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Arts-chipels.fr

Il s’en va - Portrait de Raoul (suite). Théâtre, ma plus belle histoire d’amour.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

Ce deuxième volet d’un diptyque, consacré à Raoul Fernandez, dresse le portrait émouvant d’un homme-femme qui a dédié sa vie entière au théâtre et qui, partant de l’intime, ne cesse de lui déclarer son amour.

La lumière, sur le plateau, dévoile une couronne mortuaire un peu particulière. Pas de fleurs réalistes mais un grand anneau, un cercle virginal tout entouré de blancheurs vaporeuses, qui célèbre l’enfance de l’art et rappelle la pureté. Allongée devant elle, un ombre humaine. C’est Raoul. Il est mort mais il va renaître l’espace d’une représentation, parce que le souvenir ne meurt pas et que c’est justement de souvenir dont il va être question.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

Mémoire de Raoul

Les écrivains vont souvent puiser leur matériau d’écriture en pleine pâte humaine et c’est d’abord le personnage, « un funambule, un clown admirable, un chanteur émérite, un enfant perdu, un amoureux chronique » qui fascine Philippe Minyana. Raoul est un personnage multiforme et un kaléidoscope d’images. Il est un véritable homme-orchestre du spectacle vivant et sa vie intime, aussi riche que mouvementée et insolite, séduit l’auteur de théâtre qui écrit, à partir de son témoignage recueilli dans une formule  « Raconte-moi ta vie » une première pièce : Portrait de Raoul. Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte entrouverte ?, créé à la Comédie de Caen.

Marcial Di Fonzo Bo, nommé à la direction du Quai à Angers en 2023, crée les Biodramas du Quai, de petites formes pour un ou deux acteurs, accompagnés parfois par un musicien, qui proposent un spectacle tiré de la vie courante d’hommes et de femmes pris dans leur quotidien, à la ville, à la campagne ou au théâtre. Il imagine alors de donner une suite à Raoul, qui explorerait la piste du souvenir sur le thème de « Que reste-t-il du passage d’un acteur sur scène après sa mort ? […] Pourquoi leurs voix restent-elles présentes dans notre mémoire ? »

Raoul, revenu d’entre les morts, n'aura plus qu'à entrer en scène, avant de passer définitivement sur l'autre rive de la vie, sous la plume de Philippe Minyana…

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

La vie d’un personnage hors du commun

Raoul est Salvadorien d’origine et c’est d’abord par son enfance qu’il commence, au milieu des femmes qui cousent sans relâche en faisant mine de ne pas voir et entendre ce qui se passe au-dehors. Il évoque son plaisir physique à toucher les tissus qui sont sa madeleine à lui et qui le projetteront dans le théâtre.

Costumier et acteur, il a fréquenté des gens aussi divers que Bob Fosse et Dario Fo, Anatoli Vassiliev et Jerzy Grotowski, travaillé au maquillage et à la coiffure auprès d’Alicia Alonso, la directrice du Ballet national de Cuba, œuvré à l’éclairage et à la scénographie au Théâtre des Nations à Nancy. Acteur, on l’a vu dans des mises en scène de Marcel Maréchal, Stanislas Nordey, Wajdi Mouawad, Jean-Pierre Vincent, Jean-François Sivadier, Marcial Di Fonzo Bo, entre autres. Il a des choses à raconter.

Il se livre avec une simplicité amusée, teintée d’humour et évoque les hasards des rencontres, qui n’en sont pas tout à fait, et le mettent sur la route du théâtre : sa rencontre avec Marcel Maréchal, sa jouissance dès qu'il enfouit ses mains dans la soie et le velours des costumes, qui fait le lien entre son enfance et son amour du théâtre.

Il abordera comme en passant la carrière prestigieuse qu’il connaît en tant que costumier, avec plus de trente opéras dont il réalise les costumes, en France et dans le monde. Un voyage dans l’objet sacralisé par excellence au théâtre, pris dans le cérémonial de la représentation telle que la percevait Genet : un univers de l’artifice qui raconte la vérité sous le simulacre et où le simulacre est parfois plus réel que la réalité.

Ce qui le guide, c’est l’amour qu’il a des choses – et des gens car il aborde aussi l’une des particularités de sa personnalité. Homme, il s’est toujours vécu femme, avec les tribulations amoureuses qui vont avec, et la volonté de se sentir femme et d’en éprouver les sensations sans renoncer à ses attributs d’homme. Avec une impudeur sans mauvais aloi, il nous fait pénétrer dans son intimité, abordant des sujets graves sur un ton léger. Aucune vulgarité n’émane de sa manière crue de dire, aucun « émoustillement » trouble ne vient agiter le spectateur tant le débat est ailleurs, dans une vie qui tente de se construire, et dans la confidence, livrée sur un ton naturel.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

En chansons et en musique

Raoul va raconter. Il va chanter aussi. Des chansons des années trente, qui nous parlent de nostalgie, d’amours insatisfaites mais aussi de résistance.

En espagnol, elles racontent la force de son attachement à sa culture d’origine et à son enfance salvadorienne, qui subsiste en dépit d’une très longue vie en France. Le choix des morceaux y est éclairant. Il commencera par Silvio Rodrigues, un Cubain symbole de la gauche latino-américaine, dont les chansons combinent romantisme, érotisme, existentialisme, idéalisme et politique révolutionnaire et s’achèvera sur la poétesse et chanteuse argentine María Elena Walsh. Como la cigarra (Comme la cigale), publiée en 1973, devient, au moment où l’intervention militaire prend fin dans le pays sous une pression péroniste, un hymne emblématique de la démocratie et de la liberté.

