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Arts-chipels.fr

Germaine Acogny, l’essence de la danse. Une leçon de vie.

Germaine Acogny, l’essence de la danse. Une leçon de vie.

Greta-Marie Becker filme au plus près la « papesse » de la danse africaine contemporaine. Interprète et chorégraphe, Germaine Acogny a développé un style inédit et formé des générations d’artistes. À 81 ans, elle continue à se battre pour la pérennité de son « école des sables », menacée par l’extension du port de Ndayane, au Sénégal. Le documentaire suit Germaine Acogny, en dialogue avec ses proches, ses pairs et ses élèves. Au-delà de l’exercice d’admiration, il brosse le portrait d’une Amazone noire qui danse vers la liberté. La sienne et celle de futurs artistes d’Afrique et d’ailleurs. À retrouver sur les écrans le 16 juillet 2025.

Une étoile noire

Le film nous emmène au bord d’une lagune, au Sénégal : paysage de sable et d’arbustes. « Je vous ai donné des fleurs, rendez-moi un bouquet », dès les premières images, Germaine Acogny s’adresse à ses élèves, rectifiant leurs mouvements. La réalisatrice inscrit ainsi, en arrière-plan du portrait de l’artiste franco-sénégalaise, son « École des sables » (EDS), établie en parallèle d’une fructueuse carrière.

Elle a côtoyé les plus grands de la danse contemporaine. Maurice Béjart – qui avait une grand mère sénégalaise – l’a lancée : on la voit en sa compagnie, à Bruxelles, en 1975, avant qu’il ne la nomme directrice de « Mudra Afrique », l'école  de danse qu’il a créée à Dakar. Olivier Dubois l’a adoubée en créant en 2014, un solo pour elle : Mon élue noire – Sacre no.2, sur la musique originale du Sacre du printemps. On l’y voit, captée à l’époque, faire littéralement exploser, par la rage de sa danse, la cage dans laquelle elle est enfermée. Plus récemment, en 2022, au Théâtre de la Ville de Paris, on a pu apprécier son duo Common Ground(s), en première partie d’une reprise du Sacre du Printemps de Pina Bausch, avec les danseurs noirs de son école.

Mais dès ses premières apparitions sur scène, elle dégageait une énergie folle, en attestent les archives insérées dans le film. Dès son premier solo sur le poème Femme nue de Léopold Sédar Senghor, alors président la nouvelle République du Sénégal, proclamée en 1960, son talent lui a valu l’amitié et le soutien de ce chantre de la négritude. Fervent défenseur des arts, il partageait avec elle le même combat : révéler une Afrique indépendante, fière de ses racines et ouverte sur le monde. C’est ainsi que la danse africaine entra dans le grand bal contemporain, et la présence noire s’invita sur les scènes.

Germaine Acogny, l’essence de la danse. Une leçon de vie.

Danser comme les arbres

Germaine Acogny venait de  loin pour aller loin. Née en 1944 au Bénin, elle passa son enfance au Sénégal, deux pays encore sous domination coloniale française. Enfant, elle s’imaginait danser « comme les arbres animés par le vent », et n’a jamais oublié ses racines en fondant sa bien nommée école avec son mari allemand, Helmut Vogt, qui a épousé sa cause. La caméra saisit un certain nombre de leçons, animées par divers enseignants, selon la méthode Acogny.

« Je suis une pédagogue née », avoue la danseuse, et de nous expliquer comment elle a forgé sa propre technique, intégrant toutes les danses africaines et les mêlant à la grammaire contemporaine d’une Martha Graham et de ses héritiers. Elle distingue, pour les mouvements, six directions possibles, à partir du torse et de la colonne vertébrale – « le serpent de vie » – et d’un fort ancrage au sol. Il s’agit de retrouver le corps perdu en s’inspirant de la nature -  plantes ou bêtes – comme l’arbre fromager, l’aigle, la pluie, le nénuphar, la poule d’Inde, le buffle… Tout cela au rythme des battements du cœur et de la respiration. Les pieds sur terre, et le corps ouvert au soleil et aux étoiles.... Durant ses cours, elle exécute les pas les plus compliqués dans un total engagement physique, s'accompagnant d'onomatopées : "Titati tati titita", qui marquent le tempo, quand ce ne sont pas des tambours. Elle nourrit son vocabulaire de ses relations avec les traditions ouest-africaines et d’une vision animiste du monde, en dialogue avec les ancêtres, dont le souffle infuse animaux et végétaux. La caméra la montre se promenant dans la lagune, versant de l’eau au pied d’un arbre, consolant un buisson triste ou menant les stagiaires embrasser un grand baobab, arbre sacré où vivent les esprits. 

Phot. © DR

Phot. © DR

Décoloniser les corps

« Femme nue, femme noire/ Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !/ J'ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux. [...]/ Femme nue, femme obscure/ Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche/ Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est / Tam-tam sculpté, tam-tam tendu qui grondes sous les doigts du Vainqueur » Le poème de Senghor lui va comme un gant pour affirmer la fierté noire dans le champ politique. « C’est une fière amazone », l’admire sa fille Ghislaine. Germaine nous parle de son féminisme. « Prends le couteau et marche ! », lance-t-elle dans son solo À un endroit du début, mis en scène par Mikaël Serre (2020), où elle évoque le rôle de la femme en Afrique. Elle s’en prend à la polygamie : religion, travail, rapport avec les blancs, racisme, tout y passe....  Elle avait aussi créé, avec le Japonais Kota Yamasaki, Fagaala (2004), spectacle consacré au génocide rwandais, introduisant le butô dans son langage chorégraphique.

« Je danse contre l’arrogance, je ne suis pas folle, un peu inquiète, et j’aime danser », confie-t-elle à la réalisatrice. Quoique résolument en prise sur le présent, elle reste imprégnée d’une spiritualité héritée de sa grand-mère Aloopho, prêtresse yoruba dont elle serait la réincarnation. Pour elle, danser « c’est montrer l’âme, plus que le corps ». Elle enseigne à ses élèves d’aller au-delà des clichés du « corps noir », pour atteindre l’essence même de leur art.

Phot. © DR

Phot. © DR

Un héritage en péril

Germaine Acogny et son époux, Helmut Vogt, ont posé en 1996 la première pierre de l’École des sables de Toubab Dialaw, au Sénégal, un petit village de pêcheurs à 50 km au sud de Dakar. Niché entre les rochers en bord de mer, sur une terre aride et rocailleuse il est devenu, huit ans après, une oasis de végétation, un havre de paix. Ils nous font les honneurs des lieux. C’est une véritable cité de la danse avec deux studios, une salle de conférence, des bungalows pour les danseurs, un restaurant et des bureaux. L’EDS perpétue l’esprit de « Mudra Afrique », fermée 1982, peu après le départ de Léopold Sédar Senghor de la présidence du Sénégal.

L’EDS apparaît ici comme une véritable ruche qu’ont foulée de leurs pieds nus des danseurs et chorégraphes professionnels, semi-professionnels et amateurs de vingt-six pays africains et une vingtaine d’autres contrées. On voit ces « sablistes », filmés lors de la cérémonie de clôture des stages, en présence de « Maman Germaine ». Pour eux, l’EDS est aussi une école de la vie. La « forêt sacrée des temps modernes ».

Aujourd’hui, Germaine, Helmut et leur fils, qui a pris leur succession à la direction, voient leur rêve détruit par l’extension pharaonique d’un port en eau profonde. Ce projet, conclu en 2020 par le gouvernement sénégalais avec une société des Émirats, la Dubaï Port World, va bouleverser l’écosystème du village, changer la vie de milliers de gens et effacer une mémoire : celle des Lébous qui occupent la côte sud depuis plusieurs siècles. Toubab Dialaw est une terre marquée par la tragédie de l’esclavage et, à l’heure actuelle, par le départ de nombreux migrants clandestins.

Une ZAD

Aujourd’hui, on voit les pelleteuses éventrer la lagune où autrefois les oiseaux venaient s’abreuver. L’avenir est incertain. Mais Germaine se battra sans relâche. L’esprit de résistance l’a toujours animée et, face à cette nouvelle menace qui pèse sur le continent africain, celle d’un capitalisme triomphant, elle vient de créer avec le metteur en scène allemand Mikaël Serre Dialaw Project, avec une équipe de comédiens, auteurs, danseurs, musiciens performeurs africains et européens, tous liés par une histoire intime de perte, d’exil, de racines, de retour ou de frontière.

Même si Germaine Acony ne se fait plus d’illusions le monstre a déjà gagné , son combat à elle est de sauver « deux cents hectares de terrain avec des arbres, et des terres que les femmes cultivent… Il faut des arbres, des arbres… » Et l’art, une fois de plus, sera son arme.

« Ce qui m’a le plus impressionnée, dit Greta-Marie Becker, ce n’était pas seulement l’intrépidité de Germaine mais combien sa curiosité la pousse toujours vers de nouveaux défis. » Son documentaire, qui flirte parfois avec l’hagiographie, nous raconte sans fard un destin singulier, par le prisme de rencontres, de dialogues avec ses collaborateurs, ses collègues, ses élèves et sa famille. Il permet de découvrir une belle personne, sans en faire une légende vivante. 

Germaine Acogny. L’essence de la danse. France Sénégal Allemagne, 88 minutes.
Sortie en salle le 16 juillet 2025

S Scénario et réalisation Greta-Marie Becker S Image Sophie Maintigneux S Son Juliane Vari, David lmeida-Ribeira, Abdourahmane Ka Ousmane Coly, Olivier Le Vacon, Jan Möser Tilman Köhler S Musique originale Fabrice Bouillon LaForest S Montage Katja Dringenberg

S Produit par Martina Haubrich (CALA Film), Charlotte Uzu (Les Films d’Ici), Yanis Gaye (Gorée Cinéma) S En coproduction avec Bayerischer Rundfunk S Avec le soutien de  Die Beauftragte der Bundesregierung für Kultur und Medien Film- und Medienstiftung NRW Filmförderanstalt, FFA  Centre national du cinéma et de l'image animée Deutscher Filmförderfonds Kuratorium junger deutscher Film S En collaboration avec ARTE S Avec la participation de Canal+

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