6 Décembre 2024
Voir les sons et écouter les images, à petits pas, à petits bruits, dans une résonance mutuelle, sans que l’un soit asservi à l’autre. Telle est la proposition insolite du duo entre le compositeur et pianiste babx et le plasticien, informaticien et jongleur Adrien Mondot. Une errance sans feu ni lieu, sans commencement ni fin.
Un piano à queue dans une atmosphère bleutée sur un grand plateau vide. Et la touche nostalgie qui surgit avec la chanson d’Yves Montand qu’interprète David Babin dit babx : « Trois petites notes de musique/ Ont plié boutique/ Au creux du souvenir… » Il s’interrompt, reprend, comme s’il rassemblait ces souvenirs qui, « sans crier gare […] vous reviennent en mémoire ». Douceur, calme et légèreté. Et, lorsqu’Adrien Mondot s’installe à son clavier – informatique celui-là –, c’est pour plonger le piano dans un paresseux tracé d’ondes en sinusoïdes sans cesse déformées et mouvantes d’où émergent parfois, tels des pics, les impacts de notes isolées ou allant chercher dans le registre des aigus une différenciation, un accent.
Deux artistes et une rencontre
Ils viennent d’horizons différents mais entretiennent une amitié de longue date. Ils se croisent à l’orée des années 2000, lors du festival d’Avignon mais à sa marge. L’un interprète au piano des chansons qu’il vient de composer, l’autre s’évade par le jonglage de son quotidien de chercheur en informatique. Le premier, biberonné à la musique, est un musicien précoce qui collectionnera par la suite prix et récompenses tout en cherchant en permanence de nouveaux lieux où poser les pieds, des expériences novatrices sollicitant une mise en mouvement créatrice.
Le second, qui s’applique à imaginer et concevoir de nouveaux outils informatiques de création graphique, est jongleur à ses heures. Il associera ses savoir-faire à la danse et, brouillant les pistes et se jouant des codes des arts du cirque et de la chorégraphie, explorera leurs liens potentiels avec l’informatique en recréant un monde en perpétuel mouvement, affranchi du temps et de l’espace, où l’illusion et la magie trouvent leur place. On retrouvera dans Piano piano l’écho de ses expérimentations passées, en particulier avec Claire Bardainne avec laquelle il s’associe en 2011 pour fonder la compagnie Adrien M. et Claire B.
En 2023, dans le prolongement d’autres expériences déjà menées avec des musiciens, Adrien Mondot entame le cycle des Synesthésies, une série de performances où se rencontrent l’image projetée, animée en direct par le plasticien, et la proposition musicale d’une musicienne ou d’un musicien. Piano piano sera le premier opus. Lui succèdera, en 2024, Encyclies, avec la pianiste et chanteuse Nathalie Morazin.
Piano piano, une identité composite
La première partie du spectacle porte la marque des expérimentations menées précédemment par le plasticien sur les rapports entre le mouvement et l’image, récemment montrées à la Maison des Métallos (voir notre article sur les Cabanes de lumière). L’exploration plastique est multiple. La mer en lents remous vient baigner les pieds du piano à queue. Babx, en naufragé heureux sur son bout de rocher, s’immerge dans sa musique, conscient cependant de la présence de ce nageur virtuel qui passe paresseusement près de lui et s’amuse de sa proximité. Aux ondes déformées qui se déplacent et se recomposent succèderont – mais peut-être est-ce l’inverse, les souvenirs sont imparfaits et seule demeure l’impression, fugitive – le clignotement étoilé de lumières qui laissent sur le sol la rémanence claire de leurs petits éclats.
Bientôt les étoiles cèderont la place à une seule d'entre elles, ou à une galaxie spirale dont le piano forme le centre. Les rayonnements irradient le plateau, explosent et se transforment tandis que le piano, au centre de l’univers ainsi créé, dispense une musique inclassable où résonnent tantôt les échos de Thelonius Monk ou les brisures de Ravel, tantôt des vestiges de chansons populaires, avec toujours la trace d’un fond jazzy. Le pianiste, isolé dans son monde, est tel Novecento, l’étrange enfant devenu adulte du texte d’Alessandro Barrico, qui jamais n’avait vu la terre autrement que dans le balancement du navire dans lequel il avait grandi.
Glissements progressifs dans un rêve à deux
Mais voici que l’informaticien-plasticien quitte sa console pour se mêler directement au spectacle. Ce sont d’abord ses déplacements qui créent sur le sol des myriades d’étincelles avant que ne s’éteigne la rêverie créée par l’irréalité de ce piano qui flotte au milieu de nulle part, comme en apesanteur. L’autre face d’Adrien Mondot vient à son tour remplir le vide virtuel ainsi créé. Le jongleur et le magicien le remplacent, avec l’impression d’irréalité qu’il suscite en déplaçant les objets sans donner l’impression de les toucher, en les installant comme en suspension dans le vide. Manipulant des balles translucides, presque immatérielles, qui ne sont que sphères de lumière dépourvues d’épaisseur, il entre à son tour dans le jeu subtil qui le lie à David Babin et fait de chacun le résonateur de l’autre sans que jamais ils ne s’illustrent mutuellement.
C’est merveille de voir Adrien Mondot immobiliser ses balles aux endroits les plus inattendus, en équilibre sur sa tête en plein mouvement de rotation, passant d’une joue à l’autre, faisant rouler ses balles d’un bord à l’autre de la largeur du dos, les faisant tourner entre ses doigts sans même que ce qui commande le mouvement soit perceptible, les arrêtant soudainement, suspendues au-dessus de ses doigts alors que s’activent les mains dans un mouvement incessant. Il ne les touche pas mais les caresse, amoureusement, comme babx, avec la manière très douce dont il égrène notes et accords, caresse son clavier.
Geste musical et geste jonglé se rejoignent pour créer une geste musicale et visuelle dans laquelle les sens se confondent. On pense aux Correspondances de Baudelaire, à la synesthésie de la musique et de la couleur chez Kandinsky ou Sibélius. Un monde où l’esprit s’évade, libéré des genres et des classifications. Où l’imaginaire galope sur la crête des vents.
Piano piano
S Conception visuelle, développement informatique et jonglage Adrien Mondot S Composition et interprétation musicale babx S Assistante développement informatique Eva Décorps S Dispositifs électroniques de régie Loïs Drouglazet S Direction technique Raphaël Guénot S Régie Clément Aubry S Éclairages conçus avec la complicité de Jérémy Chartier S Production Margaux Fritsch, Delphine Teypaz / Kevin Douvillez, Laurent Carmé S Coproduction Adrien M & Claire B et La Familia S Administration Marek Vuiton / Alice Guillemet Production et diffusion Joanna Rieussec S Communication Inès Renaï S La compagnie Adrien M & Claire B est conventionnée par la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, par la Région Auvergne-Rhône-Alpes et soutenue par la Ville de Lyon S Durée 1h
4 décembre 2024 – au 104, Paris
20 décembre 2024 – à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e
www.maisondesmetallos.paris
TOURNÉE
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Article relatif à Cabanes de lumière : http://www.arts-chipels.fr/2024/11/cabanes-de-lumiere.histoires-d-eaux-numeriques.html