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Arts-chipels.fr

Pop Forever. Tom Wesselmann &… Un «Pop» sans pape.

Pop Forever. Tom Wesselmann &… Un «Pop» sans pape.

Quand on parle du Pop Art, on a coutume de placer en tête celui qui en fut la figure de proue incontestée : Andy Warhol. En décentrant le regard vers Tom Wesselmann, en le déplaçant aussi en arrière et en avant dans le temps et en le faisant voyager dans l’espace, l’exposition de la Fondation Vuitton offre l’occasion d’explorer l’œuvre d’un artiste souvent minoré dans l’histoire du Pop Art et de prendre la mesure des prolongements de son œuvre.

Du 17 octobre 2024 au 24 février 2025, la Fondation Vuitton présente 150 œuvres et plus de 80 archives, des années 1950 à 2003, de Tom Wesselmann, l’un des artistes les plus représentatifs du Pop Art auquel il dédia une très grande partie de son activité bien qu’il affirmât s’en être partiellement mis à distance. Autour de ce parcours, 70 œuvres de 35 artistes internationaux, de 1917 à nos jours, apportent un regard complémentaire qui éclaire les sources du Pop Art et ses multiples prolongements. Débutant avec les premières œuvres de l’artiste qui en constitue le centre, l’exposition s’achève avec ses dernières réalisations et traverse, incluses dans le parcours de l’œuvre, des échappées belles qui vont des origines aux filiations.

Tom Wesselmann, Still Life #36, 1964. Papier trouvé, huile et acrylique sur lin, quatre parties, 304,8 x 488,3 cm. Whitney Museum of American Art, New York, don de l’artiste © ADAGP, Paris, 2024. Photo © Digital image Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala

Tom Wesselmann, Still Life #36, 1964. Papier trouvé, huile et acrylique sur lin, quatre parties, 304,8 x 488,3 cm. Whitney Museum of American Art, New York, don de l’artiste © ADAGP, Paris, 2024. Photo © Digital image Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala

Tom Wesselmann, un artiste emblématique mais cependant en marge

Né dans l’Ohio en 1931, c’est à son retour de l’armée en 1952 que Tom Wesselmann prend conscience de son intérêt pour l’art, et plus particulièrement pour le dessin humoristique. Il s’inscrit alors à l’Art Academy de Cincinnati avant de rejoindre une école d’excellence, la Cooper Union for the Advancement of Science and Art de New York, dans la section « Art ». À sa sortie, en 1959, voulant se démarquer de l’expressionnisme abstrait qui tient alors la corde en matière d’art et de l’influence que Wilhelm De Kooning exerce sur lui, il s’éloigne des courants abstraits et s’engage dans le collage et les juxtapositions. Il est, malgré ses réticences, rapidement associé au mouvement du Pop Art. Il cultivera, tout au long de sa carrière, un certain nombre de cycles dont certains récurrents.

Après avoir sacrifié, comme nombre de ses confrères artistes, au mythe du « rêve américain » avec ses présidents emblématiques – George Washington, Abraham Lincoln, JFK – et son drapeau, et s’être fait le chantre, lucide en même temps que décalé, des sirènes de la consommation et du bien-être liés à la prospérité économique, il reviendra chaque fois à ses thèmes de prédilection que sont la nature morte, les espaces domestiques, le féminin sous toutes ses formes et le paysage. Enfin, à la fin de sa vie, il renouera, d’un côté avec la peinture en deux dimensions, de l’autre avec l’abstraction. Mais pour reconnu que fut son parcours, il reste absent des monographies consacrées aux artistes de son époque au point qu’en 1980, lassé du phénomène, il publie sa propre monographie sous le pseudonyme ironique de Slim Stealingworth (Mince et sans valeur) un essai sur le développement de sa propre peinture qui contribuera à la faire connaître en Asie et en Europe.

Vue d'installation de l'exposition Pop Forever, Tom Wesselmann et ... Great American Nude #48, 1963. Huile et collage sur tpoile, acrylique sur bois, radiateur verni et assemblage (incluant une fenêtre illuminée), 213,3 x 274,3 x 86,3 cm  © Adagp, Paris, 2024. Photo (détail) © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage

Vue d'installation de l'exposition Pop Forever, Tom Wesselmann et ... Great American Nude #48, 1963. Huile et collage sur tpoile, acrylique sur bois, radiateur verni et assemblage (incluant une fenêtre illuminée), 213,3 x 274,3 x 86,3 cm © Adagp, Paris, 2024. Photo (détail) © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage

