30 Novembre 2023
Si les filles et les femmes vivent la difficulté de se définir et de trouver leur place dans le paysage social, les attendus et les affres de la masculinité ne sont pas moins périlleux pour les garçons et les jeunes hommes d’aujourd’hui.
Dans Désobéir, Julie Berès interrogeait la manière que choisissaient des jeunes femmes issues de la deuxième ou de la troisième génération de l’immigration de dire « non » aux injonctions familiales et sociales, de s’inscrire contre la tradition. La Tendresse en est le pendant, côté masculin. Réalisé à partir d’une quarantaine de rencontres avec des jeunes issus de milieux différents et, dans le travail scénique, avec les huit jeunes hommes, acteurs ou danseurs, venus du Congo comme de Picardie, de la break dance comme du hip hop ou de la danse classique, avec leur histoire, leur corporalité, leur témoignage et leurs problématiques, le spectacle mêle en les réécrivant la somme de leurs expériences, de leurs vécus, de leurs questionnements et de leurs mal-être dans une forme qui associe parole collective, chorale, et témoignages individuels.
La masculinité à l’épreuve
Dans un décor façon blockhaus, entre pierre et béton, ils sont huit à écrire à la craie leurs prénoms, qui représentent à eux seuls toute une galaxie : Natan, Naso, Djamil, Mohamed, Romain, Tigran, Alexandre et Bboy Junior. Des caricatures de purs machos ou prétendus tels. Grands et petits, maigres et gros, avec des cheveux de toutes tailles et des dégaines de petits durs. Leur logique, c’est la domination de l’un sur l’autre, l’exercice de la force, le groupe. Ils disent la violence qu’ils sentent en eux – « à tout moment j’pourrais vriller » –, une pulsion impossible à maîtriser, qu’ils exercent même malgré eux – « Ma mère a peur de moi, et ça tu peux pas l’effacer » –, parfois héritée de l’éducation familiale, de la ceinture du père qui s’abat sur eux…
Entre sexe et amour
Naturellement, ce sont les filles qui s’invitent en premier dans cette rencontre sur terrain vague. Et leur discours se fissure parce que les filles, c’est un continent, une énigme. Ils parlent cash. De leur premier rapport sexuel – elle mouillait et moi, je croyais qu’elle saignait – des poils qu’on guette à la puberté, de l’amour vu à la De Niro ou à la Al Pacino, des difficultés d’avoir l’air intello ou de ce que ça fait d’être gros. Ils jouent et miment les muscles de Rambo, les glorieux militaires qui crèvent au champ d’honneur, la nécessité d’être compétitif-sportif-agressif dans une vie qui n’est qu’un long combat. Ils conspuent, comme il se doit les « pédés », la main sur la braguette. Et quand une fille les largue, on retrouve le « Toutes des salopes ! » qui fait partie de l’arsenal traditionnel de ceux qui préfèrent ne pas s’interroger sur leur comportement.
Le corps, vecteur fondamental de la masculinité
Garçon, ou homme, c’est d’abord s’imposer et la corporalité est omniprésente dans leur comportement, dans leur manière de se planter au sol, de mouvoir leur corps par à-coups, de le faire chalouper en roulant des mécaniques, d'adopter la reptation de l'animal guettant sa proie ou de s'avancer poitrail en avant pour impressionner l'adversaire. Montrer ses muscles, mettre en avant ce qu’on pense avoir de plus et qui réside entre les jambes, chercher à épater, développer à travers la danse, qu’elle soit classique ou emprunte au hip hop, au rap ou à la break, une gestuelle chorégraphique qui rappelle les parades amoureuses des animaux – je te montre que je suis grand, beau et fort et que tu dois m’admirer. Autant de stratégies pour se faire reconnaître, se faire accepter par le clan, assorties de techniques de drague éculées, qui ne fonctionnent plus.
Quand le vernis craque
Au fil de l’évolution de la pièce, au discours collectif s’ajoutent monologues ou duos, plus directement adressés au public. Le bloc monolithique du « mâle » se fissure et laisse apparaître les fêlures que comporte l'histoire personnelle de chacun : l’homosexualité, les filles « garçons » avec leurs couilles qu’on ne voit pas, le porno dans l’apprentissage du plaisir, le désarroi d’avoir été largués ou les rêves de paternité. Ils expriment la difficulté d’adopter le bon comportement face aux filles – pas assez ou trop offensif ? – le danger dans lequel les #MeToo les ont placés. Ils parlent de leur difficulté de passer outre l’éducation qu’ils ont reçue, les traditions familiales ou culturelles de leur communauté, de marquer leur désaccord avec leur groupe, d'échapper à leur définition genrée sans renoncer à leur corps d’homme.
