27 Septembre 2023
Dans ce spectacle déjanté qui mêle à rythme endiablé nostalgie pop et réflexions sur l’immortalité, jeu de massacre façon grand-guignol et nuit des morts-vivants, Michael Jackson, qui chante et danse, joue à la poupée entre fans et opinion publique.
C’est par une porte de cabaret que le public est invité à entrer. Au premier plan, un être fatigué repasse invariablement avec un air d’ennui le même col de chemise. Un musicien risque quelques notes au-dessus d’une forêt d’écrans où nagent négligemment des poissons d’aquarium. Sur un sofa deux silhouettes sont affalées, immobiles, tels deux pantins désarticulés. On pourrait se croire projeté dans un monde d’où les vivants ont disparu. Il ne manque que la petite étincelle, le douzième coup de minuit pour que se mettent en branle les personnages. C’est justement ce qui va se produire.
Quand Michael Jackson rencontre Britney Spears.
Michael Jackson est mort. Depuis quatorze ans. Et la scène qui remonte à la surface est celle de la célébration de ses 30 ans de carrière. Ce soir-là, il a invité une petite jeunette de vingt ans à chanter : Britney Spears qui apparaît, dans sa petite robe verte, perchée sur des talons interminables. Ce sont eux qui gisaient comme marionnettes sur le sofa. La star incontestée du pop, le King, rencontre la petite dernière grimpée en haut de l’échelle de manière aussi soudaine que vertigineuse. Ensemble, ils vont chanter The Way You Make Me Feel dans une union factice autant qu’éphémère. Deux personnalités aussi opposées qu’on peut l’être. Ce qu’ils ont en commun ? Derrière le clinquant se cachent des blessures, des abîmes que l’ivresse de substances, le pouvoir hypnotique des sunlights, les hurlements convulsifs des fans ne parviennent pas à masquer.
Morts vivants ou vivants déjà morts ?
Ils ont beau se démener, jouer de tous leurs artifices, dans la provocation sexy de plus en plus accentuée pour Britney, dans les déplacements glissés du moonwalk ou du sidewalk qui produisent, chez Michael, cette impression de flotter, dans la manière du chanteur de transformer chaque fois en plus clair, en plus blanc, arguant de son vitiligo, une dépigmentation de la peau qu’il accentue en usant de produits blanchissants ou se faisant sculpter un nez dont tout épatement a été exclus, ils n’en sont pas moins morts à force de vouloir ressembler à ce qu’ils ne sont pas, de se conformer à ce qu’on attend d’eux ou de chercher le moyen de s’échapper d’eux-mêmes. Et ça les tracasse…
Un procès en immortalité
Deux personnages vont se dresser face à ces deux images : l’Opinion publique et le Fan. La première en procureur général, s’érige en justicière qui fait état des scandales qui ont terni la carrière des deux chanteurs. Michael pour des affaires de pédophilie, sa maison transformée en parc d’attractions pour enfants invités à venir y « jouer ». Britney pour ses chansons provocatrices à caractère sexuel, ses séjours psychiatriques et la mise sous tutelle dont elle cherche à s’extraire. Émergent le passé des deux chanteurs et les maltraitances dont ils ont été les objets. Mais Opinion publique a la dent dure. Le passé ne peut en aucun cas justifier les fautes du présent. La seule issue, c’est l’oubli. C’est alors que le Fan se dresse. Son antienne : le bonheur que lui ont procuré les artistes, qu’il va plaider avec un enthousiasme communicatif.
En rythme et en chansons
Ce propos qui pourrait apparaître quelque peu rabat-joie est servi par une pléiade d’acteurs aussi formidables les uns que les autres. Danseurs – Pierre Lefebvre-Adrien récupère à merveille la gestuelle de Michael Jackson tandis que Mathilde Auneveux se tord les pieds dans ses chaussures trop hautes –, chanteurs convaincants accompagnés d’excellents musiciens, ils nous replongent dans des airs que nous avons tous, peu ou prou, fredonnés. Les autres personnages sont à la hauteur dans les convictions qu’ils manifestent avec une vitalité cocasse. La mise en scène est réglée au petit poil, les effets de surprise réussis, le rythme entraînant. On est dans le décalage et dans l’humour et la qualité est au rendez-vous, même si parfois un certain flottement du texte, par trop téléphoné, s’enfonce dans des digressions qu’on aimerait plus courtes.
Se survivre, disent-ils
À travers ce procès aux allures grand-guignolesques, on s’amuse beaucoup de cette préoccupation de se survivre à travers ce qu’on laisse. Car l’angoisse de l’artiste est là, tapie derrière l’image vide qui lui colle à la peau et dont il voudrait qu’elle le magnifie. Fallait-il pour autant inviter à participer à cette quête de l’immortalité un autre mort célèbre, le Crucifié, dont la mémoire ne cesse de hanter le présent ? Rien n’est moins sûr. Le reste se suffisait à lui-même pour étayer dans la joie et le rire la question de l’après. À force de grossir le trait, les ficelles, sous les sunlights, deviennent des cordes, de celles dont on fait les nœuds de chanvre des pendus. C’est dommage. Mais le public, lui, aime. N’est-ce pas l’essentiel pour des stars du showbizz ?
Autopsie mondiale
S Texte Emmanuelle Bayamack-Tam S Mise en scène Clément Poirée S Avec Mathilde Auneveux (Britney), François Chary (Fan), Louise Coldefy (Opinion Mondiale), Sylvain Dufour (musicien), Stéphanie Gibert (musicienne), Pierre Lefebvre-Adrien (Michael) S Collaboration à la mise en scène Pauline Labib-Lamour S Scénographie, accessoires Erwan Creff assisté de Caroline Aouin S Lumières Guillaume Tesson assisté de Lison Foulou S Costumes Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy S Musique, son Stéphanie Gibert assistée de Farid Laroussi S Maquillage Pauline Bry-Martin S Vidéo Édith Biscaro S Images Fanchon Bilbille S Chorégraphie Sylvain Dufour S Régie générale Boris Van Overtveldt S Travail vocal Marine Langignon-Ritmanic S Habillage Émilie Lechevalier, Solène Truong S Construction décor Théo Jouffray, Victor Veyron S Production Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture S Coproduction avec le Théâtre des Ilets – CDN de Montluçon – région Auvergne-Rhône-Alpes, La Maison/Nevers – scène conventionnée art en territoire, La Manekine – scène intermédiaire des Hauts de France, la Comédie de Picardie ; avec le soutien du dispositif d’insertion de l’École du Nord S Le Théâtre de la Tempête est subventionné par le ministère de la Culture, la région Ile-de-France et soutenu de la ville de Paris S Durée 2h
Du 15 sept. au 22 oct. 2023, du mardi au samedi 20h, dimanche 16h
Théâtre de la Tempête - Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris
www.la-tempete.fr T 01 43 28 36 36 rp@la-tempete.fr