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Arts-chipels.fr

À nos visages s’abandonner. Ce que les yeux seuls ne sauraient voir.

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Le photographe Jean-François Spricigo, dans une performance alternant interventions directes et projections de photographies, livre, au-delà de la captation photographique, une réflexion sur être et photographier.

Sur l’écran, un ensemble de visages nous fait face. Jeunes et vieux, seuls ou à plusieurs, les traits dessinés ou noyés dans un flou assumé quand ils ne font pas l’objet d’une transfiguration en arbre dont les ramures évoquent la montée d’une sève de vie qui envahit la tête, voisinant avec des portraits d’animaux, ils imposent leur présence.

Celui qui les a photographiés, mince et le visage souriant, a une voix douce et chaude qui capte l’attention. Les photos sur l’écran, ce sont les siennes, et il est venu là pour nous parler de la photographie en commençant par une boutade. Du temps de l’argentique, la FNAC ne faisait pas payer les photos « ratées ». Qu’est-ce qu’une photo ratée, demande-t-il au public, s’étendant sur les présupposés inconscients du vocabulaire employé par la photographie : « prise » de vue, « cadrage », « objectif », « mise au point », « capture ». Autant d’épithètes coercitives qui en disent long sur une certaine conception de la photographie.

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Un photographe kaléidoscopique

Jean-François Spricigo est un personnage à facettes. Formé à la photographie, au cinéma et à l’art dramatique, il est aussi un grand lecteur. Chez lui, Brel voisine avec Nietzsche ou Michaux et Desproges converse avec Thoreau ou Pessoa, tout comme Schubert côtoie Bill Evans ou Nirvana, et Simone Weil Nelson Mandela et Jiddu Krishnamurti. Lauréat de la Fondation belge de la vocation et du Prix de l'Académie des Beaux-Arts Marc Ladreit de la Charrière avec sa série « anima » en 2008, qui lui vaut de passer une année en résidence à la Casa de Velázquez, à Madrid, il a également reçu le Prix Nadar – Gens d’images en 2023 pour son ouvrage nous l’horizon resterons seuls.

Mais au-delà des titres et récompenses, il place au cœur de son travail, où photographie, vidéo, écriture et poésie sont présentes, une qualité d’être qui déborde la vision du « je » créateur.

Phot. © Simon Gosselin

Phot. © Simon Gosselin

Une forme de mise à nu en live

Ce à quoi la performance va se consacrer – et non s’attaquer, pour passer au large du vocabulaire guerrier – c’est à interroger les concepts usuellement utilisés pour qualifier la photographie – le net, le flou, le réussi, le raté... Ce questionnement, Jean-François Spricigo le mènera en acte, avec les spectateurs, en s’attachant à la représentation du visage, au portrait. Trois spectateurs, qui acceptent de devenir les « sujets » à photographier, permettront au photographe d’expliquer ce qu’il va chercher dans ces visages : non la transcription d’une quelconque « réalité » réduite à un ensemble de traits et de volumes mais la captation d’une émotion, d’un sentiment, d’un être-là qu’expriment ces visages.

Les photographiant yeux fermés ou ouverts, visage au repos ou en veille, avec leur mémoire vive qui court derrière leur regard, Jean-François Spricigo, aidé par l’éclairage qu’il oriente et dont il définit l’intensité, va chercher la beauté derrière les choses, celle qui est présente mais qu’on ne voit pas faute d’y prêter attention, celle qui échappe aux catégories esthétiques ou morales d’une prétendue objectivité.

Ce qu’il a capté, comme un récepteur ouvert, sans filtre, toutes antennes dehors, il le montrera quelques instants plus tard en interrogeant les spectateurs sur la perception qu’ils en ont. Une manière d’apprendre à voir ce qui se cache derrière ce qui nous entoure, à y reconnaître la beauté de la vie, sa palpitation à l’intérieur même de l’image fixe, du moment arrêté de la photographie, pour peu qu’on accepte de la chercher.

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Des « intermèdes » en terres d’émotion

Quelques minutes sont chaque fois nécessaires à la suite des séances de pose pour préparer la projection des images prises sur le vif. Sur l’écran apparaissent alors, sans commentaire, des photographies de Jean-François Spricigo. Souvent en fondu-enchaîné, parfois juxtaposées, elles ouvrent les portes d’un monde enchanté où nature, animaux et humains communient dans une même vision.

Que les portraits soient flous au point de n’être plus que vibrations ou précis à en détacher un à un les cheveux, noyés d’ombre ou traversés par la lumière qui découpe sur eux l’abstraction d’une pensée, qu’ils prennent place dans une inversion des plans qui révèle  précisément au lointain l’animal, un cerf, quand l’humain au premier plan s’estompe et se dissout dans le décor, les photographies de Jean-François Spricigo nous entraînent vers une perception de l’infime et de l’intime dans laquelle se révèle l’infini. Un voyage qui a quitté la surface des choses pour déceler les ombres derrière les ombres et donner corps aux fantômes que nous portons en nous.

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

L’homme au sein du vivant

« Ce sont les animaux qui m’ont réconcilié avec les hommes » dit Jean-François Spricigo qui n’a cessé de plonger dans la complexité d’une fourrure, dans l’éclat d’un regard animal, débarrassé des contraintes qui encombrent les yeux humains, et affirmé le rôle fondamental qu’a joué son chien dans son apprentissage de photographe qui est leçon de vie. Saisissant un écureuil sur la neige, l’immensité d’un arbre dont le tronc s’élève en triangle pointant vers les cieux ou le frémissement d’herbes aquatiques sur la brume de l’eau, il passe de l’infiniment petit d’une expression fugace et parcellaire à l’infiniment grand d’un envol d’oiseaux avec le même émerveillement et la même manière de regarder derrière l’apparence pour en faire émerger la réalité qui se dissimule derrière le miroir.

Franchir, à la manière de Nerval, les portes d’ivoire et de corne, devenir l’homme aux semelles de vent qui dit « je est un autre » est un projet poétique et une vision du monde. Et si le photographe dénonce les absurdes tentatives de l’homme d’échapper à la mort et à l’oubli en créant, en laissant des « traces », si les références à la philosophie indienne ne manquent pas chez lui, que la métempsycose semble accompagner sa conception de la vie, ce n’est guère surprenant. Le chemin mystérieux qui mène, pour lui, vers l’intérieur est aussi celui qui nous conduit à faire corps avec le monde. Et dans cette absorption du « moi », la photographie devient « jeu », contre le « je ».

au vent porter la joie. Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

au vent porter la joie. Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

à nos visages s’abandonner
Performance / photographie S Conception, interprétation, texte, photographies Jean-François Spricigo S Production déléguée CENTQUATRE-PARIS S Avec le soutien du Nikon Plaza S Jean-François Spricigo est artiste associé au CENTQUATRE-PARIS S Ce spectacle est en tournée avec le 104ontheroad
https://www.104.fr/professionnels-de-la-culture/productions-et-tournees.html 

13 & 14 février 2025
Au CENTQUATRE
, vu dans le cadre du Festival Les Singulier·e·s

silhouettes. Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

silhouettes. Phot. © Jean-François Spricigo, courtesy Galerie Camera Obscura, Paris

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