Physiques, toujours dans la dynamique, ils sont vivants, mobiles, à vif, dans l’énergie. Avec des mots crus, sans fioriture ni pudeur, ils nous balancent leurs vérités en plein bide, font de nous le punching ball dans lequel ils cognent pour voir comment ça réagit. Mais cette battle incessante est en même temps le miroir dans lequel ils se reflètent. Ce qu’ils exhibent au grand jour comme un combat – et c’est infiniment touchant – c’est une intimité sans fard et une fragilité sans fond. Un long chemin de Damas dans une quête d’identité sans solution toute prête ni prémâchée.
La Tendresse
S Conception et mise en scène Julie Berès S Écriture et dramaturgie Kevin Keiss, Lisa Guez et Julie Berès, avec la collaboration d’Alice Zeniter S Chorégraphe Jessica Noita S Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Naso Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki en binôme avec Ryad Ferrad, Saïd Ghanem, Guillaume Jacquemont S Création lumière Kélig Le Bars S Création son et musique Colombine Jacquemont S Assistant à la composition Martin Leterme S Scénographie Goury S Création costumes Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot S Régie générale Quentin Maudet S Régie plateau Dylan Plainchamp S Accompagnatrices de tournée Alice Gozlan et Béatrice Chéramy S Durée 1h50 environ S À partir de 15 ans S Remerciements à Florent Barbera, Karim Bel Kacem, Johanny Bert, Victor Chouteau, Mehdi Djaadi, Elsa Dourdet, Emile Fofana et Nicolas Richard pour leurs précieuses collaborations. S Le décor a été construit par l’Atelier du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique-Nantes. S Production Compagnie Les Cambrioleurs / direction artistique Julie Berès S Coproductions et soutiens La Grande Halle de la Villette, Paris • La Comédie de Reims, CDN • Théâtre Dijon-Bourgogne • Le Grand T, Nantes • ThéâtredelaCité – CDN de Toulouse Occitanie • Scènes du Golfe, Théâtres de Vannes et d’Arradon • Les Théâtres de la Ville de Luxembourg • Les Tréteaux de France, CDN d’Aubervilliers • Points Communs, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise • Nouveau Théâtre de Montreuil CDN • Théâtre L’Aire Libre, Rennes • Scène nationale Chateauvallon-Liberté • Théâtre de Bourg-en-Bresse, Scène conventionnée • La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc • Le Canal, Scène conventionnée, Redon • Le Quartz, Scène nationale de Brest • Espace 1789, St-Ouen • Le Manège-Maubeuge, Scène nationale • Le Strapontin, Pont- Scorff • TRIO...S, Inzinzac-Lochrist Soutiens Fonds d’insertion de l’ESTBA et de l’ENSATT, avec la participation artistique du Jeune Théâtre National • Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale. S La Compagnie les Cambrioleurs est conventionnée par le Ministère de la Culture / DRAC Bretagne, par la Région Bretagne et par la Ville de Brest et est soutenue pour ses projets par le Conseil Départemental du Finistère S Création 2021 S Durée 1h50 S À partir de 15 ans
La Tendresse
TOURNÉE
2023
Du 4 au 14 octobre Théâtre national de Strasbourg
Le 6 novembre Transversales, Verdun
Le 9 novembre Festival L’Orange bleue / PIVO, Eaubonne
Le 14 novembre Le Rive Gauche, St-Étienne-du-Rouvray
Le 17 novembre L’Éclat, Pont-Audemer
Le 20 novembre Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil
Les 23 et 24 novembre Théâtre de Grasse LE 28 novembre Théâtre de l’Olivier, Istres
Le 1er décembre Théâtre Romain Rolland, Villejuif
Du 6 au 23 décembre Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
2024
Du 29 février au 1er mars (option) Théâtre Forum Meyrin, Genève – Suisse
Les 4 et 5 mars Théâtre Nebia, Bienne – Suisse
Le 7 mars Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul
Le 12 mars Théâtre de Laval, Centre National de la Marionnette
Le 14 mars Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré
Du 19 au 21 mars Le Méta, CDN de Poitiers / Théâtre Auditorium de Poitiers
Du 26 au 29 mars La Comédie de Saint-Étienne
Le 2 avril L’Odyssée, Périgueux
Le 5 avril CIRCa, pôle National Cirque, Auch
Les 9 et 10 avril Scène nationale du Sud Aquitain, Bayonne
Le 12 avril Théâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan
Les 17 et 18 avril CDN de Tours / Université de Tours
Le 23 avril Maison de la culture de Tournai, Belgique
Le 26 avril Théâtre de Rungis
Les 2 et 3 mai Maison de la musique de Nanterre
Le 7 mai Théâtre de Montbéliard, Scène nationale
Le 13 mai Le Parvis, Scène nationale Tarbes-Pyrénées
Le 16 mai L’Estive, Scène nationale de Foix
Les 22 et 23 mai Château-Rouge, Annemasse
Du 27 mai au 8 juin Festival Carrefour international de théâtre – Québec, Canada