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Arts-chipels.fr

Antoine et Cléopâtre L’amour en vi(e)s à vi(e)s

Phot. © Magda Bizarro

Phot. © Magda Bizarro

Tiago Rodrigues compose et dirige un duo en forme de récit ping pong, au rythme lancinant. Sofia Dias et Vítor Roriz jouent et dansent l’amour, la politique, la guerre, la mort.

Abreuvé aux mythes

Tiago Rodrigues élabore souvent son théâtre sur les pas des grands auteurs d’antan, dernièrement Hécube, pas Hécube d’après Euripide, présenté au Festival d’Avignon, qu’il dirige depuis 2022. Antoine et Cléopâtre a été créé en portugais en 2014 et a connu un vif succès sur les scènes européennes. La pièce nous revient, dix ans plus tard, en version française, servie avec autant de brio par les mêmes acteurs. Au départ, le metteur en scène voulait monter la tragédie de Shakespeare mais il bifurqua vers un duo épuré, poème dramatique en neuf chants. Il venait tout juste d’être nommé directeur du Théâtre national à Lisbonne, après avoir fait ses preuves à l’étranger auprès de la troupe flamande du tgSTAN qu’il avait rejointe en 1998, puis, à son retour au Portugal, au sein de son propre collectif, Mundo Perfeito, fondé avec Magda Bizarro, en 2003. Avec Antoine et Cléopâtre, il emprunte son titre et sa trame à Shakespeare, pour broder un poème dramatique à deux voix, à partir d’autres versions du mythe, notamment les Vies parallèles de Plutarque, issu de la tradition orale, et Cléopâtre, le film de Joseph Mankiewicz (1963), avec Liz Taylor et Richard Burton.

Phot. © Magda Bizarro

Phot. © Magda Bizarro

Du récit au dialogue

La pièce se focalise sur les amants maudits : seuls quelques personnages seront évoqués par les acteurs, qui viennent nous conter cette histoire du point de vue d’Antoine et de Cléopâtre. Dès leur entrée, ils se présentent au public comme  porteurs d’une narration, chacun désignant son statut de conteur. « Antoine », dit Sofia Dias ; « Cléopâtre », répond Vítor Roriz. Chacun raconte l’autre, sous forme de didascalies doublées d’un langage corporel chorégraphié avec élégance. Ni pathos ni psychologie dans cet échange de courtes phrases, rythmé comme une musique lancinante. Des : « Antoine dit » ; « Cléopâtre dit » ; « Antoine pense» ; « Cléopâtre pense », ponctuent chaque réplique. Sur un ton neutre, scandé par la répétition hypnotique de mots, de pans de phrases, les comédiens entraînent le public dans cette légende d’autrefois, d’amour, de politique, de guerre et de mort. L’épée et le serpent hantent le texte comme autant de funestes présages.

Annoncée au début de la pièce, la mort d’Antoine sera ensuite jouée sous forme d’un dialogue direct entre Vítor Roriz dans le rôle d’Antoine et Sofia Dias dans celui de Cléopâtre. Cette permutation narrative a lieu après la bataille navale décisive où Antoine déserte la flotte romaine engagée contre celle de Cléopâtre. « Il suivit celle qui l’avait déjà perdu et allait parachever sa perte », écrit Plutarque. Traître à sa patrie, il n’est plus lui-même et meurt dans les bras de l’aimée en une longue agonie verbale pétrie de jeux de mots.

Phot. © Magda Bizarro

Phot. © Magda Bizarro

Corps et voix

Sur fond d’une grande toile écrue, tendue comme une voile, tourne un mobile aux couleurs ocre et bleue, figurant la marche inéluctable des planètes : ce mouvement perpétuel suggère, au gré des changements de lumière, l’instabilité du monde où évoluent les deux personnages, entre Nil et Tibre. Le présent de la scène est celui d’un récit où avenir et passé s’entremêlent, comme les corps d’Antoine et Cléopâtre dont les rôles intervertis abolissent les frontières entre féminin et masculin, entre Rome et l’Égypte. Sofia Dias et Vítor Roriz, sobrement vêtus à l’identique, duo d’artistes chorégraphes lisboètes entraînés à la performance, coordonnent physiquement leurs souffles dans des mouvements jumeaux. Sofia parle d’un Antoine et en esquisse les gestes, avant de devenir Cléopâtre, et vice-versa pour Vítor Roriz.

« Vice-Versa aurait pu être le titre du spectacle », dit Tiago Rodrigues qui a construit son texte sur une série d’oppositions portées par les confrontations duelles des interprètes : Orient/Occident, sexe/politique, guerre/amour. En écho ou en contradiction, ils jouent une partition tant verbale que gestuelle. Sans jamais se toucher, les comédiens danseurs entretiennent un corps à corps aimanté tout en faisant chanter la langue française dans un étrange phrasé lusophone. Aux spectateurs d’entrer dans ce jeu de rôles qu’il et elle dévoilent avec une complicité ironique entre eux et envers le public. Ainsi parvient à la lumière de notre aujourd’hui, par bribes et réminiscences, cette romance tragique venue du fond des âges.

Antoine et Cléopâtre

S Texte et mise en scène Tiago Rodrigues, avec des citations d’Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare, empruntées à la traduction de Jean-Michel Déprats S Traduction française Thomas Resendes (publié par Les Solitaires Intempestifs (2016) S Avec Sofia Dias et Vítor Roriz S Scénographie Ângela Rocha S Costumes, Ângela Rocha et Magda Bizarro S Création lumière Nuno Meira S Musique, extraits de la bande originale du film Cléopâtre (1963) composée par Alex North S Collaboration artistique Maria João Serrão, Thomas Walgrave S Construction du mobile Galamba S Direction technique et régie lumière Carin Geda Régie générale Catarina Mendes S Production déléguée OTTO Productions - Nicolas Roux S Production exécutive de la création originale Magda Bizarro et Rita Mendes S Une création originale de la compagnie Mundo Perfeito (2014) S Durée 1h20

Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette Paris 11e  
Du 27 février au 14 mars 2025.

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