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Arts-chipels.fr

Lisbeth’s. Un prénom au pluriel dans une circularité amoureuse façon Escher.

Lisbeth’s. Un prénom au pluriel dans une circularité amoureuse façon Escher.

Cette variation autour du coup de foudre où se mêlent érotisme et fantastique est admirablement servie par deux comédiens hors pair.

Ils se rencontrent dans un bar. Ils n’avaient pas prévu de se rencontrer là. Elle vient, dit-elle, de quitter son mari, qui était aussi son employeur. Il est voyageur de commerce, représentant en encyclopédies. Entre eux, c’est l’éblouissement immédiat, malgré les atermoiements. Ils se revoient, entament une relation torride. Mais Pietr – c’est l’homme – ne parvient pas à cerner Lisbeth – c’est elle au singulier –, à la connaître. Bientôt se dessineront d’autres Lisbeth, celle qui a un enfant qui ne parle pas mais sait dire et celle qui prétend n’en avoir pas, celle qui voudrait un enfant de Pietr, qui porterait le même prénom, Carol, que celui qui existe sans exister. Pour couronner le tout, voici qu’un jour, sur un quai de gare, Pietr ne reconnaît plus Lisbeth. Elle a le même rire, ses baisers sont les mêmes, pourtant ce n’est plus elle. On navigue dans l’étrangeté de ce singulier pluriel d’une femme insaisissable et pourtant réelle. Alors on imagine une suite à l’histoire. Il lui fait l’enfant qu’elle demande. L'enfant est muet. Ils vont se séparer. Elle le quitte, et l’histoire recommence sur cet escalier qui monte en descendant sans début ni fin…

Lisbeth’s. Un prénom au pluriel dans une circularité amoureuse façon Escher.

Un texte singulier pour une interrogation plurielle

En magicien des mots, Fabrice Melquiot excelle à cultiver l’ambiguïté que Pietr, le narrateur, dévoile peu à peu. Ils ont la quarantaine, un âge de « raison ». Elle a fait irruption alors qu’il n’attendait plus rien. Elle est mystérieuse, ne livre que des petits bouts d’elle, au fil des rencontres. La langue tangue, se dessine en bribes, se répand en éclats. Ils disent sans dire, laissent des phrases inachevées que l’autre complète à sa guise dans sa tête, comme leur relation toute en marches d’approches, en découvertes partielles, en grands pans d’inconnu. C’est dans le creux de nos oreilles que Pietr vient susurrer ses incertitudes. Pourquoi Lisbeth saigne-t-elle du nez ? Pourquoi la cicatrice de sa césarienne a-t-elle disparu ? Pourquoi nie-t-elle l’existence de son enfant, qui a pourtant arraché une phalange de Pietr en le mordant ?

Lisbeth’s. Un prénom au pluriel dans une circularité amoureuse façon Escher.

L’homme et la femme qui faisaient l’amour à leur micro

La mise en scène évacue tout réalisme. Les deux personnages sont debout, face au public, et ce qu’ils se disent passe par les micros sur pied dans lesquels ils parlent. Ils ne se regardent pas, sauf un coup d’œil en de rares occasions, ne se touchent jamais. Le micro est leur partenaire et leur relation acquiert un érotisme fou à travers le dialogue qu’ils entretiennent à travers lui. Ils s’en approchent pour se chuchoter à l’oreille les paroles de la séduction, font l’amour avec lui en allers-retours avant-arrière lorsque le sexe s’invite dans l’histoire. Ils sont rockers sans musique autre que la parole, slamers d’un fantasme qui se développe au rythme des nappes sonores qui baignent leur rencontre. Les micros sont l’oreille du public dans laquelle ils se livrent. C’est chaud, traversé de gore, dans ce jeu minimaliste et pourtant éloquent qui suggère plus qu’il ne dit et gagne d’autant plus en force.

Dans cette énigme non résolue où se cachent le désir et sa perte, se tient toute l’histoire des relations homme-femme mais pas que : la passion qui brûle tout sur son passage, sa « normalisation » et l’usure de l’habitude, les enfants. Un cycle au bout duquel on se pose cette éternelle question : C’est quoi, l’amour ? N’est-il condamné qu’à être détruit pour garder sa force ?

Lisbeth’s. Un prénom au pluriel dans une circularité amoureuse façon Escher.

Lisbeth’s

S Texte Fabrice Melquiot S Conception et adaptation Valentin Rossier S Jeu Marie Druc, Valentin Rossier S Dramaturgie Hinde Kaddour S Création lumière Jonas Bühler S Création musique et sons David Scrufari S Administration Eva Kiraly S Photos Carole Parodi

Du 20 mars au 11 mai 2024, mer., jeu., ven., sam. à 19h

Manufacture des Abbesses – 7, rue Véron, 75018 Paris

01 42 33 42 03 www.manufacturedesabbesses.com

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