5 Mai 2025
Faire cohabiter Marie-Antoinette et l’époque prérévolutionnaire tout en galéjant en mode farcesque sur la société d’aujourd’hui est une entreprise risquée, diversement appréciée d’ailleurs par le public…
Il est de bon ton aujourd’hui d’afficher une impertinence à l’égard de l’héritage du passé tout en pratiquant une vision fragmentée du sujet qu’on traite. C’est le parti pris de Nicole Genovese pour l’écriture et de Claude Vanessa pour la mise en scène, pour le Rêve et la plainte. On y découvre une reine Marie-Antoinette plus préoccupée de l’aménagement de sa cuisine que des affaires de l’État et son royal époux plus-falot-tu-meurs en homme de cour bien propre sur lui, en train d’aligner des banalités à pleurer avec leurs amis dont le programme nous dit qu’il s’agit du comte d’Artois et de la princesse de Lamballe tandis que le comte Alexandre de Tilly sert à boire en assurant un accompagnement musical baroque – de manière fort intéressante d’ailleurs – en chantant et en s’accompagnant et jouant de la viole de gambe.
« Brèves de boudoirs »
Marie-Antoinette et la princesse de Lamballe ont le visage figé dans un rictus de sourire qui souligne le faux-semblant des relations sociales de ces personnages confits en platitudes. Les dames, en robes à panier et perruques gonflées devisent, une tasse de thé à la main. L’accent du Midi ostensiblement prononcé de la reine épice une salade niçoise de texte où il est question de coworking, de profil Facebook, en même temps que du grand chic d’une cuisine Mobalpa ou de l’argent qui gouverne le monde.
Ils seront rejoints, dans leur entreprise de démantèlement des poncifs, clichés et platitudes, par un couple bien de chez nous de beaufs méridionaux, en costumes contemporains, un anachronisme de plus, au cas où cela nous aurait échappé, qui relie le temps des « Lumières » et l’époque contemporaine, faisant la part belle à notre société de consommation et à ses slogans publicitaires en même temps qu’ils véhiculent des truismes et lieux communs franchouillards aux senteurs délétères.
Le petit théâtre du monde
C’est sur un petit théâtre, un théâtre dans le théâtre installé sur la scène, que ces personnages s’installent. Comme au temps du théâtre de tréteaux, des toiles peintes aux couleurs fraîches installent les décors : le salon où l’on cause, la cuisine, objet de toutes les attentions, où l’on mitonne ces plats de langage au goût réjouissant mais quelque peu acide, le jardin où l’on s’installe pour un pique-nique où les discussions sur la pluie et le beau temps s’assortissent de contenus sur la monarchie en bout de course, à l’instar de la Ve République. Francisco Mañalich, le sourire ambigu, délaisse sa viole de gambe pour faire tomber, l’un après l’autre, les décors d’opérette dans lesquels évoluent les personnages, actant l’artificialité et le démantèlement progressif qui frappe la société.
Absurdité, quand tu nous tiens…
Pris séparément, chacun des ingrédients de cette soupe à la grimace épicée de drôlerie révèle sa pertinence dans l’impertinence. Cela n’empêche pas que trop c’est trop et que l’accumulation de non-sens enchaînés les uns aux autres pour démontrer l’absurdité de notre monde finit par s’user et lasser. Au bout d’un certain temps, l’effet fait long feu et le principe fatigue. Le procédé, une fois développé, perd de son charme, et les charges contre les comportements bobos, pour drôles qu’elles sont, n’y changent rien.
On sombre dans une pochade estudiantine sans surprise qu’on pourrait prolonger ad vitam aeternam et la présence de la musique et du décor font figure de verrue dans un spectacle qui s’apparente plus à des numéros de chansonniers qu’au théâtre. Si la formule enchante une partie du public, elle laisse les autres dubitatifs et surtout sur leur faim devant ce brillant mais un peu vide « much ado about nothing » (beaucoup de bruit pour rien).
Le Rêve et la plainte. Texte de Nicole Genovese (éd. de la Librairie Théâtrale)
S Mise en scène Claude Vanessa S Avec Solal Bouloudnine (Fred), en alternance avec Raouf Raïs, Sébastien Chassagne (le comte d’Artois), Nicole Genovese (Déborah), Robert Bogdan Hatisi (Louis XVI), Francisco Mañalich (le comte Alexandre de Tilly), Nabila Mekkid (Marie-Antoinette), Angélique Zaini (la princesse de Lamballe) S Musique Francisco Mañalich Collaboration artistique Adrienne Winling S Son Émile Wacquiez S Lumières, régie générale Pierre Daubigny S Costumes Julie Dhomps S Scénographie Nicole Genovese et Pierre Daubigny avec le conseil d’Antoine Fontaine et Émilie Roy S Construction Eclectik Sceno S Peintures Lùlù Zhang S Régie Laurent Cupif, Wilhelm Garcia-Messant S Production Association Claude Vanessa S Coproduction Châteauvallon Liberté – scène nationale, le Théâtre de Lorient – CDN, Le Trident – scène nationale de Cherbourg, le Théâtre Sorano – scène conventionnée de Toulouse, le Tangram – scène nationale Evreux-Louviers, Le Parvis – scène nationale de Tarbes Pyrénées ; avec le soutien de la DRAC Ile-de-France, du Fonds SACD Théâtre et Musique de scène, de l’Adami, du Théâtre 13 pour l’accueil en résidence, de la Ciamada Nissarda pour le prêt de costumes S Coréalisation Théâtre de la Tempête. La compagnie Claude Vanessa est conventionnée par la DRAC Ile-de-France pour les années 2024 et 2025 S Production/diffusion Le Bureau des Écritures Contemporaines Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et soutenu par la ville de Paris S Remerciements particuliers Jérémie, Sylvie et Dominique Dubois, Pascaline Peretti et à Mathieu Loez S La chemise portée par le page est un modèle unique du costume du pêcheur de la Ciamada Nissarda, datant de 1925 S Durée 1h30
Du 2 au 25 mai 2025, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h
La Tempête - Cartoucherie route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris
T. 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr