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Arts-chipels.fr

The Soul Trembles. Nouer et tirer ensemble les fils de la vie.

Chiharu Shiota. The Soul Trembles. Affiche © GrandPalaisRmn, 2024

Chiharu Shiota. The Soul Trembles. Affiche © GrandPalaisRmn, 2024

En avant-première de la réouverture de ses galeries en juin 2025, le Grand Palais accueille l’artiste japonaise Chiharu Shiota avec une rétrospective de l’œuvre de l’artiste doublée d’installations in situ. Un moment d’émotion fort et signifiant.

Du 11 décembre 2024 au 19 mars 2025, cette artiste japonaise vivant à Berlin a posé ses valises et assemblé ses œuvres en fil dans les galeries du Grand Palais avec une exposition qui couvre trente ans de son œuvre. Après avoir tourné au Japon, en Corée du Sud, à Taiwan, en Australie, en Indonésie et en Chine, l’exposition sera, après Paris, présentée à Turin à l’automne 2025. Elle représente, pour le visiteur, au-delà de la rétrospective, une expérience à vivre.

Depuis plus de vingt-cinq ans, en effet, Chiharu Shiota propose des installations de fils entrelacés, noués, tendus, retombant en filaments délicats ou organisés en réseaux plus ou moins denses, descendant du plafond ou fixés sur des supports, dans lesquelles sont le plus souvent pris des objets du quotidien, marqués par le passage du temps. Le visiteur, invité à y déambuler, est pris dans les rêts de ces fils blancs, rouges ou noirs qui reviennent comme un leitmotiv à travers des œuvres très diverses mais qui, toutes, semblent entretenir un rapport avec ce fil ténu qui forme la vie humaine, de la naissance à la mort.

Vues de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Vues de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Un cheminement artistique vers la performance et l’installation

Cette démarche, l’exposition l’éclaire d’abord en montrant un échantillon représentatif des étapes qui jalonnent le parcours artistique de Chiharu Shiota. Elle remonte à la petite enfance de l'artiste lorsqu’à cinq ans elle peint un papillon sur un tournesol, expose la tentation de la peinture à l’huile à travers une toile abstraite réalisée à l’université – elle a alors vingt ans –, moment où elle prend conscience que la technicité requise pour la réalisation de l’œuvre n’a pour corollaires dans son travail que l’absence de contenu et une certaine « frivolité ». Ce qu’elle recherche est plus profond, plus authentique, plus personnel. C’est alors qu’elle se rêve immergée dans sa peinture, devenue partie de l’œuvre. Elle le concrétise en se couvrant de laque tout en s’enroulant dans la toile. Elle a trouvé une forme d’art dans laquelle elle est investie tout entière, qui passe par un engagement du corps. Elle ne quittera pas pour autant la pratique de dessin. Mais son accomplissement en tant qu’artiste est ailleurs.

Accumulation - Searching for the Destination. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Accumulation - Searching for the Destination. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Un parcours qui mène l'artiste du Japon en Allemagne

Personnage d'une peinture en trois dimensions, elle tissera bientôt autour d'elle un fin réseau de fils qui sont autant de liens complexes entre elle-même et sa propre vie – qui traverse des épisodes de cancer – mais explorent aussi sa relation avec les autres, ces « tous cousins ​​» d'ici et d'ailleurs qu'elle fantasme alors qu'elle choisit l'exil en Allemagne pour suivre les enseignements de la sculptrice polonaise Magdalena Abakanowicz puis ceux d'une pionnière de la performance, Marina Abramović, à l'université de Brunswick, avant de rejoindre Rebecca Horn .

Le Japon deviendra pour elle un réservoir à souvenirs et la relation entre sa culture d'origine et l'Europe l'un des signes de cette dialectique de la mort et de la renaissance qui alimente son œuvre avec ce regard du dedans et du dehors qui la traverse et qui trouvera son expression littérale dans l'installation Inside – Outside (2008-2024), composée de vieilles fenêtres de bois récupérées après la chute du Mur de Berlin dans les chantiers de reconstruction de la ville. L'installation autorise le visiteur à contempler l'œuvre de l'extérieur et à y pénétrer, à l'image de la barrière entre les deux Allemagne – cependant traversée par la langue, la culture et les pensées de proches situées des deux côtés – et du passage restauré, mais aussi comme la métaphore du rapport entre l'intérieur et l'extérieur, soi et le monde.

