Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Le Mois Molière à Versailles édition 2025, un menu varié.

Le Chant des lions. Phot © Fabienne Rappeneau

Le Chant des lions. Phot © Fabienne Rappeneau

Le théâtre infuse les quartiers de la ville tout au long de juin, avec 54 spectacles, certains en avant première du Festival d’Avignon Off.

Une programmation éclectique

Né il y vingt-neuf ans, sous l’égide de la Mairie de Versailles et à l’initiative de François de Mazières, alors adjoint à la Culture et aujourd’hui Maire de la ville, ce festival a pris depuis une grande ampleur. Il en reste le programmateur enthousiaste, se reposant sur un réseau fidèle de compagnies. « Cette année, dit-il, j'ai souhaité mettre à l'honneur le théâtre contemporain mais aussi des textes d'auteurs classiques tels Beaumarchais, Feydeau, Racine, Shakespeare, Dostoïevski, Molière... »

Les Versaillais ont accès gratuitement ou pour quelques euros à des pièces en tout genre, jouées en plein air aux quatre coins de la cité, au Conservatoire ou dans le Théâtre Montansier, petit écrin XVllle à deux pas du château. Au total, une soixantaine de lieux cette année.

Le Mois Molière joue les prolongations au Festival d’Avignon, dans trois salles du Off, à l’Ancien Carmel d’Avignon et au Petit Louvre

En ce jour de lancement, un public d’habitués est venu en nombre assister aux festivités et, tout au long du mois, la plupart des spectacles affichent déjà complet. On a pu voir deux pièces à la suite, qui donnent un échantillon de la manifestation. Une saga historique fraîchement écrite, Le Chant du Lion, et la mise en scène d’un classique contemporain, les Dactylos, de l’Américain Murray Schisgal. 

Le Chant des lions une histoire d’amour inscrite dans l’Histoire.
D’une idylle entre l’écrivain Joseph Kessel et la chanteuse Germaine Sablon est né le Chant des Partisans. Julien Delpech et Alexandre Foulon content la genèse de l’hymne de la Résistance, dans une mise en scène enlevée de Charlotte Matzeff.

Coup de foudre au cabaret

Paris 1935. Dans l’ambiance d’un music-hall de Pigalle, Joseph Kessel fait la conquête d’une jeune chanteuse, avec la complicité de sa compagne Katia qui sait l’écrivain volage : « Jeff est un lion, on ne met pas un lion en cage », dit-elle. La chanteuse, c’est Germaine Sablon, qui chante alors « Un amour comme le nôtre, il n’en existe pas deux ». Au sommet de sa gloire avec des succès comme Mon Légionnaire ou C’est mon homme, la star cède au charme de l’écrivain baroudeur. Ils s’embarquent pour une vie à deux trépidante, elle au volant de sa Bugatti, lui aux commandes de son avion. Dans l’entourage de Katia et Joseph, qui malgré tout restent ensemble, évolue Maurice Druon, neveu de Kessel, fils naturel de son petit frère, Lazare. Dans la première scène, on assiste au suicide de Lazare dans une chambre d’hôtel au sortir de la Première Guerre mondiale, un événement qui marque fortement Joseph.

La Seconde Guerre mondiale éclate et frappe de plein fouet tout ce petit monde. Kessel, juif, voit ses écrits brûlés. Germaine, Joseph et Maurice rejoignent la Résistance dans le Midi, puis à Londres. Katia suit. 

Des années folles aux années sombres

La pièce s’inscrit dans le fil des événements historiques : des figures comme le Maréchal Pétain ou le général de Gaulle font de brèves apparitions sur le plateau pour marquer cette chronologie, sans que les auteurs cherchent à produire une fresque historique. Ils s’attachent davantage à brosser le portrait d’un petit groupe d’individus liés par des relations intimes : le couple Katia-Kessel, qui survit à la longue et orageuse liaison entre l’écrivain et la chanteuse ; l’attachement de Joseph à son neveu ; l’admiration filiale de dernier ce pour cet oncle remuant...

La scénographie propose des espaces polyvalents pour passer d’un lieu et d’une époque à l’autre : de la scène du cabaret à l’appartement des Kessel, du restaurant du chef de réseau de Toulon à un wagon de chemin de fer où les résistants transportent clandestinement une radio, des studios de la BBC au cabinet du Général de Gaulle. Il suffit de quelques meubles transformables pour déplacer l’action. ​​​​​​​

Le Chant des lions. Phot © Fabienne Rappeneau

Le Chant des lions. Phot © Fabienne Rappeneau

L’histoire en marche

Découpée comme un scénario de cinéma, la pièce permet une mise en scène fluide, parfois haletante, sur les traces de personnages exceptionnels, devenus des héros de « l’armée des ombres », titre d’un roman de Joseph Kessel. 

