23 Février 2024
Le spectacle commence devant le rideau encore baissé. Les trois solistes, Julie Roset, Jonas Hacker et Sam Carl nous évoquent par une allégorie la représentation moderne du temps et les quelques 13 milliards d’années qui nous séparent de la création de l’univers. Comme un prologue, comme une façon de rentrer directement dans cette interrogation et cette mise en question de la vision théologique et théorique de la genèse. Et puis pendant l’introduction, le rideau s’ouvre et les choristes habilléEs selon les différentes époques arrivent les uns et les unes après les autres et s’installent sur des gradins. Derrière eux, des murs vidéo encadrent l’estrade sur les côtés, derrière et même au-dessus. Et dès le début de la première partie, avec la création de l’univers et l’apparition de la lumière on peut mesurer toute la magnificence de ce dispositif. Toute l’intelligence de la mise en scène de Kevin Barz est de respecter ce dispositif contraint de l’oratorio pour en faire un spectacle complétement contemporain.
Composée en 1798 par Joseph Haydn à son retour de Londres, la Création reprend la Genèse du livre des Psaumes et du paradis perdu de John Milton, version chrétienne de la création du monde à cette époque. C’est un oratorio et donc composé pour voix solistes, chœur et orchestre, avec parfois un narrateur. Le sujet de l’oratorio est religieux. Il comprend généralement une ouverture, des récitatifs, des airs et des chœurs et à l’origine, il est représenté sans mise en scène, ni costumes, ni décors. L’oratorio est à la croisée de plusieurs genres, cantates, opéra, motet et passion. Joseph Haydn a travaillé sur la Création pendant deux ans comme « un forcené », se rendant même malade pour arriver à le terminer. Mais au final cette œuvre porte magistralement cette adoration chrétienne qui était la sienne et transfigure le sujet avec brio pour dépasser le sujet religieux et en faire un hymne à la beauté du monde. Toute l’ingéniosité de la mise en scène de Kevin Barz est de respecter ce socle austère et relativement statique de l’oratorio tout en lui ajoutant une dimension narrative puissante. On est donc bien dans un Oratorio augmenté comme il se plait à dire.
Un dispositif scénique à la hauteur de l’enjeu annoncé
Kevin Barz nous offre avec cette mise en scène résolument audacieuse, une relecture, une vision contemporaine de cette épopée des origines. Mais il va au-delà et c’est toute l’intelligence de son propos en mettant en parallèle cette version chrétienne avec nos connaissances scientifiques actuelles. Et cette juxtaposition, qui va jusqu’à une confrontation parfois presque brutale des concepts, porte en elle-même une réelle interrogation sur le mystère de nos origines tant d’un point de vue scientifique que religieux. A chaque scène, le décor change en rapport bien sûr avec le propos et nous entraîne dans des dimensions extrêmes, au fin fond de l’univers, au fin fond des mers, dans des vallées verdoyantes, scènes que l’on peut également suivre en 3D dans le métavers.
Kevin Barz aime les défis et surtout il s’interroge sur ce que la technologie peut apporter et transformer de l’héritage du théâtre et de l’Opéra. Pour cette installation il a travaillé avec Johannes Wagner pour la création vidéo, Anika Wieners pour la scènographie et les costumes. Le postulat cette installation est bien d’opposer la genèse biblique à la version scientifique. En fait le dispositif les juxtapose systématiquement et cette seule confrontation suffit à poser toutes les interrogations en regard avec nos connaissances scientifiques. Le challenge est de ne pas tomber dans l’excès, par exemple lorsque le chant annonce la création de l’homme à l’image du créateur on voit apparaître un chimpanzé et ensuite un Néanderthalien. Ce clin d’œil, cette évocation de l’évolutionnisme Darwiniste est en contradiction totale avec les théories bibliques et est simplement posée là, chacun en fait ce qu’il veut. Kevin Barz fait appel ainsi à notre capacité à recevoir et à interroger ces textes et ces légendes et le dialogue que nous pouvons avoir avec eux aujourd’hui. Les écrans vidéo très présents sur tout le fond de scène jouent avec nos sens et nous interpellent inévitablement. Le chœur et les solistes sur le devant de la scène incarnent le côté irrationnel des choses et les écrans en fond de scène ou autour du chœur représentent l’aspect rationnel de notre représentation du monde. On est bien dans ce perpétuel duel de l’irrationnelle crédulité de la foi comparée à la logique implacable de la science. Kevin Barz va jusqu’à proclamer l’avènement d’un nouveau monde créé par l’humanité elle-même et ce, grâce à ses progrès scientifiques et culturels, et qui nous entraine vers un futur peuplé de créatures androïdes et d’intelligence artificielle.