Le thème du départ et de l'exil est également présent dans l'installation Accumulation: In Search of a Destination où des valises, suspendues au plafond par des cordelettes rouges, s'agitent presque insensiblement au rythme d'un moteur. Demeurent comme une énigme sans réponse aux raisons du voyage symbolisées par les valises, de l'arrachement qu'il occasionne, laissant le spectateur combler les vides par son imaginaire propre.

Where Are We Going. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Where Are We Going. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Le fil comme conducteur

Dès l’entrée, dans la montée de l’escalier qui mène aux galeries d’exposition, on est saisi par une installation de fils de laine faisant dialoguer le blanc et le noir. Les cordelettes blanches, retenues par des fils de fer et des cordes, forment comme d’immenses feuilles blanches aux nervures à la fois nouées et pendantes au milieu d’une forêt de fils noirs. Where Are We Going? (« Où allons-nous ? ») donne ainsi le ton de la démarche de l’artiste tant sur le plan philosophique que plastique. L’artiste exprime le cheminement de la pensée qui l’a conduite : « Lorsque j’étudiais en Allemagne, j’aspirais à avoir mon propre espace. J’avais déménagé neuf fois en l’espace de trois ans et il m’arrivait de ne plus savoir où j’étais en me réveillant le matin. J’ai pris du fil que j’avais dans ma chambre et j’ai commencé à tisser une toile autour de mon corps et de mon lit. J’avais l’impression de dessiner dans ma chambre. Je crée une peinture en trois dimensions et, en même temps, c’est un miroir de mes sentiments. Avec le fil, j’ai enfin trouvé mon matériau. »

On mesure le caractère exceptionnel de l’exposition lorsqu’on sait que chacune de ces installations nécessite aux alentours de deux cents kilomètres de fil et une à deux semaines de montage.

Reflection of Space and Time. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Reflection of Space and Time. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Passion en noir, blanc et rouge

Le noir, le blanc et le rouge profond devant la gamme colorée de son imaginaire, qui s'interroge sur le cheminement de la vie et son véhicule, le sang. Et si la couleur associée au deuil est au Japon le blanc alors que le noir domine en Europe, les deux « couleurs  », l'une qui symbolise le plein par l'union de toutes les couleurs et l'autre le vide renvoient toutes deux. à la simplicité et à la beauté.

Elles apparaîtront dans  ces robes blanches prises au piège dans un fin réseau de fils noirs qui les enserrent et les enferment en même temps qu'ils leur donnent forme dans l'espace. Ou dans ce paysage entièrement tendu de fils noirs dans lequel le visiteur chemine entre un piano calciné et des chaises défoncées, où l'ombre des fils tendus entre les objets projette sur le sol le même enfermement (In Silence , 2002). Ou encore à travers ces barques de métal stylisées posées au sol d'où partent un réseau complexe de fils rouges qui couvre toute la salle dans laquelle le visiteur chemine (Uncertain Journey, 2021/2024). Le sang circule, il irrigue non seulement l'œuvre mais aussi le spectateur qui s'y trouve immergé. Cette pulsation de vie trouvera une autre forme dans la captation vidéo d'une performance qui montre un personnage féminin, complètement entouré de fins canaux translucides dans lesquels passe, au son régulier d'une pulsation cardiaque, un liquide rouge qui symbolise le sang.

Inside - Outside. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Inside - Outside. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

La mémoire, entre vie et mort

Le thème de la mémoire traverse l’ensemble de l’œuvre. Ce sont les photos de famille, sagement alignées dans My Cousins’ Faces (« Les visages de mes cousins », 1998) qui reconstituent un espace familial et créent une relation entre l’ici allemand où vit l’artiste et l’ailleurs fantasmé qu’elle conserve dans ses souvenirs. Ce sont les restes calcinés d’In Silence, souvenir de l’impression laissée par un incendie dans la maison voisine, « un silence ineffable ».

