16 Décembre 2023
Entre animation en direct et film d’animation, les Stereoptik font de chacun de leurs spectacles une expérience unique au cours de laquelle le faire, matière du spectacle, nous transporte dans un monde où l’imaginaire naît de la perte des repères entre la fiction et la fabrication de la fiction.
Ils sont comme deux marionnettistes, vêtus de noir pour s’effacer devant les objets qu’ils manipulent, une invisibilité qui se rend visible au travers de ces mains en gros plan qui apparaissent sur l’écran, créant en direct une illusion que l’on voit naître et qui acquiert tout à coup une force de vie insoupçonnée. Cette fiction illusionniste s'affranchit de ses créateurs en même temps qu'elle se relie à eux. Les mains esquissent en direct sur une surface vierge quelques traits au crayon ou peut-être au fusain, amplifiés par la caméra et projetés, qui matérialisent peu à peu les personnages ou leur décor que le frottement du doigt rend vaporeux et estompe. Parfois elles s'emparent d’un instrument à cordes pour le moins insolite, au croisement entre la guitare et le banjo mais avec une forme de shamisen japonais retravaillé, l’œuvre d’un facteur d’instruments un peu fou et plein de fantaisie. Parfois illusionnistes, ils disparaissent devant les objets qu’ils animent ; parfois acteurs, ils apparaissent dans un halo de lumière, aux prises avec les objets ou les instruments qu’ils manipulent. Tantôt ensemble sur un même dispositif, tantôt l’un à la musique, l’autre au visuel, à cour et à jardin, tantôt manipulant les deux ensemble, ils déroulent un ballet impeccablement rythmé dans une entente parfaite.
Une histoire sans histoire
Si deux personnages dessinés, l'un masculin, l'autre féminin, apparaissent bien au début et qu’on les retrouve, ensemble ou séparément tout au long du spectacle, on serait bien en peine de former une fable en mode de « il était une fois ». Tout juste les rapprochements et les éloignements les entraînent-ils dans une promenade transformée en ballet tournoyant tandis qu’un décor déroulant, activé à la manivelle, leur fait découvrir un coucher de soleil ou les plonge en plein cœur de la forêt amazonienne, ou les montre-t-il séparés, contemplant les toits de la ville ou se faisant un signe par-delà la rue. On se retrouve plongé dans un monde où une image en appelle une autre, comme une association d’idées née dune inspiration du moment qui le précède. Une photo en noir et blanc marquée par le temps renvoie aux souvenirs d’une enfance enfuie, un bruit d’eau à la profondeur des océans où nagent des méduses, un homme devant sa fenêtre invite à une évasion vers un ailleurs.
Une visibilité qui contribue à la fabrication de l’imaginaire
Un autre émerveillement, esthétique celui-là, naît de ce making off réalisé à vue, tant la richesse plastique et la diversité des éléments mis en œuvre fascine. Les taches de peinture répandues sur une surface mouillée s’étalent en étoiles multicolores pour nous offrir un test de Rorschach grand format où naît un paysage, de minuscules silhouettes d’oiseaux baladées plus ou moins près d’une lampe, semblent se déplacer dans l’azur, des montages sont créées par un simple froissement de papier, des personnages peints sur une feuille plastique souple deviennent des figures sans épaisseur dans un monde en relief, des jouets miniatures viennent habiter un dessin, un mouvement créé par un flip reconstitue un déplacement, une profondeur inédite est offerte par un liquide dans une bouteille plastique. Quant aux personnages revêtus de morceaux d’adhésif transparent formant comme un costume d’arlequin, ils prennent sous l’éclairage des teintes qui sont autant d’états d’âme, de reflets d’émotions. Crayonnés en noir et blanc, monochromes bleutés dans la grisaille du quotidien, ils se parent de couleurs chaudes lorsque que l’atmosphère se fait festive ou leur rencontre davantage dans la proximité et la complicité. On aimerait avoir les cent yeux d’Argos pour tout embrasser de la somme de procédés utilisés dans cette fantasmagorie qui semble sans limite, que traversent des cris d’oiseaux, des battements d’ailes de papillon, des accords de guitare et des percussions.
Un court-métrage final, comme un puzzle qu’on a reconstitué
Le fin mot de cette histoire qui n’en est pas une mais une pourtant, c’est un film qui le révèle pour clore le spectacle, comme s’il remettait en place les fragments épars d’une histoire éclatée. L’homme à sa fenêtre et la photographie viennent s’insérer dans un continuum qui apporte, avec les techniques du dessin animé, une forme de récit. Mais là encore, les dés sont pipés. Parce que l’histoire n’est pas linéaire, qu’elle propose plusieurs hypothèses. L’homme, agacé par cette mouche qui vibrionne autour de lui, l’écrasera-t-il ou l’épargnera-t-il en la chassant par la fenêtre ouverte ? La solution choisie le mènera chaque fois dans un lieu différent, vers une autre rive de l’imaginaire.
Dans cette antichambre du rêve, si la prouesse technique est bluffante, c’est le voyage qui reste en mémoire comme autant de lambeaux flottant en liberté dans le vent, qui s’accrochent, obstinés, dans l’irisation de la lumière.
Antichambre par Stereoptik
De, par et avec un duo de plasticiens et musiciens, Romain Bermont et Jean-Baptiste Maillet Production STEREOPTIK Coproduction en cours Le Théâtre de la Ville de Paris, le Trident-Scène nationale de Cherbourg, L’Hectare-Territoires vendômois-Centre National de la Marionnette, Le Sablier-Centre National de la Marionnette, L’Échalier-Saint-Agil, Le Parvis-Scène nationale de Tarbes, Le Lux-Scène nationale de Valence, la société de production Folimage, Points communs-Scène nationale de Cergy et du Val d’Oise, Partenaires : La Garance, Scène nationale de Cavaillon, Le Théâtre de Charenton... La compagnie Stereoptik est soutenue par le ministère de la culture et la région Centre-Val de Loire, artiste associé au Théâtre de la Ville de Paris et à l’Hectare-Territoires Vendômois-Centre National de la Marionnette.
TOURNÉE
Du 13 au 23/12/2023 Paris, Théâtre de la Ville – Place du Châtelet, 75004 Paris (horaires divers en matinée et soirée) www.theatredelaville-paris.com
Les 26 et 27/01/2024 Charenton-le-Pont, Théâtre des deux Rives
Les 16 et 17/02/2024 Falaise (14), Forum
Les 22 et 23/02/2024 Cherbourg, Trident
Le 21/03/2024 Vendôme, l’Hectare
Les 26, 27 et 28/03/2024 Cavaillon, la Garance (CDN)
Les 4 et 5/04/2024 Grenoble, MC2