Une œuvre qui prend sa source dans les innovations dadaïstes

L’exposition réserve une salle, centrale par rapport à l’exposition, aux réalisations du mouvement Dada. Parce que les ready-made de Marcel Duchamp sont un signe annonciateur de la manière dont Wesselmann inclura, dans ses tableaux, des objets d’usage du quotidien – la Fontaine urinoir de R. Mutt-Duchamp résonnera ainsi avec une salle de bains peinte de Wesselmann (Bathtub Collage, 1963) où figurent les objets issus du réel que sont le papier toilette, une serviette accrochée ou un abattant de WC. Parce que derrière les collages développés par Kurt Schwitters ou Hannah Höch se profilent les tableaux géants de Wesselmann où le paquet de cigarettes, le sandwich et le verre de lait sur fond de vertes prairies et de drapeau américain raconteront une certaine Amérique, qu’exploite à son tour en 2015 l’artiste chinois Ai Weiwei en apposant le logo d’une boisson américaine emblématique sur une poterie ayant pour titre Urne de la dynastie Han portant le logo de Coca Cola. Wesselmann combine le ready-made et le collage en installant dans un tableau des reproductions de photographies et des objets en 3D, parfois même en incluant d’autres médias comme un poste de radio diffusant une émissions ou des images tirées du contexte de l’époque apparaissant sur des écrans de télévision.

Roy Lichtenstein, Thinking of Him, 1963. Magna sur toile, 172,7 x 174,6 cm. Yale University Art Gallery, Gift of Richard Brown Baker, B.A. 1935. Crédit artiste © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2024

Roy Lichtenstein, Thinking of Him, 1963. Magna sur toile, 172,7 x 174,6 cm. Yale University Art Gallery, Gift of Richard Brown Baker, B.A. 1935. Crédit artiste © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2024

Wesselmann dans l’aventure du Pop Art

Au départ de l’exposition, dès les premiers pas de l’artiste, la relation avec le Pop Art s’établit, avec la présence des « classiques ». Un combine painting de Robert Rauschenberg (Vitamin, 1960 et 1968) incluant des mentions de texte (« Don’t forget »), des papiers en partie recouverts par la peinture et une boîte (à craie ?) qui rappelle le concept de « tableau », établit un parallèle avec les mélanges collage-peinture-sculpture de Wesselmann. Roy Lichtenstein, avec ses personnages qui laissent voir la trame de la couleur, atteste du rôle important que joue la bande dessinée à cette époque. Andy Warhol, en fabricant-créateur des mythologies modernes, magnifie Marilyn, icône sublimée de la femme dont Wesselmann, de son côté, ne retient que l’érotisme des lèvres entrouvertes dans un format gigantesque. Ce qui marque aussi cette période, chez Wesselmann, ce sont ces natures mortes (Still Life) qui, au lieu de se focaliser sur fleurs et fruits, poissons, volailles ou gibier morts, exaltent le monde moderne entre bocaux de mayonnaise, bière, cigarettes, téléphone et autres biens de consommation issus de la production de masse. Elles feront pendant à l’ironique dénonciation de Claes Oldenburg donnant à un interrupteur une forme géante ou détournant la forme d’un bâtonnet de glace en substituant de la fausse fourrure à la matière glacée pour en révéler l’artificialité.

Tom Wesselmann, Mouth 14 (Marilyn), 1967. Huile sur toile mise en forme, 152,4 x 274,3 cm. Mugrabi Collection. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024. Crédit photographique © Jeffrey Sturges

Tom Wesselmann, Mouth 14 (Marilyn), 1967. Huile sur toile mise en forme, 152,4 x 274,3 cm. Mugrabi Collection. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024. Crédit photographique © Jeffrey Sturges

Un parcours contestataire, en zigzag au gré des thèmes

C’est dans un jeu de fascination-distance que se place l’exposition. America America de Martial Raysse (1964), avec sa main lumineuse qui se remplit d’étoiles et rappelle la Liberté éclairant le monde, témoigne de l’impact du Pop Art en France et de l’attraction qu’il exerce. L’œuvre fait apparaître, en même temps, l’un des axes majeurs qui traverse l’exposition : l’inscription du Pop Art au-delà de ses frontières et « forever », avec ses prolongements contemporains. Une correspondance s’établit entre le papier peint de Cow Wallpaper d’Andy Warhol (1966) qui habille l’une des cloisons de l’exposition et le Blaue Kuhtapete (1967) de Thomas Bayrle qui détourne le dessin de la « Vache qui rit » pour dénoncer l’alinéation du monde moderne par la société marchande.

