16 Décembre 2024
La compagnie Les Arts Oseurs nous promène en forêt, à la rencontre de l’ours qui hante le récit de l’anthropologue Nastassja Martin, victime de ses morsures.
C’est l’une des deux créations programmées par le Festival Manip !, consacré à la magie nouvelle, du 11 au 14 décembre 2024, à La Garance, Scène nationale de Cavaillon.
L’Appel de la forêt
« Ce jour-là, le 25 août 2015, l’événement n’est pas : un ours attaque une anthropologue française quelque part dans les montagnes du Kamtchatka. L’événement est : un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent. » Ces mots de Nastassja Martin résument assez bien son récit, écrit à la suite de cet accident. Périne Faivre a vu, dans Croire aux fauves, matière à représenter, au théâtre, le parallèle que fait l’autrice entre son chaos intime et celui du monde contemporain. La compagnie Les Arts Oseurs, installée en milieu rural, dans l’Hérault, joue depuis quelques années des spectacles en déambulation et s’est distinguée avec ses deux dernières créations, écrites et orchestrées par Périne Faivre, au croisement du théâtre et de l’enquête sociologique : Les Tondues (2017) et Héroïne (2021), qui tourne toujours. Séduite par ce récit à vif, haletant et morcelé, où la lutte avec l’ours revient comme un leitmotiv, la metteuse en scène a imaginé une déambulation nocturne dans la forêt, pour plonger le public dans l’ambiance magnétique du livre.
À la belle étoile
La pleine lune était ce soir-là au rendez-vous à Barbentane, une commune voisine d’Avignon. De la forêt de sa Petite Montagne, qui a pour moitié brûlé en 2022, il reste suffisamment de grands pins pour accueillir Croire aux fauves. Après une marche d’approche, escortés par des lanternes et équipés de sièges pliants, les spectateurs arrivent à une première station : le lieu de l’accident. Une femme en panique tente d’appeler des secours : la comédienne Florie Guerrero Abras, seule parmi les branchages nous met dans l’ambiance. Nous la retrouvons dans un deuxième bosquet, à compulser ses notes et se demander comment rendre compte de l’aventure physique et mystique de Nastassja Martin. Comment incarner celle qui, pour la tribu des Évènes, est Miedka : mi-femme mi-ours. Nous le découvrirons au fil de la déambulation, à mesure que nous nous enfonçons dans l’obscurité, évitant les racines et les ronces, dans un froid pas tout à fait sibérien. Une perte de repères, qui donne un tout petit avant-goût de ce qu’a pu ressentir l’anthropologue blessée au milieu des neiges du Kamtchatka. Nous n’éprouverons pas non plus sa terreur et sa douleur, mais la narration s’en charge.
La marque de l’ours
Dans les sous-bois de Barbentane rôde un ours, fantôme de la forêt du Kamtchatka où l’ethnologue, spécialiste des peuples du Grand Nord, s’était établie parmi les chasseurs nomades, aux croyances animistes. D’après eux, elle portait depuis toujours en elle la marque de l’ours, le fauve s’étant souvent manifesté dans ses rêves. La scientifique, élève de l’anthropologue de la nature Philippe Descola, s’était déjà penchée sur les expériences chamaniques dans son étude sur des chasseurs cueilleurs d’Alaska : Les Âmes sauvages. Cette fois-ci, c’est dans sa propre chair qu’elle va vivre cette transmutation. Lors d’un combat singulier avec un ours, rencontré au coin d’un bois, elle mit l’animal en fuite à coups de piolet. Blessé, il emporta avec lui un bout de sa mâchoire et lui abandonna des lambeaux de fourrure. Elle lut, dans les yeux de la bête, une proximité aussi effrayante qu'attachante.
De leurs sangs mêlés, naîtra une nouvelle personne, d’une sauvagerie insoupçonnée : « La vérité sur moi, c'est que je n'ai jamais cherché à pacifier ma vie, et encore moins mes rencontres. » D’hôpital en hôpital, après bien des épreuves, elle sortira réparée, mais transformée. Croire aux fauves met des mots sur la fugitive communion avec l’ours, l’intuition d’un lien entre humains et non-humains : «Il y a eu nos corps entremêlés, il y a eu cet incompréhensible nous, ce nous dont je sens confusément qu'il vient de loin, d'un avant situé bien en deçà de nos existences limitées. » Sans aller jusqu'à se croire moitié ours, comme lui disent les autochtones autour d'elle, elle finira par retourner au Kamtchatka, se trouvant à l’étroit en France.
D’étape en étape, nous suivons la comédienne qui incarne avec simplicité cette histoire étrange, accompagnée par Renaud Grémillon, qui joue sur un piano à queue installé en plein bois. D’étranges feux follets s’allument dans les fourrés. Le texte évoque une faune indomptée, les esprits des disparus, hommes ou animaux, qui courent sous un ciel glacial. Puis, sur un air d’accordéon et des chants russes, artistes et techniciens invitent les spectateurs à célébrer, à la vodka, le retour de l’héroïne parmi le peuple de la forêt.
De cette traversée, nous retiendrons la sensation de nous être un temps absentés pour nous évader vers d’autres univers, d’autres cultures possibles, en lien étroit avec la nature. Vers notre part animale oubliée. Pour Nastassja Martin, habitée par l’esprit de l’ours, la résistance des populations du Grand Nord, menacées par les mutations économiques et écologiques, est un exemple à suivre, alors que le monde vacille autour de nous.
Croire aux fauves de Nastassja Martin, éditions Gallimard (2019)
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