14 Décembre 2023
Farce écolo ou opéra rock, le style déjanté – soigneusement agencé et bien encadré – préside à ce divertissement clownesque sur le devenir tragique de l’humanité.
Les 26000 couverts sont à leur affaire dans le théâtre de rue. Forcer le trait est donc pour eux une seconde nature et l’on n’est pas surpris de voir les Alpes françaises ouvrir le bal dans une version folklorique avec costumes à l’avenant sur un décor peint de montagne où les verts sapins sont accrochés au dos d’un comédien style homme-sandwich qui fait immédiatement remonter à la surface le temps où on faisait de la « réclame ». Une vision de paradis montagnard digne de l’Auberge du Cheval blanc où l’on pousse la chansonnette – d’opérette, naturellement. Puis changement de décor. Nos joyeux drilles disparaissent. Place à la science-fiction où des êtres du futur venus de l’espace vont, dans un paysage de forêt au bord de la mer, débarquer sur une planète insolite, la Terre, dont l’air est, finalement, redevenu respirable.
Une fable écolo sur le mode burlesque
Nos explorateurs de l’espace posent un pied précautionneux sur le sol de cette drôle de boule dont ils découvriront bientôt que leurs ancêtres sont issus. Un monde où Dieu, sous la forme d’un Intra à l’état de grosse larve en fauteuil roulant, a décidé d’éradiquer l’espèce humaine, coupable d’avoir pollué la planète, épuisé les ressources et dansé sans vergogne sur les incendies allumés. Mais on est toujours rattrapé par ses pulsions. Amoureux d’une femme de chair et d’os, ce dieu exterminateur et pas fini n’avait laissé des humains qu’une survivante, engrossée sans le savoir, dont les relations incestueuses avec ses enfants et des enfants entre eux – rappelés avec malice – avaient recréé une espèce humaine, d’une consanguinité synonyme de tare, bien sûr aussi « pire » que la précédente. Donc à anéantir à nouveau, CQFD.
Le détournement des poncifs de la comédie musicale
Tous les moyens sont bons pour raconter cette histoire. Chanteurs d’occasion dont la voix se tord et grince pour certains, danseurs au petit pied engagés dans une chorégraphie cocasse et volontairement imparfaite, musiciens lancés, en direct, à grands coups de poussées des cuivres, d’accords de guitare, de percussions et de synthétiseur dans une aventure musicale qui croise l’opérette et le rock, le jazz et le slam, ils créent, avec des matériaux impropres, une comédie musicale bricolée, postmoderne et kitsch, qui décale les « modèles ». Les ficelles sont grosses, très grosses, les procédés ont une taille de camions, les couleurs sont dignes d’une BD moyenâgeuse resplendissante de la fraîcheur des pigments employés, héritières des camaïeux lumineux d’un film chinois de propagande au temps de la révolution culturelle, ou d’un Bollywood indien qui se serait égaré dans la dystopie.
Sociétalement « incorrect »
L’atmosphère est donc à la satire, à l’irrespect, au ravageur. Et dans ce monde complètement barré où chacun en prend pour son grade et où nul ne tire son épingle du jeu, le reste est à l’avenant. Les hommes sont en couple dont l’un est ventre gros pour une paternité sans femme tandis qu’une femme-robot se prend d’amour pour une femme-cage d’ascenseur. Le texte, versifié of course, s’aventure sur les rives de la trivialité rabelaisienne, de la grosse artillerie scato et du libidinal, et la pub – plus c’est tarte et mieux c’est – nous balade sur les voies lactées du fromage, en petits cubes ou en portions maousses, à la suite de l’éternel sourire d’une ruminante bien connue. Il n’y a pas d’excuse possible pour cette humanité qui toilette les caniches en même temps qu’elle bricole des bombes atomiques et crée Auschwitz.