Ces mises en parallèle sont en même temps révélatrices de l’ambiguïté artistique du Pop Art, qui exalte la société moderne, avec sa facilitation de la vie et son avenir « radieux » fondé sur une consommation sans fin et une forme de vision critique de ce « trop beau pour être vrai ». C’est la veine qu’exploreront les générations pop contemporaines. Au drapeau américain de Jasper Jones (1958) fait pendant un drapeau africain-américain de David Hammons en 1990. La voiture, élément-phare des sixties, subit un traitement analogue. Présente dans le décor de President Elect de James Rosenquist (1960-1961), où l’artiste met en parallèle la figure de John Kennedy, un arrière de voiture et une main de femme en pleine tâche ménagère, elle devient épave, entièrement recouverte de vernis à ongles Givenchy, avec Skin Crime (Givenchy 318), de Sylvie Fleury (1997) qui raconte, avec la mise en miettes du symbole même d’un modernisme triomphant, le naufrage dans le même temps d’une certaine idée de la « féminité ». C’est aussi sur le thème de l’aliénation féminine que se positionne Self Obliteration (1966-1974) de Yayoi Kusama, qui présente de parfaites et décoratives maîtresses de maison en plastique sur un tapis de nouilles.

Evelyne Axell, Ice Cream, 1964. Huile sur toile, 80 x 70 cm. Collection particulière, Belgique. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024. Crédit photographique © Paul Louis

Evelyne Axell, Ice Cream, 1964. Huile sur toile, 80 x 70 cm. Collection particulière, Belgique. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024. Crédit photographique © Paul Louis

Le Pop Art et les femmes

L’exposition réserve une place de choix aux femmes, dans le Pop Art « historique » comme dans ses prolongements. Elles témoignent du mouvement de libération sexuelle qui agite les années soixante. La jouissive suceuse de glace de l’Européenne Evelyne Axell (Ice Cream, 1964), la femme aux lèvres offertes, en relief, de Marjorie Strider (1962) ou son Triptych II (Beach Girl) de 1963 qui exhibe des seins proéminents qui sortent du tableau offrent l’image de femmes qui ont retourné leur statut de femme-objet en affirmation de liberté. Séductrices, elles le sont comme une provocation, parce qu’elles l’ont choisi. Quant à l’ironique John Wayne (1963) de Marisol, à cheval sur son dada avec son dérisoire pistolet de pacotille à la main, il attaque de front la « virilité » masculine que glorifie un certain cinéma. Mélangeant photographie, peinture, fragmentation de l’image, strass et paillettes, l’Afro-Américaine Mickalene Thomas explore, quant à elle, dans une démarche de blacksploitation, la représentation d’une féminité noire triomphante, à la sexualité exacerbée.

Tom Wesselmann, Great American Nude 31, 1962. Huile et collage mixte sur bois, 152,4 x 121,9 cm. Collection particulière. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024

Tom Wesselmann, Great American Nude 31, 1962. Huile et collage mixte sur bois, 152,4 x 121,9 cm. Collection particulière. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024

Wesselmann et les femmes

Les femmes occupent, dans l’œuvre de Wesselmann, une place fondamentale. Non seulement à travers le cycle monumental des Great American Nudes qu’il entame en 1962 mais dans la permanence qu’il accordera, tout au long de sa carrière à l’univers et au corps féminin. Silhouettes sans visage, les femmes n’ont parfois pour les caractériser qu’une bouche, un sexe ou des seins, introduisant un trouble quant à leur statut dans l’esprit de l’artiste. On peut les interpréter comme ramenées à leur fonction d’objet érotique, de fantasme de celui qui les regarde et les installera pour tout ou partie parfois en relief sur la toile, ou réalisera des installations monumentales à partir des accessoires de leur féminité – maquillage, rouge à lèvres, vernis à ongles… Mais elles sont aussi origine du monde, mystère souvent assorti d’un hédonisme qui les dépeint en odalisques intégrées dans une vision de la nature paradisiaque. Les Seascapes de 1965, parallèles à l’usage de techniques tridimensionnelles tel le Plexiglas moulé et peint, témoignent d’une sensualité exacerbée. Les dernières toiles, où les références à Picasso et à Matisse sont manifestes, les fondent dans un décor paradisiaque où explose la couleur.

Vue d'installation de l'exposition Pop Forever, Tom Wesselmann et ...Screen Star, 1999-2003. Huile sur aluminium découpé, 276,8 x 353 x 109,2 cm. New York, The Estate of Tom Wesselmann © Adagp, Paris, 2024. Photo (détail) © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage

Vue d'installation de l'exposition Pop Forever, Tom Wesselmann et ...Screen Star, 1999-2003. Huile sur aluminium découpé, 276,8 x 353 x 109,2 cm. New York, The Estate of Tom Wesselmann © Adagp, Paris, 2024. Photo (détail) © Fondation Louis Vuitton / Marc Domage

Une peinture dans l’espace

Si toute l’œuvre de Wesselmann témoigne de ce souci de faire éclater les catégories, la référence à la peinture reste cependant une constante de l’artiste. C’est d’elle qu’il part pour insérer les objets qui viennent s’incruster dans son propos, elle qu’il utilise pour traiter ces mêmes objets et les inclure dans la toile. Il y fait référence à l’intérieur même de ses tableaux qui, à côté d’un paysage photographique et stéréotypé, laissent voir un détail emprunté à Cézanne ou une reproduction de Léonard de Vinci ou de Matisse, dont il admirera toute sa vie le travail. Elle reste omniprésente dans les œuvres en métal découpé, à la main pour les pièces en aluminium, au laser pour celles en acier, qu’il réalise à partir du milieu des années 1980. D’abord tirées de dessins, de paysages ou de natures mortes, les œuvres en métal se complexifient à partir des années 1990. À la planéité des premières pièces succèdent des installations en 3D. Dans le même temps, Wesselmann quitte les rivages de la figuration pour revenir à sa fascination d’origine pour l’abstraction dans un agencement de formes peintes qui se répondent, se superposent et se chevauchent, créant entre elles un dialogue éminemment riche et dynamique.

Cette partie moins connue de l’œuvre de l’artiste constitue l’un des attraits de cette exposition qui montre, tout au long de son parcours, l’impact de son œuvre sur les générations qui l’ont suivi. C’est de sa manière de bousculer les normes sociétales que s’inspire Mickalene Thomas, mais aussi sur l’identité américaine qui se dégage de son œuvre que prend appui Derrick Adams. Ses Super Nudes (2024) qui font de la sexualité le super pouvoir en substituant au héros blanc, hétérosexuel et patriote, un superman noir, sont drapés dans la bannière étoilée, une cape de « patriotisme conflictuel » qui fait référence aux Great American Nudes de Wesselmann.

Pop Forever – Tom Wesselmann &…, en rendant hommage à la singularité et à la capacité d’innovation de l’artiste, rend aussi manifeste l’enracinement durable de la culture « pop », Jeff Koons ou Tomokazu Matsuyama inclus, à l’époque contemporaine.

Tom Wesselmann, Still Life #60, 1973. Huile sur toiles mises en forme, 310,5 x 845,8 x 219,7 cm. The Estate of Tom Wesselmann, New York. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024. Crédit photographique © Robert McKeever ; Courtesy Gagosian Gallery

Tom Wesselmann, Still Life #60, 1973. Huile sur toiles mises en forme, 310,5 x 845,8 x 219,7 cm. The Estate of Tom Wesselmann, New York. Crédit artiste © Adagp, Paris, 2024. Crédit photographique © Robert McKeever ; Courtesy Gagosian Gallery

Pop Forever - Tom Wesselmann &…
S Œuvres de Tom Wesselman & Derrick Adams, Ai Weiwei, Njideka Akunyili Crosby, Evelyne Axell, Thomas Bayrle, Frank Bowling, Rosalyn Drexler, Marcel Duchamp, Sylvie Fleury, Lauren Halsey, Richard Hamilton, David Hammons, Jann Haworth, Barkley L. Hendricks, Hannah Höch, Jasper Johns, Kaws, Kiki Kogelnik, Jeff Koons, Yayoi Kusama, Roy Lichtenstein, Marisol, Tomokazu Matsuyama, Claes Oldenburg, Meret Oppenheim, Eduardo Paolozzi, Robert Rauschenberg, Martial Raysse, James Rosenquist, Kurt Schwitters, Marjorie Strider, Do Ho Suh, Mickalene Thomas, Andy Warhol, Tadanori YokooS Commissariat général Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton S Commissaires de l’exposition Dieter Buchhart, Anna Karina Hofbauer assistés de Tatjana Andrea Borodin S Commissaire associé Olivier Michelon, Conservateur à la Fondation Louis Vuitton, assisté de Clotilde Monroe

Du 17 octobre 2024 au 24 février 2025
Fondation Louis Vuitton — 8 avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 Paris

www.fondationlouisvuitton.fr

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