4 Juin 2025
Affiche de l'exposition avec Gabriele Münter, Portrait de Marianne von Werefkin, 1909 © Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München, Gabriele Münter Stiftung 1957 © ADAGP, Paris, 2025
Les premières décennies du XXe siècle consacrèrent nombre de femmes artistes qui passèrent à l’étouffoir pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Gabriele Münter est du nombre. La rétrospective que lui consacre le Musée d’Art moderne de Paris la remet à l’honneur.
L’exposition constitue la première rétrospective consacrée à l’artiste organisée en France. Elle donne à voir toute l’étendue de l’œuvre, de la photographie, qui forme ses premiers pas dans le champ de l’art, jusqu’à la peinture, en passant par le dessin auquel elle consacra plusieurs années, la gravure et la broderie. Elle offre l’occasion de découvrir une figure majeure de l’expressionnisme allemand, cofondatrice du groupe du Cavalier bleu (der Blaue Reiter). À travers une sélection de 150 œuvres réparties sur six décennies, l’exposition, réalisée en coopération avec la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner à Munich et la Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau de Munich, donne à voir toute l’étendue de l’œuvre dans sa diversité. Elle montre que celle qui fut la compagne de Kandinsky pendant près de quatorze ans mérite d’être considérée pour elle-même.
Gabriele Münter, Trois femmes en habits du dimanche, Marshall , 1899 - 1900 © Gabriele Münter - und Johannes Eichner - Stiftung, Munich, © ADAGP, Paris 2025
Une vie de jeune fille aisée
Gabriele Münter naît en 1877 dans un milieu bourgeois. Elle s’intéresse très tôt à l’art et ses parents soutiennent sa vocation de peintre. À cette époque, les femmes ne sont pas admises dans les académies des beaux-arts que fréquentent les hommes. Gabriele Münter suit des cours particuliers de dessin avant de fréquenter l’École l’art pour femmes de Düsseldorf en 1897.
L’année suivante, à 21 ans, elle entreprend avec sa sœur un voyage de deux ans aux États-Unis pour rendre visite à sa famille. Arrivées à New York, les deux femmes parcourent l’Amérique du Nord avant de gagner Saint Louis dans le Missouri, puis l’Arkansas et le Texas. Deux femmes qui voyagent seules sort à l'époque de l’ordinaire et marque déjà la volonté d’indépendance des jeunes femmes. C’est alors que Gabriele Münter se familiarise avec la technique relativement récente de la photographie. Munie de son appareil Kodak Bull’s Eye N ° 2, elle réalise 400 clichés où se mêlent aux photos des amis scènes de rues, vie urbaine et rurale et paysages, bateaux et trains.
De retour en Allemagne, elle emménage à Munich en 1901 et fréquente une école d’art pour femmes tout en prenant des cours de peinture dans une école fondée par Vassily Kandinsky, la Phalange (die Phalanx), dont l’enseignement se démarque du classicisme de ses précédents apprentissages. L’été 1902, tous deux partent dans les Alpes bavaroises, à Murnau, au sud de Munich et une liaison amoureuse s’instaure entre le maître et son élève, que tous deux étalent au grand jour. Murnau deviendra un point d’ancrage pour Gabriele Münter, qui y achètera une maison en 1909. Après son interdiction d’exposer édictée par les nazis à partir de 1937, elle s'y réfugiera, cachant dans le sous-sol, pour les soustraire aux destructions qui frappent l’« art dégénéré », des œuvres de Kandinsky et du Cavalier bleu. La maison restera son havre après la guerre.
Gabriele Münter, Paysage avec cabane au couchant, 1908 © Kunstsammlungen Chemnitz / PUNCTUM / Bertram Kober © ADAGP, Paris, 2025
La « révolution » expressionniste
C’est à Murnau, en 1908, que Gabriele Münter s’affranchit de la touche et des couleurs impressionnistes pour développer son propre style, marqué par des couleurs franches, souvent bordées de noir, des formes simplifiées, dépourvues d’ombres et dont la perspective cède le pas à la surface colorée. Si les paysages restent son genre de prédilection, la nature morte et le portrait ne sont pas absents.
