6 Avril 2024
Le documentaire d’Osvalde Lewat, que diffuse Arte le 9 avril à 23h, éclaire d’un jour peu connu l’une des facettes de Nelson Mandela : celle d’un dirigeant qui prône la lutte armée pour lutter contre l’apartheid.
En 1961, l’African National Congress (ANC), organisation de défense des droits des noirs en Afrique du Sud, auparavant pacifiste, décide, devant l’intensification de la répression du pouvoir blanc dans le pays, de passer à la lutte armée avec la création d’uMkhonto weSizwe (MK), dirigée par Nelson Mandela et composée de jeunes révolutionnaires noirs, indiens et blancs. Elle entame une campagne de sabotage de bâtiments officiels, lieux symboliques de l’apartheid, mais le mouvement est rapidement décapité et, en 1964, ses chefs sont emprisonnés. Mandela ne sera définitivement libéré qu’en 1986. En avril 1994, il est élu président de la république d’Afrique du Sud.
L’histoire par ceux qui l’ont vécue
Le projet d’Osvalde Lewat est multiple. Il s’agit d’abord de faire raconter l’histoire non par des historiens ou par des spécialistes, mais par ceux qui en ont été les protagonistes et les acteurs et de donner la parole, non aux personnalités politiques et aux leaders mais à ceux qui formèrent la base de la lutte. Dans son documentaire, elle part à la recherche de celles et ceux qui ont combattu dans les rangs de cette armée secrète. Elle convoque les noirs, mais aussi les blancs ou les indiens qui ont contribué à la chute de l’apartheid. L’histoire de cette période, pour elle, passe la confrontation des histoires privées avec la grande Histoire. Elle est composée de cette accumulation de « petits » faits quotidiens, d’engagements individuels, d’aventures personnelles. Elle est faite de révoltes isolées et de ciments collectifs, telles ces chansons révolutionnaires reprises par tous et enracinées dans les rythmes de la musique africaine. Elle raconte l’épopée de ces parfois très jeunes gens, femmes et hommes à peine sortis de l’adolescence qui, encouragés souvent par leurs proches, quittent famille et amis pour gagner le maquis.
Le rôle moteur des « grands frères » socialistes
Ils reviennent sur leurs raisons de prendre les armes, sur la ségrégation dont ils ont été victimes, sur la privation de leurs droits, sur la répression qui s’abat sur ceux que le pouvoir blanc considère comme des sous-hommes. Ce qu’ils racontent aussi, c’est le quotidien de la lutte armée : les camps d’entraînement dans les pays voisins, qui signifient un départ du village, un arrachement en même temps que la découverte d’un autre monde dans des endroits parfois lointains comme la Russie ou Cuba ; les armes qui viennent d’ailleurs alimenter la lutte et qu’on apprend à manipuler. Et avec cette aide, l’enjeu politique que représente pour les « grands frères » socialistes, l’agitation révolutionnaire mondiale dont ils sont partie prenante dans l’espoir d’une société non ségrégationniste, plus juste, plus égalitaire.
Entre témoignages et documents d’archives
Il a fallu près de quatre ans à la conceptrice-réalisatrice pour mener le film à son terme. Pour conquérir, d’abord, la confiance des « vétérans » qu’elle a rencontrés, obtenir d’eux le témoignage à cœur ouvert et à visage découvert qui fait le prix de ce documentaire. Pour absorber, digérer et traduire, ensuite, la complexité du matériau recueilli sans en dénaturer ou occulter les facettes contradictoires. Pour faire résonner ensemble les documents d’archives, extraits de discours ou de presse, reportages d’actualité de l’époque et les témoignages vécus. Faire naître une histoire noire racontée par des noirs, de leur point de vue et non plus partant d’une optique blanche, fût-elle bienveillante.
Guérilleros et après ?
Au-delà de la découverte de cet aspect méconnu de la lutte de l’ANC et de ceux qui en ont été les acteurs, l’un des intérêts de ce documentaire est d’aborder l’après. Trente ans après l’élection de Nelson Mandela, l’amertume est perceptible dans la bouche de certains de ces vétérans qui regardent de manière désabusée ce qui reste de leur espoirs. Le démantèlement de l’apartheid n’a pas permis aux couches socialement défavorisées d’acquérir un meilleur niveau de vie ; beaucoup ont été laissés pour compte ; de nombreux scandales ont éclaboussé certains dirigeants, parfois au sein même de l’ancienne MK, et la justice sociale est relative. D’où le sentiment que les bénéfices de ce combat long et difficile n’ont profité qu’à quelques-uns.
L’apprentissage difficile de l’après-colonisation
Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de toutes les dérives, pour les noirs, quelque chose a changé et que des pratiques inacceptables ont été éradiquées. Le tableau que dépeignent ces témoignages – une corruption galopante et la montée d’une nouvelle classe d’enrichis au détriment de leurs frères – se rapprochent de ceux dressés dans d’autres pays, comme la Guinée-Bissau, ayant conquis leur indépendance de relativement fraîche date. Il n’en reste pas moins que ce processus entre aujourd’hui dans celui de pays en mesure de décider eux-mêmes de l’avenir qu’ils souhaitent se donner. On peut espérer cependant que les générations montantes, qui n’auront pas connu la colonisation, garderont au moins de leurs aînés les valeurs d’humanité et de solidarité qui ont motivé leur révolte.
MK, l'armée secrète de Mandela - France / Afrique du Sud / Cameroun • 2023 • 60 min • couleur • Diffusion ARTE Mardi 9 avril 2024 à 23h00
S Un film documentaire d'Osvalde Lewat S Écriture et réalisation Osvalde Lewat S Chef opérateur Julien Bossé S Prise de son Nkosinami Mhlongo S Montage Anne Renardet S Musique MK Choir S Avec la participation de Dudu Msomi, Andy Kasrils, Zola Maseko, Ronnie Kasrils, Jabu Masina, Mac Maharaj, Totsie Memela, Mavuso Msimang S Avec les voix de Lilian Thuram, Claudy Siar, Nadège Beausson-Diagne, Kidi Bebey, Olivier Rubinstein, Christophe Lavalle, Tal Zana, Serge Tatnou S Producteurs délégués Xavier Carniaux, Serge Gordey S Directeur de production Kevin Michel S Production ARTE France, Temps noir, Roches Noires, Lady Hélène (Cameroun), Anaphora Films (Afrique du Sud) S Avec le soutien Région Normandie S En partenariat avec Le Centre National du Cinéma et de l'Image Animée, Normandie Images, Fondation Micham, PROCIREP, Société des Producteurs, ANGOA, Canal+ International, National Film and Video Foundation (Afrique du Sud)