au carton d’origine à la suite de la révolution de juillet 1830 – le remplacement des armes des Bourbons par un soleil d’or et de pierreries stylisées – qui cède la place à nouveau aux symboles monarchiques en suivant les fluctuations de l’histoire. Il porte, réalisées à l’aiguille, les traces de la découpe et du remplacement du motif. En peinture, les analyses en rayonnements infrarouges et ultraviolets nous renseignent sur le processus de création, révèlent la composition même des œuvres, les dessins préparatoires et les repentirs du peintre.
La Lapidation de saint Étienne, Charles Le Brun, 1651. Huile sur toile, H. 400 x 312 cm, Paris, musée du Louvre, Inv. 2889, dépôt cathédrale Notre-Dame de Paris © DRAC Île-de-France
La coutume des « Mays »
C’est en 1449 qu’est instituée par les orfèvres parisiens l’offrande du « may » à la cathédrale Notre-Dame. La tradition de l’offrande par une confrérie n’est pas nouvelle. À Amiens, elle est le fait d’une institution pieuse rassemblant des notables qui, dès 1388, inaugure une compétition poétique se déroulant chaque année le 2 février, le jour de la Purification de la Vierge. Le vainqueur y proposait une devise, ensuite illustrée par un peintre. L’œuvre était exposée le jour de Noël dans la cathédrale et y restait toute l’année avant d’être remplacée. À Paris, le « may », cette dévotion mariale dont la tradition se prolonge jusqu’en 1707, prend d’abord la forme d’un tabernacle de bois – l’exposition en présente quelques reproductions en gravure – qui, en 1609, ajoute une scène peinte accompagnant les textes qui y sont inclus. En 1630, la confrérie Sainte-Anne s’engage à offrir chaque année à la Vierge, le 1er mai, un tableau monumental (10 pieds et demi sur 8 pieds et demi, soit environ 3,40 m x 2,75 m) commémorant les Actes des Apôtres. Il sera accroché sur les piliers de la nef. Les deux maîtres nouvellement élus tous les deux ans, sur les quatre qui dirigent la confrérie, sont chargés de la commande et en assument la charge financière. Soixante-seize grands tableaux verront ainsi le jour jusqu’en 1707 et décoreront les murs de la cathédrale. La collection est dispersée à la Révolution et seule une partie revient dans les lieux. En 1862, Viollet-le-Duc, dans un souci de préserver la « pureté » de l’architecture médiévale, les écarte et obtient leur dépôt au Louvre.
Notre-Dame, la croisée du transept, anonyme, vers 1780. Huile sur toile, 47 x 58 cm © Société des amis de Notre-Dame de Paris. Cl. Bénédicte Colly
Les « Mays » de Notre-Dame de Paris
Les treize « Mays » sont, dans l’exposition, accrochés côté à côte dans une disposition qui évoque leur accrochage originel. Épargnés par l’incendie du 15 avril 2019, ils seront remis en place dans la cathédrale selon le nouvel aménagement liturgique souhaité par le diocèse, affectataire du lieu, en accord avec les services du ministère de la Culture, l’État étant propriétaire de l’édifice et des œuvres concernées. De 1634, avec la Descente du Saint-Esprit de Jacques Blanchard, le « Titien français », qui donne du Saint-Esprit une vision presque abstraite en le figurant en langues de feu, au Fils de Scéva battus par le possédé en 1702 qui oppose l’échec des juifs voulant imiter saint Paul au succès du saint exorcisant un possédé, montré sur un tableau placé en arrière-plan, c’est une longue litanie de scènes religieuses assombries de supplices, de lapidations, de crucifiements, de flagellations et autres turpitudes, ponctuées de prophéties, d’illuminations et de conversions qui se succèdent. Des témoignages du « grand » genre où abondent les colonnades antiques, mais aussi des œuvres mouvementées tels le Martyre de saint André (1647) et la Lapidation de saint Étienne (1651) de Charles Le Brun ou la surprenante Prédication de saint Pierre à Jérusalem (1649) de Charles Poerson où les colonnes se trouvent déformées par la puissance de la parole du prédicateur.
