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Arts-chipels.fr

Ce qu’il faut dire. Comprendre ce que recouvre le terme de « colonisation » pour enfin en sortir et entrer dans une utopie post-occidentale et post-coloniale.

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Comment s’exprime aujourd’hui encore la colonisation ? Que faire sa survivance et comment la traiter ? À l’heure ou se développe la pensée « woke », comment sortir d’une impasse marquée par le déchirement antagonique qui dresse les uns contre les autres colonisés et colonisateurs ?

Léonora Miano a fait des répercussions du colonialisme un cheval de bataille privilégié. Cette autrice franco-camerounaise d’expression française, qui vit aujourd’hui au Togo, prix Femina en 2013 pour la Saison de l’ombre qui raconte les débuts de la traite des noirs, n’a cessé de creuser dans le passé pour retourner aux sources de la colonisation et interroger ce qui se masque derrière ce terme. Dans le même temps, tournant le dos à une tendance qui oppose, au nom d’une « décolonisation » des esprits, une certaine conscience « noire » qui répondrait à l’exclusion pratiquée par les Européens et les Occidentaux par une exclusion en retour, elle réfute la notion de « négritude » et met en avant d’autres voies possibles. Ce qu’il faut dire synthétise, dans un langage poétique, la position de l’autrice.

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Trois articulations, comme trois étapes d’une réflexion en mouvement

Trois tableaux composent le parcours de l’autrice. « La question blanche » dresse l’état des lieux d’un système qui a établi son assise sur une classification des couleurs de peau et groupé sous l’appellation « noir » les origines et les cultures les plus diverses, avant que ne survienne une repentance tout aussi coupable dans la différenciation qu’elle reprend à son compte en l’inversant. « Le fond des choses » ancre la colonisation dans l’histoire en interrogeant l’immigration et les points de vue qu’on peut avoir sur elle, selon qu’on se place du point de vue des Européens débarquant en Amérique ou des « Africains » débarquant en Europe – immigration « non désirée », comme si l’autre était attendue et souhaitable – mais aussi du distinguo entre l’« immigration » sur le continent américain et la « colonisation » sur le continent africain. Ce deuxième tableau se penche sur le nom d’« Afrique », donné à un continent qui ne se définissait pas ainsi et au glissement de ce qu’il recouvre en séparant le Maghreb des régions subsahariennes. En guise de conclusion, « La fin des fins » imagine, sous la forme d’une utopie, un monde où anciens dominés, relevant la tête et fiers de leurs origines, et héritiers des dominateurs trouveraient dans la fraternité une voie commune. Un chemin escarpé car comment faire quand « les héros des uns sont les bourreaux des autres » ?

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Une définition ouverte du terme woke

La troisième partie fait explicitement référence à la fraction « positive » du mouvement woke qui marque une sensibilité aux thèmes tels que la justice sociale et l’égalité raciale. Le mouvement regroupe des sensibilités aussi diverses que Black Lives Matter, ou, au-delà de ses origines afro-américaines, le féminisme des MeToo ou le soutien aux droits LGBT. Un pot-pourri qui, dans certains cas, sous prétexte de « moralisation » nécessaire, porte atteinte à la liberté d’expression, notamment via la cancel culture. Léonora Miano, si elle veut éviter l’« appropriation culturelle » de son œuvre par un Occidental, en faisant mettre en scène, par exemple, Révélation, le premier volet de sa trilogie sur l’esclavage, par un metteur en scène japonais, Satoshi Miyagi, n’en pratique pas moins, dans son œuvre, un syncrétisme « afropéen » qui pourrait constituer un renouvellement pour la culture européenne. « Ne t’arrête pas au décompte des morts », déclare l’autrice dont la rythmique littéraire se rapproche du jazz, qui plaide pour un dialogue qui ne passerait plus par une globalité africaine mais par la reconnaissance de toutes spécificités et où l’on en serait « nulle part hors sol ».

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Une mise en scène éclairante

Les trois textes qui composent ce parcours sont présentés sur un plateau nu par une comédienne, noire, Karine Pedurand, originaire de Guadeloupe, et une musicienne et bruitiste « blanche », Triinu Timmsalu, née en Estonie. Elles offrent, par leur association, un raccourci de la position de l’autrice quant aux relations entre « races » et à leur fraternité nécessaire pour que les choses bougent. Occupant à tour de rôle une place centrale dans l’espace scénique, elles viennent dire que ce n’est pas en rapports de force que s’instaure une relation, mais dans un dialogue et dans un respect mutuel. La musique, minimaliste, tantôt composée de discrets frottements amplifiés sur les cordes d’une guitare électrifiée, tantôt plus présente avec une ligne mélodique en accords plus marqués, instaure avec la parole un dialogue qui les mettra au même niveau dans la troisième partie, ajoutant une interprétation musicale, inédite pour l’instrument, à l’archet.

Texte à entendre, Ce qu’il faut dire se décline en deux versions : la première, longue, comporte trois parties, la seconde, destinée à tourner dans des lieux non théâtraux – établissements scolaires, centres sociaux, etc. – ne comprend que le premier et le troisième tableau. Si la douleur de l’iniquité imposée par les puissances occidentales marque chaque pas de l’avancée du texte, celui-ci n’en porte pas moins un vibrant appel à faire changer les choses. En faisant table rase des codifications héritées et en inventant de nouveaux rapports.

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Ce qu’il faut dire de Léonora Miano (L’Arche éditeur, coll. « Les écrits pour la parole »)

S Avec Karine Pedurand, Triinu Timmsalu S Mise en scène Catherine Vrignaud Cohen S Collaboration artistique Huma Rosentalski S Chorégraphe Corinne Chachay S Costumes Sandra tierrebi S Régisseur général Fabien Vaudroy S Régisseur son Christophe Jacques S Production Compagnie Empreinte(s) S Coproduction Ville de Saint Quentin, département de l’Aisne, Région Hauts de France, Théâtre des sources, Spedidam S Création février 2024 S 1 texte, 2 formes (hors les murs et plateau) S Durée 45 min & 1h20

Du mercredi 21 février au dimanche 10 mars 2024, les mer. et ven. à 21h, les dim. à 18h

Théâtre de la Reine blanche – 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris www.reineblanche.com

Du 14 au 15 avril 2024 – 14h15 & 20h, La scène Europe, Saint Quentin (02)

Du 3 au 21 juillet 2024 – 11h, Théâtre Avignon-Reine Blanche (84)

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