Du divertissement avant toute chose…
Dans cette parodie sans parangonnage qui papillonne, papote et palabre sur un monde pipeauté, pigeonné, perfusé, le pastiche et la paraphrase qui ne passent pas de pommade perpètrent des plaisanteries à plomber l’atmosphère. Il y a quelque chose de la déraison des Marx Brothers commandant leur dîner, planqués à quinze dans une minuscule cabine de bateau, dans Une nuit à l’Opéra. On est dans l’univers du divertissement où l’on se pocharde sans vergogne en patouillant une pâtisserie abondamment peinturlurée. Mais ne pignochons pas plus avant : si dans ce monde-là, on se dérouille les zygomatiques, on sort aussi de là en se disant « So what ? » d’avoir trop enfoncé de portes ouvertes…
Chamonix Un spectacle de 26000 couverts
S Mise en scène Philippe Nicolle S Écriture Philippe Nicolle et Gabor Rassov S Création musicale Aymeric Descharrières, Erwan Laurent, Christophe Arnulf, Anthony Dascola S Avec Kamel Abdessadok, Christophe Arnulf, Aymeric Descharrières, Olivier Dureuil, Patrick Girot, Erwan Laurent, Clara Marchina, Florence Nicolle, Philippe Nicolle ou Gabor Rassov, Ingrid Strelkoff Son Anthony Dascola et Aude Petiard S Lumières Paul Deschamps assisté de Béranger Thiery S Régie plateau Laurence Rossignol et Christophe Pierron S Chorégraphies Laurent Falguieras S Scénographie, construction et accessoires Patrick Girot, Julien Lett, Michel Mugnier, Laurence Rossignol avec l’aide de Sophie Deck, Marek Guillemeney, Zazie Passajou S Costumes Camille Perreau et Sara Sandqvist S Marionnette Carole Allemand S Régie générale et plateau Patrick Girot S Maquillage et coiffure Pascal Jehan S Assistanat à la mise en scène Sarah Douhaire et Lise Le Joncour S Direction technique Daniel Scalliet S Coordination compagnie Lise Le Joncour S Administration Marion Godey S Production Claire Lacroix S Diffusion Drôles de Dames - Noëlle Géranton, Christine Huet S Production 26000 couverts S Coproduction Les Tombées de la Nuit et l’Opéra (Rennes), Théâtre Dijon Bourgogne – Centre dramatique national, Espace des Arts – Scène nationale Chalon-sur-Saône, Points Communs – Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise, Le Parvis – Scène nationale Tarbes Pyrénées, Les Quinconces et l’Espal – Scène nationale (Le Mans), Centre dramatique national de Normandie Rouen, Théâtre Molière Sète – Scène nationale Archipel de Thau, Théâtre de Corbeil-Essonnes / Grand Paris, Opéra de Dijon, Furies (Châlons-en-Champagne), La Passerelle – Scène nationale de Gap Alpes du Sud, Théâtre Edwige Feuillère – Scène conventionnée Voix d’enfants (Vesoul), Théâtres en Dracénie – Scène conventionnée Art et Création Danse (Draguignan) S Avec le soutien de la DGCA ministère de la Culture, la DRAC Bourgogne- Franche- Comté, la Ville de Dijon, la Région Bourgogne-Franche-Comté, la SPEDIDAM, la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon Centre national des écritures du spectacle, la Cité de la Voix (Vézelay, Bourgogne- Franche-Comté) et la Maison Copeau (Pernand-Vergelesses) S Aide à la diffusion Spedidam et Ville de Paris S Créé le 11-12 novembre 2022 au CDN de Normandie - Rouen puis en tournée en 2023 S Durée 2h
Du 8 au 31 décembre 2023, mar.-ven. 20h30 (sf 26 & 28/12), sam. 19h30, dim. 10 & 17/12, 15h, 31/12, 18h30
Théâtre du Rond-Point - 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris
Rés. T. 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr
TOURNÉE
12 et 13 janvier 2024 Points Communs — Scène Nationale Cergy-Pontoise (95)
19 et 20 janvier 2024 TAM — Rueil-Malmaison (92)
1er et 2 février 2024 MARS — Mons (Belgique)