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Arts-chipels.fr

Le Silence de Sibel. Quand les mots ne peuvent raconter l’horreur.

Le Silence de Sibel. Quand les mots ne peuvent raconter l’horreur.

Sibel, une pré-adolescente yézidie devient, après le meurtre de ses parents par les fondamentalistes islamistes de Daech, l’esclave sexuelle des terroristes. Le film évoque cette traversée noire, puis le « sauvetage » de Sibel qui arrive en France. Peut-elle surmonter le traumatisme qu’elle a vécu et se reconstruire ?

En 2006, l’État islamique d’Irak est proclamé. En 2012, il commence à s’étendre en Syrie. De nombreux groupes djihadistes lui font allégeance. En 2014 et 2015, la surface de l’État islamique atteint sa plus grande ampleur. En août 2014, les fondamentalistes entrent dans Sinjar, la ville principale des Yézidis, une minorité kurdophone monothéiste, localisée dans le nord de l’Irak, dont les croyances, héritées du zoroastrisme, l’ancienne religion des Perses, ont aussi à voir avec le judaïsme et l’islam. C’est le début d’un long calvaire pour la communauté yézidie.

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

La logique de la terreur et du génocide

Les fondamentalistes font régner la terreur sur le pays. Emprisonnements massifs, torture systématique et massacres s’accompagnent de viols sur les femmes et les jeunes filles, leur interdisant définitivement, en les déflorant, toute vie normale de femme. Transformées en esclaves sexuelles, les adolescentes sont les victimes désignées de cette violence inouïe qui déferle sans que rien s’y oppose. Sibel voit tuer ses parents devant ses yeux. Des hommes ne cessent de passer sur son corps. Dans l’espoir de sauver au moins une de ces victimes, Hana, une exilée de longue date de la communauté yézidie parfaitement intégrée à la société française, la rachète aux terroristes. Mais à son arrivée en France, Sibel reste traumatisée, apeurée et mutique. Hana se lance avec persévérance dans une entreprise de sauvetage qui ne la laissera pas indemne.

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Une insoutenable violence dans le « silence » des images

La violence, Aly Yeganeh, l’auteur réalisateur et directeur de la photo, la suggère plus qu’il ne la montre. Ce sont des femmes agressées parce qu’elles ne portent pas le voile, traitées comme des putains, que la guerre « sainte » ne peut qu’exterminer. Ce sont des armes brandies qui pointent sur les corps, des gros plans de visages terrifiés opposés à des figures menaçantes et vengeresses qui se succèdent, une bande-son à l’efficacité redoutable qui dessine les contours, à coups de plaintes et de hurlements, auxquels le réalisateur superpose l’attitude terrorisée de celle qui n’est encore qu’une enfant à peine pubère. Des viols eux-mêmes nous ne verrons rien sinon la mention du nombre d’hommes qui défilent et se servent, sûrs de leur bon droit sanctifié par la religion. Pour survivre il faut subir, sans se plaindre, et Sibel l’a compris.

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Portrait d’une jeune fille hantée

Lorsque Sibel arrive en France, au terme de son calvaire, elle est devenue mutique et les efforts d’Hana pour la rassurer et lui rendre la parole demeurent vains. Celle-ci s’est pourtant entourée des conseils et soutiens des travailleurs sociaux – psychologue, assistante sociale – mais elles sont de peu de poids face au mur de silence qu’oppose Sibel. Son quotidien, apaisé, ne lui épargne pas moins de terribles cauchemars. Des fragments de scène de son calvaire s’invitent dans la nuit ; elle revoit ses parents face aux soldats, se voit elle-même face à ses violeurs. Elle craint l’orage, qui fait remonter des souvenirs douloureux, se punit des fautes commises contre son gré, crie dans la nuit dans sa langue, et le passage d’un livreur suffit à la terroriser. Et si elle refuse de se laver, c’est parce que sale, elle décourageait ses bourreaux. La jeune Mélissa Boros – elle a l’âge du rôle – offre un visage sur lequel passent des inquiétudes, des crispations passagères, rarement un sourire et son mutisme n’est pas exempt d’éloquence…

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Une fiction inspirée de faits réels

Ali Yeganeh, l’auteur-réalisateur, est d’origine iranienne, un pays limitrophe situé à l’est de l’Irak. Il a participé aux expérimentations cinématographiques  du « cinéma libre iranien ». Empêché de travailler en Iran à la suite de l’interdiction qui frappe son premier long métrage de fiction, Oxygène, qui relate un accident dans une centrale nucléaire, le réalisateur s’expatrie. Il vit aujourd’hui en France. La communauté yézidie irakienne, localisée au nord-est du pays, est pour lui comme de proches voisins dans une région qui lui est familière. C’est en s’inspirant de faits réels, rapportés par les femmes yazidies qu’il rencontre et dont il recueille le témoignage, en reprenant leurs récits, avec les détails qui en font une terrible histoire vécue, qu’il élabore son scénario. C’est là que le film s’enracine. C’est dans l’opposition entre cette mémoire venue du fond de l’enfer et le décor rassurant et bourgeois de cette maison d’Uzerche où le temps s’est immobilisé dans une douce quiétude qu’on perçoit le hiatus, l’inconciliable des situations que vit Sibel.

