6 Décembre 2024
Le spectacle commence rideau fermé. Il s’entrouvre et apparaît une danseuse dans la pénombre. Elle nous offre un solo très suggestif dont le point de départ pourrait être le célèbre tableau du Caravage, Narcisse, car elle est comme lui, à quatre pattes et contemple son reflet dans l’eau. Car on s’aperçoit qu’il y a un reflet au sol et puis sur le mur de scène. Ainsi on est entrainé dans une mise en abime de la représentation de soi, une série de reflets avec lesquels la scénographe va jouer admirablement. On est aussi dans un cirque car on découvre sur la scène un cercle en miroir, comme une piste improbable de cirque aux étoiles. Et justement on parle de stars. Justement dans cette nouvelle création, Marion Motin questionne les rapports ambigus de notre société au paraître et à l’image de soi historisée. Ainsi nous sommes toustes pris au piège des réseaux sociaux et de la mise en scène en permanence de nos vies. Elle a choisi l’angle de la starification peut-être parce que pour eux le paraître est poussé au paroxysme puisque qu’ils et elles doivent assumer une image publique, parfois aux antipodes de leurs personnalités. Être une star c’est précisément ne plus être soi mais une image de soi que l’on a plus ou moins façonnée et que l’on doit « nourrir » un peu tous les jours comme un éternel fardeau.
Et le mythe de Narcisse est d’autant plus approprié qu’il nous interroge sur ces comportements addictifs que nous adoptons presque à notre insu dans cette société du spectacle qui nous manipule pleinement. Il nous renvoie à nos propres agissements et dérives.
Marion Motin utilise l’énergie et le lâcher prise comme « alphabet ». Sa danse est intimiste au final car elle va chercher chez ses interprètes ce qu’ils ont en eux d’un peu sauvage et
brut et elle convoque leur « beauté intérieure », en cherchant l’honnêteté dans le langage du corps et la liberté de chacun dans la restitution du mouvement. Elle élabore souvent dans ces chorégraphies un mouvement à l’unisson en parallèle avec un solo. C’est toujours parfaitement synchronisé et toujours parfaitement authentique. Elle réussit ce paradoxe d’aller chercher la singularité dans le collectif.
Une scénographie lumineuse impressionnante véritable partie prenante de la mise en scène.
La scène est un immense miroir en cercle un peu comme une piste de cirque. Et pour bien appuyer l’image du cirque, régulièrement comme une petite virgule, comme pour conclure « un chapitre » une musique de cirque très connue avec des cuivres résonne. L’analogie est facile. On est bien dans un cirque 😊
Un jeu graphique impressionnant
Marin Motin a participé pleinement à la scénographie qui au-delà des miroirs utilise toutes les subtilités modernes des jeux de lumières pour nous en mettre plein les yeux, littéralement et concrètement. Elle joue avec les différences de couleurs complémentaires, avec l’ombre et la lumière. Ainsi, toute la scénographie est basée sur les couleurs associées au jeu des reflets comme un enchainement d’échos lumineux. Elle joue sur les illusions d’optiques créées par ce jeu des lumières et des reflets, pour faire passer devant ou derrière les interprètes bien qu’ils n’aient pas forcément bougé, pour mettre en avant un personnage. Les couleurs ainsi distinguent un ou une interprète par rapport aux autres ou les associent. Le travail des couleurs est indubitablement réussi. Marion Motin le maitrise parfaitement et sait exactement comment s’en servir. Associé au travail sur le reflet, elle nous entraine dans un jeu d’illusions ou le regard se perd et où la réalité disparaît au profit d’apparences et d’illusions.
Une playlist éclectique et quelque peu étonnante
Donna Summer, Pynk Floyd et Led Zeppelin sont convoqués pour mettre en musique cette chorégraphie, ce qui m’a un peu étonnée au premier abord car ces artistes sont plutôt de la génération des seventy’s et Marion Motin est née bien après leur consécration mais ce sont des figures emblématiques de la musique moderne. Elle dit d’ailleurs qu’elle aime la musique un peu cliché, très chargée. Pour Marion Matin la musique vient réagir sur nos corps, avec nos corps comme une caisse de résonnance. Et cette playlist utilise pleinement les ressources de la batterie avec des rythmes superbement marqués par des percussions intenses et également la puissance de la voix et du chant.
Marion Motin est née en 1981 en Basse-Normandie. Elle une danseuse et chorégraphe française. Elle apprend très tôt la danse classique puis la danse contemporaine mais sa passion c’est le hip-hop, elle commence à se produire dans la rue, dans les centres commerciaux avec ses amis. En 2009, Marion Motin crée un groupe de danse féminin, Les Swaggers, composé de 7 danseuses. Elles deviennent vice-championnes de France du concours de danse Hip Hop International. Puis sa carrière décolle, elle accompagne sur scène M. Pokora, Shy'm, Madonna, participe au clip musical de Robbie Williams et aux chorégraphies d'Angelin Preljocaj.
Marion Motin devient la chorégraphe des clips et des tournées de Stromae (2013), Christine and the Queens (2014), de la comédie musicale de France Gall et Bruck Dawit Résiste (2015)7, et de la tournée d'Angèle mais aussi Catherine Ringer pour la Philarmonie.
Ces dernières créations en 2023, The Last Call pour l’Opéra Garnier et Narcisse à la Villette en 2024.
Ces créations sont toujours intenses et envoutantes. Elles nous racontent des histoires et nous entraînent dans un univers riche et dérangeant à la limite parfois du « politiquement correct » qui nous interpelle et nous séduit. Fascinant et décapant !
Distribution
Interprètes Maud Amour, Chris Fargeot, Jocelyn Laurent, Marion Motin, Belèn Leroux
Chorégraphe Marion Motin
Assistante Caroline Bouquet
Création Lumière Marion Motin et Judith Leray
Set Design Marion Motin
Musique Micka Luna
Régie générale Gwendolin Boudon
Production Collectif Les Autres
Coproduction Initiatives d’artistes / La Villette – Paris, Points Communs – Nouvelle scène nationale de Cergy Pontoise/ Val d’Oise, Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, Département de la Manche, EMKA – Direction Mehdi Kerkouche dans le cadre de l’Accueil Studio – Ministère de la Culture, Le Phare, Centre chorégraphique national du Havre direction Fouad Boussouf, dans le cadre de l’Accueil Studio – Ministère de la Culture, La Rampe – La Ponatière, Scène conventionnée d’intérêt nationale art et création – Danse et musiques à Echirolles
Avec le soutien du mécénat de la Caisse des Dépôts, du Théâtre du Châtelet et du Département de la Manche.
Tournée
A la Villette du 4 au 6 décembre 2024.