La Naissance de la Vierge, Louis et Mathieu Le Nain, v. 1642. Huile sur toile, H. 220 x L. 145 cm. Ville de Paris, église Saint-Étienne -du-Mont. Dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris © DRAC Île de France
Les autres tableaux restaurés
Parmi les tableaux restaurés, un certain nombre d’entre eux provient des chapelles et on pourra remarquer, des frères Le Nain, la Naissance de la Vierge (v. 1642), qui met en scène une nourrice prête à donner le sein sous le regard attendri de Joachim, l’époux de sainte Anne, tandis que l’univers domestique (berceau à l’avant-plan, sainte alitée au fond, veillée par des femmes) occupe une place majoritaire que viennent contrebalancer les anges aux visages d’enfants qui répandent leur souffle lumineux sur la Vierge bébé.
Certains tableaux, entrés après la Révolution, issus des écoles italiennes et flamandes et raflés par les armées révolutionnaires, furent utilisés pour décorer la cathédrale. Certains y demeurèrent après la chute de l’Empire en 1815. Ils font aussi partie du programme de restauration. Ainsi du martial Saint Bernardin délivrant la ville de Scarpi (1619) de Ludovic Carrache, en partie mutilé, ou des magnifiques fragments de la Gloire de tous les saints (1613) du Guerchin, toute petite partie d’une œuvre monumentale dont le destin se perd au milieu du XIXe siècle.
Les Noces de Cana, entre 1654 et 1657, Paris, atelier Pierre Damour, d’après Charles Poerson. Laine et soie. H. 4,92 m x L. 5,45 m. Propriété de la fabrique de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg.
La tenture de la Vie de la Vierge
Quatorze pièces monumentales composent le cycle qui sera montré en deux parties, la première entre le 24 avril et le 9 juin , la seconde du 11 juin au 21 juillet. Elles furent tissées à l’instigation du cardinal de Richelieu dont elles portent les armoiries, entre 1638 et 1657. Destinées à l’origine à orner le nouveau maître-autel du chœur de la cathédrale projeté par Louis XIII, elles représentent des scènes de la vie de la Vierge, de sa naissance à son couronnement, en passant par sa présentation au Temple, son mariage, l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, l’adoration des mages, sa purification, la fuite en Égypte, Jésus parmi les docteurs de la Loi, les Noces de Cana, sa dormition, son assomption. Deux cartouches apparaissent dans la bordure : en haut le thème, en bas, retissé au moment de son acquisition, la mention de la cathédrale de Strasbourg qui en fit l’achat quand l’œuvre, après avoir été reléguée dans les réserves, est mise en vente en 1730 et acquise, en 1739, par le chapitre de la cathédrale de Strasbourg.
Tissées de laine et de soie, elles sont dans un état de conservation remarquable, n’étant exposées à Strasbourg qu’une fois l’an. Les cartons devant servir de base à la réalisation du tissage sont exécutés successivement par trois peintres renommés. Philippe de Champaigne réalise les deux premiers, dont les tapisseries sont achevées en 1640. Dix ans les séparent de la troisième, qui s’inspire d’un carton de Jacques Stella. La suite, à partir de 1652, est réalisée d’après des cartons de Charles Poerson et s’achève en 1657. D’une grande complexité dans l’agencement des personnages et des motifs décoratifs, elles sont aussi d’une très grande finesse.
Le Repos pendant la fuite en Égypte, entre 1654 et 1657, Paris, atelier Pierre Damour, d’après Charles Poerson. Laine et soie. H. 4,85 m x L. 5,45 m. Propriété de la fabrique de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg.