La musique et les bruitages donnent le tempo et la cadence. Non content d’accompagner les romances de Germaine Sablon qui ponctuent la narration, Mehdi Bourayou restitue, par la magie de micros cachés dans le décor, des ambiances dramatiques : pluie, roulements cadencés de train, bruits des bottes allemandes claquant sur le sol, bombardements, discours radiophoniques. Homme-orchestre, il entre aussi dans la fiction, endossant de petits rôles aux côtés de ses cinq partenaires. Vanessa Cailhol, comédienne et chanteuse, incarne avec justesse et sans chichi Germaine Sablon, femme de caractère et large d’esprit à l’instar de l’indulgente Katia (Élodie Colin, qui joue aussi une résistante). Joseph Kessel, sous les traits d’Éric Chatelauze, quoique fanfaron et alcoolique, force la sympathie. Thibault Pinson compose un Maurice Druon fougueux et romantique et se dédouble en un ombrageux Lazare Kessel, rongé par la culpabilité d’avoir séduit la fiancée de son aîné. Il prête aussi sa silhouette à des personnages annexes. Thierry Pietra, lui se glisse habilement dans les rôles de directeur de cabaret, de producteur, de résistant, d’agent de police, etc. 

La part des femmes

Julien Delpech et Alexandre Foulon se sont beaucoup documentés et restituent l’ambiance de l’époque d’une plume alerte, se permettant quelques libertés avec les faits pour pimenter leur pièce. Ils créent des personnages complexes, loin des clichés hagiographiques, et tiennent à valoriser le rôle des femmes dans cette histoire.

Si Joseph Kessel et ses œuvres sont restés dans les mémoires, qui fredonne encore les tubes de Germaine Sablon ? Et qui sait qu’elle fut une grande patriote avant d’enregistrer, en direct à l’antenne de Radio Londres, Le Chant des partisans ? L’hymne fédérateur de la Résistance semble ici avoir été bricolé à la va-vite par Joseph Kessel et Maurice Druon, à la demande du Général de Gaulle, sur la musique de La Marche des partisans d’Anna Marly, une artiste russe réfugiée en France. Ce que la pièce ne dit pas, c’est que les paroliers se sont aussi inspirés du texte russe de cette œuvre.

Le Chant des lions, en mettant en lumière des individus hors du commun pendant les années de guerre, souligne à quel point la figure combattante de Germaine Sablon eut son importance et combien elle est injustement oubliée, sinon méconnue, C’est le sort commun de bien des femmes, effacées des livres d’histoire.

Les Dactylos. Phot. © Capucine Grou-Radenez

Les Dactylos. Phot. © Capucine Grou-Radenez

Les Dactylos, le blues des employés de bureau

Dans le bureau d'une petite société commerciale, Paul, fraîchement engagé pour taper des adresses au dos de prospectus publicitaires, va faire équipe avec Sylvia, promue cheffe de service pour l’occasion. La jeune femme, déjà pétrie de petites manies, lui apprend l’art de la dactylo et la manière de se comporter avec le patron, présence invisible qui plane sur ces lieux. Le décor se limite à deux bureaux, avec leur machine à écrire, et une horloge marquant le temps qui s’écoule, monotone. De jour en jour, ces deux êtres, qui ont en commun leurs ambitions brisées, voient leur relation fluctuer entre rivalité et séduction, agacement et indifférence. Paul étudiant en droit se rêvait en avocat ; Sylvia, fille de bonne famille, se voyait femme au foyer. Rien de tel n’adviendra : ils vieilliront ensemble sous le harnais, en miroir l’un de l’autre.

L’écriture drôle et cruelle de Murray Schisgal n’a pas pris un pli. Aucun temps mort dans ces dialogues acérés, où on retrouve le théâtre du quotidien d’un Michel Vinaver et l’absurde d’un Ionesco. Avant d’être un scénariste à succès, connu notamment pour le film de Sydney Pollack, Tootsie (1982), l’auteur new-yorkais s’est distingué sur les scènes londoniennes en 1960 avec Les Dactylos et Le Tigre. Adaptées et montées en France par Laurent Terzieff, ces deux pièces n’ont pas cessé d’être jouées depuis. Remis au goût du jour par Éric Chantelauze et interprété avec finesse, Les Dactylos n’a rien perdu de son actualité.

On pourra voir ces deux spectacles, qui augurent bien du mois Molière, au Festival d’Avignon off.

Les Dactylos. Phot. © Capucine Grou-Radenez

Les Dactylos. Phot. © Capucine Grou-Radenez

Le Chant des Lions de Julien Delpech et Alexandre Foulon S Mise en scène Charlotte Matzneff S Musique Mehdi Bourayou S Avec Mehdi Bourayou, Vanessa Cailhol, Éric Chantelauze, Élodie Colin, Thierry Pietra, Thibault Pinson S Costumes Corinne Rossi S Lumière Moïse Hil S Scénographie Antoine Milian Chorégraphie Mariejo Buffon S Durée 1h40
Du 5 au 26 juillet à 14h 40 au Théâtre des Gémeaux, 10 rue du Vieux Sextier, Avignon (84)

Les Dactylos de Murray Schisgal S Adaptation Laurent Terzieff S Mise en scène Eric Chantelauze S Avec Jérôme Rodriguez et Valentine Revel-Mouroz S Durée 1h.
Du 5 au 26 juillet à 18h15 au Petit Louvre, 23 rue Saint-Agricol, Avignon (84)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article