Matthieu Dussouillez, Directeur général de l’Opéra de Lorraine, pose bien le contexte de cette confrontation présente dans notre société, avec les théories créationnistes et platistes qui nient les évidences scientifiques et qui depuis le Covid ont paradoxalement, augmenté leur nombre d’adeptes et leur audience. Oui, il existe encore au 21eme siècle des personnes qui imaginent des scénarios qui se rapprochent des théories de la genèse du 18eme siècle et qui nient les apports et les avancées scientifiques sur le sujet. Et donc oui cette comparaison systématique nous étonne encore et encore car si la science a fait cet incroyable bond en avant depuis deux siècles, toute l’humanité n’y pas encore accès
Les interprètes, excellence et sensibilité.
L’œuvre de Haydn reflète la beauté et la magnificence « d’une œuvre consacrée à la gloire du « créateur» et à la beauté du monde. Il y met tout l’amour et la joie de sa foi et souhaite nous la transmettre. L’exécution de la partition par l’orchestre de l’Opéra de Loraine dirigée par Marta Gardolińska est magnifique, sensible et délicate. Marta Gardolińska est directrice musicale de l’Opéra national de Lorraine et figure parmi les cheffes d’orchestre les plus prometteuses. Elle a été nommée première cheffe invitée de l’Orquestra Simfònica de Barcelone à compter de la saison 2022-2023. Elle parle de son rôle qui en tant que musicienne est de transmettre la partition ainsi : « quand une pièce est aussi claire et forte, c’est facile. Les sentiments de joie d’être en vie, d’amour envers notre planète, les animaux, les plantes, les levers et les couchers de soleil, le divin, quel que soit le sens que nous donnons à ce mot, découle directement de la partition. »
Également il faut souligner l’interprétation des trois solistes présents tout le long des deux heures du spectacle. J’avoue avoir une préférence pour la performance de Julie Roset, soprano et Sam Carl, baryton-basse qui m’ont profondément émue. Mais il faut souligner que la partition les avantage particulièrement et leurs deux voix tout le long de ce concert se mêlent et s’harmonisent parfaitement bien sûr sans renier la performance de Jonas Hacker, ténor. Un bravo également pour la prouesse du Chœur qui a chanté assis sur les gradins une bonne partie de la représentation tout en gardant l’intensité vocale nécessaire.
Et en conclusion je citerai Schopenhauer, avec cette sentence : les religions sont comme les verts luisants pour briller il leur faut l’obscurité. Avec cette interprétation de la Création nous avons assisté à une belle et ample levée de l’obscurité pour célébrer ensemble la beauté du monde. Magnifique !
Distribution
Date(s) : du 18 février 2024 au 23 février 2024
Horaire(s) : Le dimanche 18 février à 15h le mardi 20, jeudi 22 et vendredi 23 à 20h
Livret : Gottfried van Swieten
Musique : Joseph Haydn
Orchestre et Choeur de : l’Opéra national de Lorraine
Direction musicale : Marta Gardolińska
Chef de choeur : Guillaume Fauchère
Mise en scène : Kevin Barz
Scénographie et costumes : Anika Wieners
Vidéo : Johannes Wagner
Distribution : Julie Roset, Jonas Hacker, Sam Carl
Nouvelle production : Opéra national de Lorraine
Coproduction : Théâtre des Champs-Élysées
Durée : 2h00 sans entracte
Langue : allemand, surtitré
Du 18 au 23 février à L'Opéra de Lorraine / Nancy.