Münter et Kandinsky se passionnent pour l’art populaire, collectant divers objets d’art « brut » – même si cette définition n’existe pas encore, et décorent dans ce style leur maison, où se rencontrent de nombreux artistes de l’avant-garde artistique. La baronne Marianne von Werefkin et son compagnon Alexei von Jawlensky, Adolf Erbslöh, puis Franz Marc, August Macke et Arnold Schönberg séjournent aussi dans la « maison des Russes ».
En 1910, Münter, reprenant un procédé traditionnel, commence à utiliser le verre comme support de peinture, bientôt imitée par ses amis. Elle participe à la création de la Nouvelle association des artistes munichois, qu’elle quitte en 1911 avec Kandinsky et Franz Marc pour fonder, avec Werefkin et Jawlensky, le mouvement expressionniste du Cavalier bleu, dont elle est une véritable cheville ouvrière, auquel se joint Paul Klee. En 1913, elle expose, la première, en solo à la galerie Der Sturm. Elle voyage avec Kandinsky : en Tunisie, aux Pays-Bas, en Italie et en France où elle s’était rendu dès 1907.
La Première Guerre mondiale redistribue les cartes car Kandinsky, ressortissant russe, ne peut rester en Allemagne. Ils partent pour la Suisse avant que Kandinsky ne regagne la Russie. Münter retourne six mois à Munich avant de gagner, en 1915, la Scandinavie où sa peinture a du succès et où elle espère que Kandinsky la rejoindra. Il y passe trois mois puis disparaît. Elle apprendra plus tard qu’il s’est marié et a eu un fils. Mais leur rupture artistique est antérieure. En 1912, avec l’Arc noir, Kandinsky se dirige vers l’abstraction, une voie sur laquelle Gabriele Münter ne le suivra pas. Sa peinture demeurera, jusqu’au bout, figurative.
Gabriele Münter, Petit-déjeuner des oiseaux, 1934 © 2023 Artists Right Society (ARS), New-York / VG Bild-Kunst, Bonn / ADAGP 2025
Après Kandinsky
Les années 1920, où Münter vit entre Cologne, Munich et Murnau, sont marquées par la dépression. En 1925 elle s’installe à Berlin et préfère à la peinture de petits dessins réalisés au crayon, des portraits de femmes où s’affirme un tracé très sûr, sans ombre ni relief. Elle rencontre le philosophe et historien de l’art Johannes Eichner, qui devient son compagnon. Ils voyagent en France : Paris, pour un séjour prolongé en 1929-1930, puis Marseille, Avignon, Chamonix. Münter recommence à peindre, ses œuvres sont exposées dans toute l’Allemagne, y compris après l’arrivée des nazis au pouvoir. Membre de la Chambre des beaux-arts du Reich, elle participera avec deux tableaux de chantiers à l’exposition « Les routes d’Adolf Hitler dans l’art » (Die Strassen Adolf Hitlers in der Kunst) avant d’être mise à l’écart, mais non poursuivie.
Après la guerre, elle est chargée d’organiser une exposition du Cavalier bleu à Munich et des rétrospectives la concernant tournent en Allemagne. En 1950, elle participe à la 25e Biennale de Venise et, en 1955, figure dans la première Documenta de Cassel. Sa donation à la ville de Munich de sa collection personnelle, en 1957, fait de la Galerie du Lenbachhaus de Munich un haut lieu des œuvres du Cavalier bleu. L’artiste, retirée à Murnau, décède en 1962.
Gabriele Münter, A l'écoute (portrait de Jawlensky), 1909 © Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau München, Gabriele Münter Stiftung 1957 © ADAGP, Paris, 2025
L’exposition du Musée d’Art moderne
La première partie de l’exposition, dédiée à la photographie rassemble des images du séjour américain de l’artiste et de son séjour en Tunisie avec Kandinsky en 1903-1904 ainsi que ses carnets de dessins.
La deuxième partie se concentre sur le premier séjour parisien de Münter, en 1906-1907, durant lequel elle réalise environ le quart de son œuvre gravé. À travers les portraits qu’elle réalise à son retour à Munich en 1908, l’influence des avant-gardes parisiennes est perceptible. Sont également présentées des broderies de perles, exposées au Salon d’Automne de Paris en 1907.
