30 Mars 2024
C’est le récit de longues années de souffrance que livre Sarita-Vincent, assigné « mâle » au prix de nombreuses opérations dès sa naissance. Histoire d’un déni familial et sociétal livré brut de décoffrage.
Un jeune homme est installé, cigarette au bec, au milieu d’une profusion de plantes vertes. Elles sont son oxygène à lui, sa manière de tenir la vie par un petit bout. Parce que ce qu’il raconte, c’est le fond du trou : son partenaire l’a quitté, sa famille le fuit, il n’a pas d’amis. Parce qu’il est « différent ». Intersexué comme on dit aujourd’hui au lieu d’« hermaphrodite » qu’on utilisait autrefois. C’est son histoire à la première personne qu’il raconte sur scène par le truchement du comédien, sa version, dans laquelle les autres personnages ne sont que des ombres sonores qu’il projette, des voix « off » qui viennent ponctuer son besoin de dire, apporter de l’eau à son moulin.
Une histoire révélatrice
Iel est né.e intersexe et, dès sa naissance, on a décidé pour lui-elle : le médecin qui a choisi de quel côté faire pencher la balance l’a charcuté avec l’assentiment de parents incapables de mesurer l’impact des opérations qui vont lui mutiler le corps et l’âme. Il sera garçon sans l’avoir choisi, abreuvé de testostérone, et les multiples interventions chirurgicales qu’on lui fait subir laissent sur son corps des traces ineffaçables, des cicatrices, des traumatismes et des douleurs sans fin. Quand son petit ami l’abandonne, le dernier verrou de son rattachement à la vie saute. C’est alors qu’il découvre – il a trente-sept ans – qu’il n’est pas seul.e dans son cas et qu’il peut échanger avec d’autres – ils représentent environ 2 % de la population, nous dit-on –, qui vivent des expériences similaires à la sienne.
Un récit par le menu
Cette confession intime, iel l’écrit en période de covid, confiné.e et solitaire. Anne-Laure Labaste, à la console, aux claviers et à la voix, ponctue, dans une musique de notre temps, la litanie incessante de celui qui se contemple d’un œil désabusé et porte sur son existence un regard fatigué mais non dénué d’humour, résigné à être agi, à voir les autres décider à sa place de l’orientation de sa vie. Comme une ritournelle reviennent le silence des parents, leur absence dans sa vie, les opérations, les douleurs, le désir d’en finir, les couleuvres qu’il avale de peur d’être quitté, sa solitude. Si la sincérité du texte ne fait aucun doute, elle laisse cependant dans la bouche un goût étrange lié à la volonté d’en constituer la matière du spectacle.
Une neutralité d’écriture qui laisse perplexe
Écrit comme un article de presse presque dépourvu d’intériorisation tant la volonté de mettre à distance des blessures à vif est forte, le texte manque cruellement d’une écriture. Le personnage-auteur dit « je » mais le « je » reste en surface. Nulle image ne surgit, nulle métaphore poétique ou dramatique ne vient ponctuer le récit, nulle chair, paradoxalement, n’habille cette confession d’un enfant du siècle qu’on a tué dans l’œuf ou du moins irrémédiablement abîmé. Dans son jeu, le comédien adopte un recul auto-ironique et la tension intérieure qu’on attendrait pour démentir la neutralité du texte est absente. L’auteur, de surcroît, se prend au piège des détails, provoquant une impression de redite, comme s’il déversait en vrac un trop-plein, et sa volonté de témoigner, dont on comprend aisément la justification et qu’on partage, peine ici à faire spectacle.
Même si l’émotion s’installe à la fin de la pièce avec la lettre de sa mère mourante qui lui exprime son affection et sa difficulté à trouver le chemin pour lui témoigner son amour et que s’ébauche une réparation possible, cette manière de suivre, pas à pas, les étapes d’une histoire dont on ne doute pas qu’elle soit vraie ne nous laisse ni séduits par le témoignage qui se perd dans une précision qui ne sert pas le propos, ni captés par un développement documentaire ou par un propos militant auquel il pourrait donner lieu. Parce que nous sommes au théâtre et que nous y attendons un spectacle, c’est-à-dire une forme de fiction. Au bout du compte, nous restons sur notre faim et c’est dommage.
Cicatriciel de Sarita-Vincent Guillot
S Mise en scène Yann Dacosta S Avec Vincent Bellée - comédien & Anne-Laure Labaste – musicienne S Composition Anne-Laure Labaste S Création lumières Marc Leroy S Création sonore Antonin Barteau S Scénographie Grégoire Faucheux S Administration/ production Mathilde Goy et Marielle Julien S Production Le Chat Foin S Coproduction CDN Normandie - Rouen, L’Etincelle - Théâtre(s) de la Ville de Rouen, Maison de l’Université - Mont-Saint-Aignan S Avec le soutien du Théâtre du Nord, DSN - Dieppe Scène Nationale S Le Chat Foin est conventionnée par le Ministère de la Culture / Drac Normandie, la Région Normandie et la Ville de Rouen S Durée 1h20
TOURNÉE
jeudi 28 mars 2024 - 14h : DSN - Dieppe Scène Nationale
2 au 21 juillet 2024 - 17h : 11 Avignon dans le cadre du Festival d’ Avignon (11 bd raspail. 04 84 51 20 10 . 11avignon.com)
7 février 2025 : Espace culturel Pointe de Caux - Gonfreville l’Orcher
saison 2024/2025 : Le Forum - Falaise, tournée en cours de construction...