C’est aussi l’installation de petits objets accumulés au cours de toute une vie. Connecting Small Memories (2019/2024), réalisé à l'aide d'une accumulation de jouets d’enfant, de vieilles timbales, de charrettes, d’armoires, de chaises, de vêtements, de cuisinière, d’horloge et autres accessoires reliés par un même fil rouge qui court de pièce en pièce, rappelle que ce bric-à-brac d’objets n’a pas seulement une fonction utilitaire mais est aussi un générateur d’émotions.

De son côté, After That (« Après cela », 1999), repris sous le titre de Memory of Skin (« La mémoire de la peau », 2001) pour la première Triennale de Yokohama, présente des robes monumentales (7 m à la création, 13 m à Yokohama) tachées de boue, sur lesquelles coule de l’eau en permanence. « Les robes expriment l’absence du corps. Peu importe le nombre de fois où elles sont lavées, on ne peut jamais effacer la mémoire de la peau », déclare l’artiste à leur propos.

In Silence. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

In Silence. Vue de l’exposition Chiharu Shiota The Soul Trembles, Grand Palais, Paris 2024. Scénographie Atelier Jodar © GrandPalaisRmn 2024 / Photo Didier Plowy © Adagp, Paris 2024

Les créations scénographiques

Une partie de l'exposition est également consacrée aux scénographies confiées à l'artiste. Entre 2003 et 2019, Chiharu Shiota a conçu les scénographies de neuf opéras et pièces de théâtre : de Shakespeare (le Conte d'hiver) à Wagner (Tristan et Isolde, Siegfried, le Crépuscule des Dieux), Stravinsky-Cocteau (Œdipus Rex) ou à des créations contemporaines, dont Matsukaze, un opéra inspiré du théâtre nô créé au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Dans chacune elle implique directement les artistes présents sur scène. Dans Matsukaze (2011), les danseurs, par exemple, devaient grimper et se faufiler à travers l'installation monumentale – 14 m de diamètre et 10 m de haut – qu'elle avait imaginée. La maquette, présentée dans l'exposition, est à cet égard impressionnante.

Le parcours d'une pensée au travers de multiples médias

C'est donc sous le signe de la diversité que se présente l'exposition où apparaissent cent soixante-sept œuvres et projets. Neuf installations – dont sept recrées par l'artiste elle-même, qui considère que les installations doivent résonner par rapport aux espaces où elles prennent place mais aussi par rapport à l'esprit des lieux – en occupent une grande partie. Elles cohabitent avec des photographies, des dessins, une maquette, une peinture, des documents mais aussi avec des vidéos. Parce que dès le moment où l'artiste trouve son moyen d'expression à travers les installations se pose pour elle la question de la pérennité de l'œuvre. Les installations, après l'exposition, n'existent plus que dans la mémoire des visiteurs. La vidéo permet d'en conserver une forme tronquée, tous comme les dessins dont l'artiste a systématisé la pratique, comme un journal de bord tenu tous les jours.

L'exposition s'intitule The Soul Trembles (« Les frémissements de l'âme »). C'est bien de pulsation intime qu'il s'agit : celle d'une artiste qui s'interroge sur sa propre vie – et sa mort alors que se profile le spectre du cancer – mais qui regarde aussi au-delà d'elle -même pour interroger la nature humaine et sa relation à l'éphémère comme à l'éternité. En nous proposant son regard, elle nous incite aussi à nous observer nous-mêmes. La finesse, la poésie et la beauté des propositions s'ajoutent à la réflexion philosophique et artistique conduite par l'exposition.

The Soul Trembles - Chiharu Shiota
Exposition
S Commissariat Mami Kataoka, Directrice, Mori Art Museum, Tokyo S Scénographie Atelier Jodar S Co-organisation Grand Palais / Rmn, Paris, Mori Art Museum, Tokyo.

Du 11 décembre 2024 au 19 mars 2025, mar.-dim. 10h-19h30, nocturne le vendredi jusqu’à 22h
Grand Palais, Porte H - avenue Winston Churchill, 75008 Pari
s
https://grandpalais.fr

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