Suivent les peintures emblématiques des années dites « expressionnistes » qui recouvrent la période de son activité au sein de la Nouvelle association des artistes munichois, puis du Cavalier bleu. L’explosion de couleurs, la simplification des motifs et l’expressivité des œuvres s’expriment à Murnau.
Face à elles, on trouve de nombreuses compositions aux teintes sombres, notamment dans les œuvres dont les motifs s’inspirent de l’art populaire. Figurent aussi, dans cette section, les objets que Münter collecta et les dessins d’enfants pour lesquels elle montra un vif intérêt, allant même jusqu’à les reproduire et à les inclure dans ses tableaux. Une démarche à rattacher à la recherche d’un art authentique, débarrassé des scories du classicisme et de l’histoire de la peinture, visant à retrouver un geste natif, authentique.
À partir de 1915, exilée en Scandinavie, les tonalités des toiles de l’artiste se font moins éclatantes et la figure humaine y tient un grand rôle.
La cinquième section, qui correspond aux années 1920, tisse un lien avec les nouvelles tendances de la figuration. Le dessin y devient la technique de prédilection. Ils révèlent une économie de moyens remarquable et une sûreté du trait qui donnent à ses portraits une présence saisissante dans leur minimalisme graphique. On y trouvera aussi des œuvres réalisées lors du second séjour de l’artiste à Paris en 1929-1930.
Les œuvres de Münter, du milieu des années 1930 à la fin de 1950, referment le parcours. L’artiste continue à peindre durant le nazisme. Elle est réfugiée à Murnau où elle se fait « oublier », en retrait du système officiel, et il est intéressant de voir son évolution du traitement du paysage par rapport au temps du Cavalier bleu.
La majorité des œuvres exposées provient de la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner ainsi que de la Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau à Munich.
Gabriele Münter, Echafaudage, 1930 © The Gabriele Münter and Johannes Eichner Foundation, Munich © ADAGP, Paris, 2025
Une rétrospective riche d’enseignements et de plaisirs
Ce qui frappe tout au long du parcours, c’est le volontarisme farouche d’une artiste qui, en dépit des mises en cause – par Kandinsky en particulier vers la fin de leur liaison – trace sa route, n’hésitant pas à s’aventurer sur des terrains qu’elle ne connaît pas, à expérimenter de nouvelles techniques, à ne jamais se limiter à un domaine qu’elle domine déjà. Lui revient aussi la résistance à l’irrésistible ascension de l’abstraction sur le terrain de l’art, et la volonté de ne pas céder, malgré quelques « essais », à l’emprise forte d’un Kandinsky qui élabore au même moment sa théorie de l’art avec Du spirituel dans l’art.
Il revient à l’exposition de revenir sur le rôle, occulté par le passé, de Gabriele Münter dans les avant-gardes allemandes et en particulier dans le Cavalier bleu, et de faire émerger, comme précédemment pour le Musée, avec les rétrospectives consacrées à Sonia Terk-Delaunay, Paula Modersohn-Becker et Anna-Eva Bergman, le rôle qu’ont joué les femmes dans les révolutions de l’art moderne.
Il reste enfin à souligner l’intérêt de cette peinture pour ce qu’elle apporte de force et de plaisir.
Gabriele Münter – Peindre sans détours
S Commissaires Isabelle Jansen, directrice et conservatrice de la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich, Hélène Leroy, conservatrice en chef, responsable des collections, Musée d’Art Moderne de Paris S Scénographe Cécile Degos S Organisation Musée d’Art moderne de Paris, Paris Musées, en coopération avec la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner, Munich, et la Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau, Munich S Prêts Centre Pompidou - Musée national d’Art moderne, musées allemands et étrangers et collections particulières S Coproduction musée national Thyssen-Bornemisza, Madrid S Avec le soutien de Würth
Musée d’Art Moderne de Paris - 11 Avenue du Président Wilson 75116 Paris
Tél. 01 53 67 40 00 www.mam.paris.fr
Du 4 avril au 24 août 2025. Mar.-dim. 10h-18h. Nocturne jeu. jusqu'à 21h30