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Arts-chipels.fr

Souriez, quoi qu’il arrive. Affreux, «propres» et méchants.

Phot. © Fabio Caldironi

Phot. © Fabio Caldironi

James, Jane, John et Jenny Jones sont une famille modèle. Du moins en apparence. Mais sous le vernis, ce qui se cache est-il aussi ragoûtant et parfait qu’il y paraît ?

On se croirait revenu aux plus beaux temps des Mr et Mrs Smith de la Cantatrice chauve. Sur la scène, une famille Tout-le-monde ou presque – Jones, c’est comme Smith ou Dupont ou Durand. La famille modèle : un couple, deux enfants – un garçon et une fille, des élèves studieux. Elle va passer son bac, il étudie déjà la littérature à l’université. Famille bourgeoise. Madame ne travaille pas. Elle arrange son intérieur pour le retour de Monsieur.

Aucune volonté de naturalisme ne marque le décor. Les sièges sont une balle à rebonds et un gros oreiller. Quant à la table, basse, qui servira aussi de siège, elle apparaît comme par magie sur des roulettes sans avoir été manipulée par quiconque.

Dans ce monde aseptisé, quelque chose, cependant, semble clocher. Lui met une obstination maniaque à remettre les objets en place. Elle se lève et se rassoit, vibrionne sans efficacité. Sous les « Bonjour mon chéri / Bonjour ma chérie / As-tu passé une bonne journée ? Comment vont nos enfants ? / Nos enfants vont bien » et les « Vrai, pas vrai ? / Non / Si, c’est vrai » qui se répètent comme un leitmotiv plein de vide, on devine sous ce quotidien trop lisse un non-dit qui occupe toute la place.

Phot. © Fabio Caldironi

Phot. © Fabio Caldironi

Une famille sans histoire ?

Bien vite, en effet, le vernis se craquèle. La lecture du journal sert de déclencheur. Un péquin a été poignardé par un homme. Un Noir. Voilà la porte ouverte aux élucubrations les plus débridées. Violence « génétique », pelletées de marmots « que nous entretenons », sentiment d’insécurité se frayent un chemin. Monsieur temporise un peu, Madame frissonne de terreur à l’idée de prendre le train avec tous ces assassins en puissance. Le trait est gros, le rire jaune devant ces poncifs de mauvais goût dont on connaît, hélas, des exemples dans la vraie vie. Aussi, quand leur fille, l’exemplaire Jenny, leur annonce qu’elle sort avec un jeune homme noir, c’est stupeur et tremblements. Et l’arrivée du jeune Kwesi dans la maison prend la dimension d’un cataclysme.

Phot. © Fabio Caldironi

Phot. © Fabio Caldironi

Une fable plus noire que noire

On découvrira par la suite que Papa vend des armes à qui veut bien les acheter et que les rixes du quartier lui offrent le moyen de faire son beurre. Mais il a de l’ambition, Papa, et pour faire fructifier son petit commerce, il n’y a pas de meilleur moyen que de trouver d’autres marchés. Comme le Moyen-Orient en propose pléthore, voilà la famille déménagée avec armes – c’est le cas de le dire – et bagages dans ces pays en guerre. Quant au gendre putatif, embarqué dans l’entreprise en dépit des réticences de madame mère – mais, fait comprendre son mari, quand on l’aura bien essoré, on le jettera –, il lave plus blanc que blanc en demandant à son beau-père de l’initier au commerce.

Phot. © Fabio Caldironi

Phot. © Fabio Caldironi

Tous des frustrés !

Pour compléter le tableau, ils sont un peu obsédés sexuels, tous autant qu’ils sont. Entre la jeune fille « devenue sexuellement active, c’est normal » qui demande, dans un langage cru, à son frère de lui montrer sa bite et passe une partie de son temps à le titiller, faute de ne l’être pas par son chéri qui, pour des raisons religieuses, se garde chaste, sa mère qui se frotte contre les meubles et se fait des frissons d’obsessions imaginaires et d’agressions raciales, le père qui jette des regards concupiscents sur sa fille et sur la petite copine de son fils, le compte est bon. Quant au frère, tous freins lâchés, il tentera de violer sa sœur.

Phot. © Fabio Caldironi

Phot. © Fabio Caldironi

Une escalade dans l'horreur

Dans ce tableau grand-guignolesque, le drame était inévitable et ce ne sera pas une mais plusieurs tragédies qui déferleront en cascade sur cette famille trop polie pour être honnête. Au fil de l'évolution de la fable, le décor se fera métaphore de la situation des personnages, évoquant l'asphyxie qui les saisit.

Dans l'étouffoir de ce microcosme, le choix de la distanciation marquée des comédiennes et des comédiens par rapport aux personnages et l'outrance installée dès le début de la pièce oblitèrent cependant le suspense. On imagine dès le début que tout ceci doit mal finir et, du coup, même si l'action évolue, sur le sentiment que le point de départ et le point d'arrivée se ressemblent.

À trop vouloir en faire, la pièce et sa mise en scène, paradoxalement, banalisent le propos et la fin apparaît inattendue de la folie qu'on attendrait d'une gradation dans l'horreur, peut-être parce que son point de départ est déjà trop haut, trop avancé dans le trop . Le peuplement trop omniprésent d'allusions sexuelles finit aussi par fatiguer. De cette fable grinçante demeure un schématisme qui finit par tourner à vide, et c'est dommage…

Phot. © Fabio Caldironi

Phot. © Fabio Caldironi

Souriez quoi qu’il arrive de Nick Gill. Éditions Nouvelles Scènes (sous le titre Mirror Teeth)
S Mise en scène Laurent Meininger S Avec Alain Fromager (James), Jeanne François (Jane), Damien Vigouroux (John), Lucile Delzenne (Jenny et Jean), Loïc Djani (Kwesi et Hassan), Stéphane Fromentin (musicien) S Scénographie Renaud Lagier / Laurent Meininger S Régie générale / plateau Simon Haratyk S Lumière Anna Geneste S Son Stéphane Fromentin S Costumière Charlotte Gillard S Constructeur Yan Chollet assisté de Marie Chollet – ARTEFAB S Production / diffusion Compagnie Forget me not – Nathalie Untersinger En votre compagnie – Olivier Talpaert S Coproductions Théâtre des Quartiers d’Ivry, L’Archipel, scène de territoire pour le théâtre, Fouesnant-Les Glénan, Théâtre des Célestins, Espace Bernard-Marie Koltès, scène conventionnée S Soutien technique Théâtre National de Bretagne, Rennes S Soutiens institutionnels Drac Bretagne / Conseil régional de Bretagne / Rennes Métropole

TOURNÉE
Du 17 au 19 décembre 2024 Espace Bernard-Marie Koltès, scène conventionnée (Metz)
Du 25 au 29 mars 2025 Théâtre des Quartiers d’Ivry
Du 05 au 15 novembre 2025 Théâtre des Célestins (Lyon)

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