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Après la guerre

L’un des grands intérêts de ce film est de regarder l’après, de plonger aux sources d’un traumatisme si violent qu’il ne peut s’oublier. Pour ceux qui l’ont vécu dans leur chair, ce n’est pas une abstraction mais une blessure qui continue de saigner, une source de douleur qu’on ne peut extirper. Et l’essoreuse du temps qui passe ne peut gommer cette horreur nue qui reste au fond des yeux. Cela seul devrait nous faire réfléchir sur les conséquences de l’intransigeance et du jusqu’au-boutisme et sur cette antienne populaire qui veut qu’on ne fasse pas d’omelette sans casser des œufs, qui justifie souvent les exactions commises.

En 2014, dans cette partie de l’Irak, Daech a mené une véritable opération d’extermination ethno-confessionnelle que les Nations Unies qualifieront de génocide. Elle n’est ni la première ni la dernière. D’autres sont en train de se dérouler. Même si Daech a aujourd’hui perdu, il suffit de consulter un atlas géopolitique des conflits dans le monde pour constater que la question est loin d’être réglée. Les couches de vernis apposées par l’humanisme et les droits de l’homme deviennent souvent leurres avant même qu’on s’en soit inquiété et à la moindre occasion la sauvagerie réapparaît. Aussi, même si le film évoque en parallèle le marasme dans lequel la vie sentimentale d’Hana sombre en tentant d'aider Sibel, qui peut sembler mineur mais montre que les répercussions nous concernent tous et que le papillon échappé du charnier engendre d’autres cataclysmes, le propos reste, à tout le moins d’une force et d’une actualité peu communes. Le plaisir d’y voir de « belles » images, révélant une grande attention à la composition et à la valeur intrinsèque de l’image renforce l’impact d’un discours qui quitte les rives du politique pour aborder à celles de l’humain.

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel d’Aly Yeganeh © DR

Le Silence de Sibel s Fiction 95 min. s Couleur s 2.35 :1 – s Langues : français, kurde, anglais s Sortie en salles le 1er mai 2024

Prix Meilleur film, Festival du Cinéma de New York City, 2023 (Festival of Cinema NYC 2023) Meilleur Réalisateur / Meilleur Actrice Mélissa Bros (World Wide Women Film Festival, Arizona, 2022) Prix pour l'ensemble de la distribution (Julien Dubuque International Film Festival, USA, 2023) Meilleur Film, Meilleur réalisateur , Meilleure actrice, Meilleur ensemble distribution, The Indie FEST Film Awards, LA Jolla, CA / USA Meilleure Image, Rome Independent Cinema Festival, 2022. Meilleur Film / Meilleure production Indépendante, Boston Independent Film Awards 2022, Boston USA. Meilleur Film sur les femmes, Toronto International Women Film Festival, 2022.Canada. Meilleur Film, Hong Kong Indie Film Festival 2022. Meilleur Film, Vancouver Independent Film Festival 2022, Canada. Meilleur Film, Ontario / Paris Women Festival2022, Canada.

S Un film de Aly Yeganeh S Réalisateur et directeur de la photo Aly Yeganeh S Avec Laëtitia Eïdo (Hana), Mélissa Boros (Sibell), Kondwani Fernandes Moraes (Abou Rahman), Rusen Houssin (Mère de Sibel), Sadettin Cecen (Père de Sibel), Patrick Azam (Pierre-Étienne), Claire Gable (Claire), Marie-Bénédicte Cazeneuve (Catherine), Melha Bossard (Assistante sociale), Valérie Théodore (Psychologue), Yvonne Delatour (Orthophoniste) S Étalonnage Olivier Garcia S 1ers assistants caméra Hugues Gemignani, Cendrine Dedise, Marc Anfossi S 2es assistants caméra Thomas Pérot, Maxime Morice S Ingénieur du son Léonard Giulianelli S Mixeur son Éric Tisserand S Montage image Yannick Le Goaëc S Montage son Arnaud Rolland S Montage musique Cécile Coutelier S Mixeur musique Bruno Mercère, Victor Gervaise S Bruiteur Nicolas Fioraso S Ingénieur du son bruitage Julien Bouchez S Enregistrement bruitage André Cappello, Kim Cuong Lam S Chef éclairagiste Nicolas Lefievre S Chef machiniste Jean-Pierre Gavignet S Chef décoratrice Catherine Parmentier S Graphistes Julie Lefebvre, Yacine El Ouaddaf S Assistantes réalisateur Manon Bourasseau, Lin Qin S Compositeur musique Jean-Michel Bellaiche S Orchestration Robin Melchior S Direction de l’orchestre Jonas Ehrler S Interprétation Orchestre National d’Île-de-France S Directeur de post production Guy Coutecuisse S Producteur exécutif Mohammed Charbagi S Distribution DRH distribution A Vif Cinémas

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