Le tapis de chœur : une pièce d’exception
Exemplaire unique produit par la manufacture de la Savonnerie, le tapis de chœur est commencé dans ses locaux situés au pied de la colline de Chaillot. La révolution de 1830 en retarde l’exécution, qui est reprise à la manufacture des Gobelins où la Savonnerie a emménagé. Ensemble gigantesque de près de trente mètres de long – elle est réalisée en quatre pièces –, elle est présentée pour la première fois en 1838, lors d’une exposition des produits des Manufactures royales, et offerte à la cathédrale par le roi Louis-Philippe en 1841. Le tapis ne sera utilisé que pour des célébrations importantes : le mariage de Napoléon III et le baptême de son fils, la venue du tsar Nicolas II en 1896 ou, plus près de nous, la visite du pape Jean-Paul II. Miraculeusement préservé lui aussi lors de l’incendie, le tapis a été dépoussiéré, nettoyé, ses cassures et déchirures réparées et offre sur sa longueur, déjà très grande quoiqu’incomplète, une flamboyance de couleurs toute ornementale. La restauration de la deuxième partie devrait être achevée par le Mobilier national fin 2024.
Tapis du chœur de Notre-Dame de Paris, 1833. Manufacture de la Savonnerie, d’après Jacques-Louis de la Hamayde de Saint-Ange © DR
Du patrimonial à la modernité : le mobilier cultuel
Le panorama de cette remise en selle décorative de la cathédrale Notre-Dame ne serait pas complet sans les nouveaux venus qui s’installent dans son espace : le mobilier cultuel et les chaises qui accueilleront fidèles et visiteurs. C’est dans le bronze, cet alliage de cuivre et d’étain, patiné, que seront réalisées les pièces de mobilier cultuel : l’autel, le tabernacle, la cathèdre et l’ambon ainsi que le baptistère. Leur créateur, le designer Guillaume Bardet, ancien pensionnaire de la Villa Medicis à Rome, s’est tour à tour intéressé au mobilier puis aux petits objets en céramique qui peuplent notre quotidien. En 2019, il imagine une série d’objets mobiliers en bronze : tables, luminaires, sièges. Il poursuit cette démarche avec le mobilier de la cathédrale. Les formes sont épurées, les angles, quand ils existent, atténués, arrondis. La simplicité aérienne et légère de la croix dialogue avec les formes pleines dans lesquelles elle prend place.
Les chaises de Ionna Vautrin, de leur côté, introduisent la chaleur du bois, une certaine relation avec la nature dans laquelle baigne la designeuse, installée en Normandie dans une maison d’architecte en bois au cœur de la campagne. Là aussi, les angles sont rognés, le biais préféré à la verticale, l’assise pas complètement rectangulaire. Comme une volonté d’inscrire un certain désordre, d’apporter une note de fantaisie.
Ainsi, l’exposition des Grands décors restaurés de Notre-Dame offre-t-elle l’opportunité de voir dans des conditions optimales des œuvres qui, mises en situation, cesseront de valoir pour elles-mêmes pour prendre un autre sens. Une chance formidable en même temps que l’occasion de passer derrière la scène pour voir ce qui se joue en coulisses.
Le Centurion Corneille aux pieds de saint Pierre, Aubin Vouet, 1639. Huile sur toile, H. 370 x 280 cm, NDP n°0772d. Ville de Paris, église Saint-Thomas d’Aquin, dépôt à la cathédrale Notre-Dame de Paris. La ligne horizontale bleue marque la séparation entre l’œuvre non restaurée (en bas) et sa restauration (partie haute).
Grands décors restaurés de Notre-Dame
Du 24 avril au 21 juillet 2024. Du mardi au dimanche de 11h à 18h (sf 1er mai)
Mobilier national – 42, avenue des Gobelins, 75013 Paris
S Commissaires Caroline Piel, inspectrice des patrimoines, collège Monuments historiques (h), Emmanuel Pénicaut, directeur des collections du Mobilier national en collaboration avec Marie-Hélène Didier, conservatrice des Monuments historiques, Drac Île-de-France, Oriane Lavit, conservatrice du patrimoine, Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) S Scénographie et coordination générale, Clément Hado, régisseur des expositions du Mobilier national S Catalogue édité par Silvana Editoriale, rédigé sous la direction de Caroline Piel et Emmanuel Pénicaut, conservateurs généraux du patrimoine. Auteurs : Marie-Hélène Didier, Oriane Lavit, Caroline Piel, Maxime Deurbergue, Emmanuel Pénicaut, Laurent Prades S Partenaires et mécènes : DRAC Île-de-France, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), Banque Populaire, Groupe Bovis, Fondation Notre-Dame