Le ton est donné, et l’Amérique latine encore présente avec le compositeur français d’origine argentine Carlos d’Alessio dont les créations s’inspirent souvent d’airs folkloriques d’Amérique latine ou de danses populaires telles que la valse, la java, la rumba ou le tango. Dans les années 1970, à Paris, il collabore avec Alfredo Arias et attire l’attention de Marguerite Duras pour laquelle il composera la musique d’India Song que Raoul reprend dans le spectacle.

L’intime est présent lorsqu’il évoque la chanson de Kurt Weill, composée en 1934 sur des paroles de Maurice Magre, Je ne t’aime pas, chant d’amour déchirant d’un homme abandonné, et son humour se manifeste lorsqu’il évoque les variations composées par Mozart à partir de Ah ! Vous dirai-je, maman. Quant à l’Oiseau de feu, il accompagnera à la fin son passage du côté des morts.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

Les différents visages du théâtre

Peu d’accessoires occupent le plateau. Quelques coiffes, jupons, capes dorées et vêtements à paillettes suffiront à installer ce monde de pacotille qui occupe cependant tout l’esprit du personnage. Car Raoul,acteur et chanteur, sait transmettre toutes les nuances d’un jeu où il se raconte lui-même, sans fard mais avec tout l’artifice dont un comédien aguerri est capable. Il sait pousser la voix et la moduler pour provoquer le rire ou l’émotion et agiter cette petite fibre qui réside en chacun de nous.

Son univers c’est la scène, et c’est autour d’elle que Marcial Di Fonzo Bo construit la scénographie, envisageant pour seul changement de décor des rideaux successifs qui tombent l’un après l’autre : rideau translucide qui laisse deviner le mort qui sommeille, rideau rouge du spectacle ou rideau à paillettes, rideau blanc, jusqu’au noir qui ferme le spectacle. Chaque fois, c’est un pan de tissu qui s’effondre avec brutalité, symbolisant le temps qui poursuit sa marche inexorable à mesure que le personnage chemine vers sa mort.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

Revenir d’entre les morts

Le visage blanchi qui fait ressortir le maquillage noir volontairement outré qui le transforme en cadavre, Raoul nous entraîne dans ce pays des morts infiniment vivants qui peuplent notre mémoire. Dans son monde, les pianos – celui qui est disposé sur la scène en atteste – jouent tout seuls et l’accessoire de prédilection de ce mort-vivant qui nous interpelle est la servante, cette lampe montée sur un haut pied qu’on laisse allumée dans les théâtres comme un veilleur.

Si on la considère souvent comme la sentinelle qui guette les ombres des comédiens qui reviennent hanter le théâtre désert et les empêche de prendre possession de l’espace, on pourrait tout aussi bien voir dans cette « lampe aux fantômes » (ghost lamp) la lumière qui leur est nécessaire pour se frotter une fois de plus aux planches et revivre, dans le théâtre déserté, leurs plus beaux rôles. C’est en tout cas la manière dont Raoul l’utilise. Projecteur qu’il place sous son visage, il en fait son éclairage. Un éclairage dérisoire pour une dernière représentation, qui touche au cœur.

Chronique d’une disparition, Il s’en va est aussi celle d’une permanence qui transcende le temps. De ce monde de l’éphémère, du transitoire que constitue le spectacle vivant, seul ne survit que le souvenir, l’ombre d’une réalité qui n’est elle-même qu’une ombre du réel. Les trois complices de ce spectacle, l’auteur, son inspirateur et comédien et son metteur en scène connaissent bien cela. Ils savent aussi que ce qui survit dans la mémoire, c’est l’émotion. Et elle imprègne tout le spectacle.

Phot. © Pascal Gely

Phot. © Pascal Gely

Il s’en va - Portrait de Raoul (suite) de Philippe Minyana
S Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo S Avec Raoul Fernandez S Musique Piano Nicolas Olivier Guitare Pierre Fruchard S Arrangements Étienne Bonhomme S Production Le Quai CDN Angers S Texte publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs (avril 2025) S Création du 6 au 18 octobre 2025 Les Plateaux Sauvages - Fabrique artistique et culturelle, Paris avec leur soutien et accompagnement technique S Avant-premières en avril 2025 à l’occasion du rendez-vous Écritures en Acte au Quai à Angers S Ce spectacle est le deuxième volet d’un diptyque consacré à Raoul Fernandez. Le premier volet, Portrait de Raoul - Qu’est-ce qu’on entend derrière une porte entrouverte ? a été créé en 2018 à la Comédie de Caen - CDN de Normandie S Dans le cadre des Biodramas du Quai. Les Biodramas sont des créations itinérantes initiées par Le Quai CDN et portées par un ou deux acteurs – parfois en compagnie d’un musicien. Ils proposent un regard sur les personnes de la vie courante, dans les villes, les campagnes, les théâtres. Un portrait d’existences particulières du quotidien S Durée 1h

Du lundi 6 au samedi 18 octobre 2025 à 19h30 – sam. à 16h30, rel. du 9 au 12 octobre
Les 7 et 8 octobre à 21h, il est possible de voir dans la même soirée Au Bon Pasteur, Peines Mineures (2) de Sonia Chiambretto mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo
Les Plateaux Sauvages – 5, rue des Plâtrières, 75020 Paris
Rés. 01 83 75 55 70 / lesplateauxsauvages.fr/

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