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Arts-chipels.fr

Des milliers de baisers. Mozart tel qu’en lui-même ou presque…

Phot. © DR

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Un comédien et un musicien accompagnent Mozart dans les tribulations de sa correspondance et de sa musique. Un moment délicieux, plein d’allant et d’humour.

Le minimalisme est de mise dans cette évocation de Mozart qui part de sa correspondance. Sur la scène, un tapis, pour dire la fonction d’accueil, d’invitation presque à la maison, un clavier électronique, qui nous conduira du son du piano forte à celui de l’orgue, et deux chaises. Un peu en arrière, un autre espace du « dire ».

Ils entrent en scène et l’on est tout de suite séduit par la complicité manifeste de l’échange entre Sylvain Levitte, par ailleurs talentueux Caliban dans Tempest Project, qui se joue au même moment aux Bouffes du Nord, et Franck Krawczyk, pianiste et compositeur qui aime à se frotter aux autres arts – les arts plastiques avec Christian Boltanski et Jean Kalman, le théâtre avec Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, la danse avec Emio Greco et Pieter C. Scholten.

Au menu, une évocation de Mozart, un compositeur que le Centre International de Créations théâtrales a déjà fréquenté avec Une Flûte enchantée d’après Mozart et Schikaneder et une improvisation « magique » avec Franck Krawczyk dans une banlieue de Santiago-du-Chili.

Des milliers de baisers. Une autre approche de Mozart

C’est en partant de la correspondance de Mozart que le spectacle est élaboré. On y retrouve les lettres, infiniment respectueuses mais cependant rebelles à son père, en particulier lorsqu’il prend la décision de se marier avec Constance sans attendre le consentement de celui-ci, celles qu’il adresse à ses amis pour leur parler de ses succès – les Noces de Figaro que le Tout-Vienne fredonne ou la Flûte enchantée, grand opéra populaire et surtout en allemand, où toutes les classes de la société se pressent et se mélangent – mais aussi à ses camarades de loge quand, poussé par Schikaneder, il entre en maçonnerie.

Mais le parcours que propose le spectacle est aussi plus intime. C’est le moment où le compositeur « se lâche » dans sa correspondance. Qu’il écrive à sa cousine ou à Constance Weber devenue son épouse – c’est d’Aloïsia qu’il est d’abord amoureux mais se rabattre sur sa sœur Constance, ni « laide » ni « belle », « pas dépensière », « femme honnête et bien-pensante » lui paraît un parti tout à fait acceptable et de bonne tenue – et c’est un autre Mozart qui se révèle, fantasque, plein d’humour, et même volontiers facétieux, jouant avec la langue, lui qui ne se prétend bon qu’à une seule chose, faire de la musique. À sa cousine, il recommande en conclusion : « Pétez au lit et que ça claque ». Quant à Constance, il l’affuble de qualificatifs et d’épithètes cocasses – « coquine, petit pétard, nez pointu, petite souris », joue avec les allitérations, laisse son imagination débridée inventer des mots.

Parole et musique

On découvre un Mozart joueur, primesautier, farceur qui nous remet en mémoire le sentiment de jubilation musicale qui saisit à l’écoute de son œuvre. Franck Krawczyk le fait parfaitement passer au piano lorsqu’il accompagne les élucubrations littéraires du jeune prodige musical, qui constate lui-même qu’il perd ce statut et doit acquérir celui de compositeur. Le musicien brode sur les motifs des Noces ou de la Flûte et le spectacle fait correspondre, comme dans la réalité, la création de la Petite musique de nuit avec la mort de Léopold Mozart, le père du compositeur.

Au-delà des anecdotes savoureuses et du jeune homme plein de vie que ses lettres dépeignent, on retrouve le Mozart compositeur. On le voit à Leipzig découvrir avec admiration les partitions de Bach, dont Franck Krawczyk livre un écho, et les jouer à l’orgue, au point qu’un paroissien s’exclame : « Le maître est revenu ! »

Celui qui ne se voyait ni poète, ni peintre, ni danseur est conscient que lui revient le don du son qui l’habite en tout temps, en tous lieux et dans toutes les situations, ce pour quoi il ne se sépare jamais d’un papier et d’un crayon. Dans le portrait fait de lui – un premier portrait, physique, avait été dressé au début du spectacle d’après les écrits de Constance –, la reconnaissance de Haydn vaut pour lui tous les viatiques et la commande du Requiem lui apparaîtra comme la marque des trois coups du Destin avant l'entrée en jeu de sa dernière scène.

Il restera surtout de lui l'émotion suscitée par ce qu’il dit de la musique : « Une œuvre sans cœur est un non-sens ». Et la sienne, dans sa diversité prolixe, porte en elle, au-delà de son éblouissante virtuosité, la marque des états d’âme qui ont agité son auteur. Cela passe dans l'échange entre le comédien et le musicien, qui manient l'humour en même temps que la sensibilité. Juste pour dire que la musique de Mozart est belle. Et pas seulement géniale. 

Des milliers de baisers
S D’après la correspondance et  l’œuvre musicale de Wolfgang Amadeus Mozart S Adaptation et mise en scène Marie-Hélène Estienne S Adaptation musicale Franck Krawczyk S Lumières Philippe Vialatte S Costumes Oria Puppo S Avec Sylvain Levitte, Franck Krawczyk (piano) S Remerciements à Joëlle Petrasek S Production Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord S Avec le soutien du Cercle de l’Athénée et des Bouffes du Nord et de sa Fondation abritée à l’Académie des beaux-arts S Durée 1h20

Du 18 au 28 mars 2025, mar., mer., ven. à 19h
Théâtre des Bouffes du Nord - 37 (bis), boulevard de La Chapelle 75010 Paris
Rés. 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

Pour Tempest Project que les Bouffes du Nord proposent aussi, voir notre article https://www.arts-chipels.fr/2025/03/tempest-project.la-tempete-de-shakespeare-comme-leitmotiv.html

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