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Arts-chipels.fr

Buster. Un Navigator en eaux cinéphiliques.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

On a maintes fois fait revivre l’atmosphère des premiers films muets avec son accompagnateur improvisant au piano pour souligner l’action. Plus ambitieux est de mélanger musique, chanson, texte et disciplines circassiennes dans un exercice de relecture critique du film sans provoquer l’ennui ou l’irritation. Pari tenu pour le spectacle de Mathieu Bauer à partir de ce film d’anthologie qu’est la Croisière du Navigator.

Chacun se souvient d’avoir beaucoup ri de ce film sans se remémorer parfois pourquoi et de quoi. La petite révision organisée par le Nouveau Théâtre de Montreuil vient donc à pic. Petit rappel sur l’argument. Un jeune héritier richissime mais qui s’ennuie, s’ennuie, s'ennuie… décide un beau matin, pour tromper la vacuité de son existence, de se marier. Le voici qui franchit, dans sa superbe auto, la rue qui le sépare de la jeune fille qu’il s’est mis en tête d’épouser. Naturellement, vu la manière dont la demande est faite, celle-ci refuse et notre héritier décide de s’embarquer seul dans la croisière qu’il avait prévue pour deux. Mais il se trompe de bateau et s’embarque sur le Navigator, qu’un groupe d’agitateurs a détourné en enlevant le père de la jeune fille. Lancée à la recherche de son géniteur, elle s’embarque elle aussi sur le bateau. Exit l’aventure du papa. Sur le bateau désert, les deux jeunes gens errent avant de finir par se retrouver…

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Buster, une hybridation spectaculaire

Lorsqu’on découvre le lieu, les éléments du décor sont visibles. À cour se trouve un pupitre de lecture, à jardin un fil d’équilibrisme et une énorme écoutille. Une fosse d’orchestre a été créée à l’avant-scène. Bientôt un filet de fumée sortira de l’écoutille tandis que la musique fera entendre la corne de brume du départ. Un récitant apparaît dans la fosse. Il énonce un certain nombre de noms, en anglais d’abord, puis en français. Ceux-ci prennent place peu à peu sur l’écran où ils dessinent la forme d’un paquebot, le Navigator, dont l’image se substitue peu à peu aux termes avec lesquels il a été dessiné. Le narrateur prend place sur scène, au pupitre. Il nous présente l’aventure de ce vaisseau, le Buford, promis à la démolition et loué par la production, qui constituera la source d’inspiration du film. Il évoque son rôle de vaisseau, chargé d’évacuer des soldats durant la Première Guerre mondiale, et son dernier service, pour expulser vers l’URSS ceux qu’on suspecte de communisme. Tout au long du film, qui n’est pas d’un seul tenant, il interviendra pour commenter un arrêt sur image, se référer à Deleuze, éclaircir un point ou un autre, élargir le point de vue ou citer une déclaration de Buster Keaton.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Le cinéma dans le spectacle

Si nombre de pièces contemporaines ont intégré la vidéo ou le cinéma dans leur propos, ici le parti est inverse. C’est du cinéma que naîtront les éléments qui l’entourent. La musique accompagnera le mouvement de tangage du bateau, jouera aux percussions, à petits coups frappés, la poursuite dans les coursives de Buster Keaton et de sa partenaire, plus aigus et légers pour elle, plus appuyés pour lui. Orage, pluie, et portes qui s’ouvrent en cadence trouveront un écho dans la musique qui fait monter la tension lorsque survient l’attaque des « sauvages », cannibales comme il se doit… Le narrateur continue d’égrener ses petits cailloux explicatifs, revenant sur les gags les plus emblématiques du film, analysant, avec humour en prime, les étapes du véritable voyage initiatique qui fera du héros un homme à part entière, quelque peu malmené, il est vrai, par une partenaire assez interventionniste. Le fildefériste, pendant ce temps, émergeant de l’écoutille, à cheval sur elle ou y disparaissant comme avalé par le vide, danse sur le fil à la limite du déséquilibre avec son petit chapeau – le même que Buster Keaton – et jette le même regard faussement naïf sur le monde que le personnage dont il est une des incarnations.

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Le cinéma dans le cinéma

Non content de jouer avec des éléments scéniques, Mathieu Bauer s’attaque à la matière filmique même. Images arrêtées et images en mouvement se répondent, elles se superposent, se font face pour s’accorder au commentaire, forment un patchwork qui vient occuper tout le fond de scène, se remplacent parfois en fondu-enchaîné. Parfois aussi, sur l’image en mouvement qui a envahi l’espace, l’un des personnages de chair et d’os s’invite, fait trois petits tours de commentaire ou de mimique et puis s’en va. Parfois enfin, on revient au film, pour percevoir l’urgence de son rythme, la force d’un gag, retrouver ce qui lui donne son parfum unique. On se replonge dans la scène où Buster Keaton s’arme d’un canon-jouet pour combattre les sauvages, on s'esbaudit des mésaventures  liées à leur méconnaissance totale des petites tâches de la vie quotidienne que rencontrent les deux jeunes gens – faire le café, ouvrir une boîte de conserve – et de la manière dont ils apprivoisent, au fil du temps, leur environnement. La séquence où Buster Keaton s’attaque à une boîte de conserve avec une scie est un grand moment. Celle où il gère un déplacement d’objets à l’aide de poulies et de leviers fait remonter à la mémoire les séquences d’Alexandre le Bienheureux où Noiret, devenu plus flemme que flemme, recourt à cette solution pour ne plus sortir de son lit.

Loin de nous frustrer du plaisir de la Croisière du Navigator, Buster en multiplie les sources avec intelligence et humour. Si l’on ajoute que la musique, avec ses accents jazzy, est bonne et que l’ensemble baigne dans une bonne humeur bienvenue par les temps qui courent, on comprendra, si l’on est parisien, que franchir le périphérique pour se rendre à Montreuil n'est pas si difficile et, pour ceux qui viendront après, que ce sympathique spectacle vaut la peine qu’on se déplace…

Buster, de Mathieu Bauer, d’après le film : La Croisière du Navigator de Donald Crisp et Buster Keaton

Du 16 septembre 2021 au 9 octobre 2021
Les mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 20h
Les samedis 18 & 25 septembre à 18h, le vendredi 8 octobre à 21h

Nouveau Théâtre de Montreuil – Salle Jean-Pierre Vernant – 10, place Jean-Jaurès – 93100 Montreuil

Tél 01 48 70 48 90. Site www.nouveau-theatre-montreuil.com
S conception, mise en scène, scénographie et montage Mathieu Bauer S collaboration artistique, composition Sylvain Cartigny S texte Stéphane Goudet S dramaturgie Thomas Pondevie S Avec : Mathieu Bauer, Sylvain Cartigny, Lawrence Williams musiciens, Stéphane Goudet conférencier, Arthur Sidoroff circassien S création lumières Alain Larue S création son Dominique Bataille, Alexis Pawlak S création costumes Nathalie Saulnier S régie générale et vidéo Florent Fouquet S assistanat à la mise en scène Anne Soisson S durée :  1h30

TOURNÉE 2021/2022

16 sept au 09 oct 2021  Nouveau théâtre de Montreuil — CDN

15 oct 2021  Les Passerelles, Scène de Paris-Vallée de la Marne

16 au 18 déc 2021  L’Empreinte, Scène nationale de Brive-Tulle

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