Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Patatas fritas falsas. Jeu de massacre autour de la figure de Franco et de l’Espagne franquiste.

Phot. © Lili Marsans

Phot. © Lili Marsans

Quand deux Catalans évoquent  cette période encore partiellement recouverte d’une chape de silence que fut l’Espagne franquiste, l’évocation se fait à la fois drôle, grinçante et cruelle.

Espagne for ever. C’est ainsi que pourrait se comprendre ce drapeau espagnol gigantesque de l’époque du franquisme qui occupe toute la scène du théâtre durant un quart d’heure. Quinze longues minutes à contempler le plan large du drapeau et les détails sur lesquels le projecteur s’attarde : une tête d’oiseau de proie, des griffes de prédateur, un slogan, « Una, Grande, Libre », qui symbolise le régime autoritaire de l’époque, un pays délimité par les colonnes d’Hercule dont « Plus » et « Ultra » marquent l’expansion coloniale. Tout un programme en soi, pas forcément facile à décrypter pour un public étranger, même si une phrase affichée en fond de scène informe que ce drapeau est devenu anticonstitutionnel. Un peu plus tard, on connaîtra la raison de ce long quart d’heure : les quarante années qu’ont duré le fascisme en Espagne, ça a aussi été long !

Phot. © Lili Marsans

Phot. © Lili Marsans

Une mise en accusation grinçante autant que virulente du fascisme

La femme qui entre sur scène est vindicative. Elle nous balance à la figure les raisons que les Espagnols ont eues – et pas seulement eux – de choisir la voie fasciste : éviter de se prendre la tête quand d’autres le font, se croire protégé de tout, étrangers comme voyous, par un État qui te rend à ta tranquillité, obéir parce que cela t’évite la difficulté de choisir, opter pour un régime de « vrais » mecs, virils et fiers de l'être. Avec une férocité croissante, elle entre dans le détail de nos minuscules renoncements de tous les jours, de nos petites actions, de nos attitudes, des décisions quotidiennes que nous prenons, qui sont lourds de signification et dont nous ne mesurons pas les conséquences : l’église ou pas, l’école publique ou privée, etc. Le fascisme est quotidien, il peut aussi nous appartenir de le changer.

Phot. © Lili Marsans

Phot. © Lili Marsans

De Franco à Marine Le Pen

Le cheminement sur les traces des victimes consentantes est renvoyé dos à dos avec le cynisme des dirigeants de l’extrême-droite. Dans une séquence de ventriloquie savoureuse, Agnés Mateus anime une marionnette de Franco. Une marionnette souriante, rieuse, qui énonce avec tranquillité la manière dont elle surfe sur les peurs et les irrésolutions. Franquito est familier, sympathique – même si Franco ne le fut pas. Il n’en énonce pas moins des vérités affligeantes et c’est tachée de sang qu’Agnés Mateus dialogue avec lui, pour faire comprendre que la bonhommie du personnage n’est qu’apparente. Selon les pays où se produit le spectacle, elle lui adjoint une autre marionnette, symbole de l’extrême-droite. Ici Marine Le Pen sera prise à témoin et complice du dictateur qui lui dispense ses conseils.

Phot. © Lili Marsans

Phot. © Lili Marsans

Théâtre et performance

Au-delà de la dénonciation, qui touche le franquisme mais va bien au-delà, la narratrice actrice qui fait à elle seule tout le spectacle se métamorphose. De victime consentante, elle se mue en ange exterminateur et vient dynamiter les bases sur lesquelles repose notre société. Oiseau vengeur lesté d’une masse qu’elle abat sans relâche, avec entrain malgré son poids et avec une belle obstination, elle se lance à la charge de l’ancien monde, symbolisé par une maquette en plâtre de bâtiment classique qu’elle réduit en miettes avant de s’attaquer à un objet emblématique de la société de consommation et de l’univers domestique : la machine à laver. Elle nous invite ainsi à repenser nos critères de vie, à revoir ce que nous considérons comme une évidence.

Si Agnés Mateus et Qim Tarrida évoquent un épisode de l’histoire espagnole encore très sensible dans le pays – le franquisme fit des ravages à l’intérieur même des familles et reste très présent dans les mémoires, particulièrement en Catalogne – et rappellent le fait que l’amnistie, au motif de l’opposition de deux camps et non d’une guerre civile qui aurait dû être jugée, ait été décrétée, leur propos est clairement ailleurs. Il faut le trouver dans la mise en garde contre toutes les dérives fascistes et la nécessaire vigilance à conserver. Le déploiement iconoclaste d’énergie du spectacle, en dépit de la longueur lassante quoique volontairement provocatrice de la séquence du drapeau, nous rappelle qu’il nous appartient d’agir et que cette action réside dans le combat…

Phot. © Lili Marsans

Phot. © Lili Marsans

Patatas fritas falsas
S Texte et mise en scène Agnès Mateus et Quim Tarrida S Avec Agnès Mateus S Scénographie, son et vidéo Quim Tarrida S Création lumière Quim Tarrida et Laura Morin S Régie générale et régie lumière Laura Morin S Assistanat mise en scène et production Marta Gon S Photographie Quim Tarrida / Lili Marsans S Céramique Anna Benet S Costumes Teresa Melgosa S Traduction et sous-titres Marion Cousin S Diffusion en France Anne Goalard – Young Performing Art Lovers et Jean-Michel Hossenlopp S Coproduction TNC – Teatre Nacional de Catalunya, Centre dramatique national d’Orléans, Théâtre de la Bastille, Antic Teatre (Barcelone), Konvent (Berga) et A.Mateus & Q. Tarrida S Soutiens Institut Ramon Llull @ IRLull et El Canal – Centre d’arts escèniques (Salt, Gérone) S Remerciements  Anne Goalard et Jean-Michel Hossenlopp, Claire Dupont, Carme Portacelli, Marta Oliveres, Paola Amghar, Émilie Leroy, Nathalie Dumon, Océane, Norbert Ferrand, David Cauquil, Julient Flame Axel, Anna Benet, Teresa Melgosa, Cris (Perruqueria « A la Meva »), Abel Doctor Bike, Bru Ferri, Lluis Petra, Ildu Alonso, Joan Manel, Joan Tomas, Isma Txapu, Jorge Dutor, Joaquim Gil, Esther Soldevila, toute l’équipe du Centre dramatique national d’Orléans et toute la famílle Konvent S Le spectacle a été créé le 4 mai 2022 au TNC – Teatre Nacional de Catalunya S Agnés Mateus et Quim Tarrida sont artistes associé·es au Parlement du Théâtre de la Bastille (2024-2027) S Durée 1h30 S Spectacle en espagnol surtitré en français. Usage de lumière stroboscopique

10 au 16 janvier 2025 à 21h, le samedi à 18h
Théâtre de la Bastille – 76, rue de la Roquette, 75011 Paris
www.theatre-bastille.com

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article