3 Avril 2022
Ce spectacle perturbant, qui mélange les genres et les techniques, offre, à travers une évocation d’une vie de femme, une troublante exploration, entre vérité et fantasme, raison et démence, où présent et passé se mêlent.
Une femme est allongée dans un décor blanc et aseptisé. Une chambre, d’hôpital peut-être. Un lit à une place, une chaise, une petite table sans personnalité. Elle remue dans son sommeil. Des souvenirs remontent à la surface. Bientôt une caméra s’approchera d’elle pour nous livrer en gros plan, sur un écran en fond de scène, les expressions de son visage, ses mains qu’elle triture convulsivement, ses pieds qui se tordent. Sur l’écran alternent des séquences filmées en live et des images noir et blanc. On y voit apparaître un homme, qui sourit, un enfant, et des images floues comme si le souvenir restait vague, imprécis…
Scènes de la vie d’une femme
Au fil de ces discontinuités se dessine une histoire. Elle s’appelle Viviane Élisabeth Fauville. Elle a quarante ans, un enfant. Elle est responsable de la communication dans une entreprise de béton. Son mari, ingénieur, a mis fin à « deux ans d’horreur conjugale ». Dans son entreprise, une jeune femme l'a remplacée durant son congé de maternité. Plus jeune, plus réactive. À son retour, voilà Viviane gentiment poussée vers la mise à l’écart ou la sortie. Déprime, post-partum peut-être, dévastation d’un être parce que trop c’est trop, et cet enfant dont elle ne sait pas si elle l’aime. Alors elle décide de se faire aider. Et un beau jour, elle se retrouve le couteau à la main, devant le cadavre de son psychanalyste. Pourquoi ? Comment en est-elle arrivée là ? Le polar est en place…
Entre film et théâtre, images du dédoublement
Qu’il s’agisse du présent – cette femme enfermée qui se retourne sur son passé, dit son mal-être, son angoisse –, ou du passé qui remonte à travers les séquences noir et blanc projetées sur l’écran, ce qui nous est montré, c’est l’espace mental de cette femme qui rassemble les bribes de ses souvenirs pour reformer l’histoire, mêle interrogatoires de police et errances dans la ville, revient sur ses propres traces, donne sa version des faits. Peu à peu, on glisse dans un univers où on ne peut plus distinguer la vérité du fantasme, séparer la réalité de la fiction, faire le partage entre raison et folie. Marie Denarnaud, avec une concentration douloureuse et obstinée et une économie de gestes remarquable, matérialise la douleur de cette femme et cette reconquête de soi que tente le personnage pour comprendre les raisons de l’acte homicide qui l’a conduite à se retrouver ensanglantée et vide près du cadavre. Et lorsque survient le coup de théâtre final, l’image qui est filmée d’elle en live passe en noir et blanc. Entre passé et présent, mémoire et situation actuelle, la jonction s’est faite, la liaison s’est rétablie...
Un fil rouge le long de la vie des femmes
Viviane s’inscrit dans le projet de Mélanie Leray de créer une série de Portraits de femmes, dont le premier, Girls and Boys de Denis Kelly, fut présenté au Théâtre du Rond-Point en 2019. Le spectacle (voir notre article en suivant le lien http://www.arts-chipels.fr/2022/01/girls-and-boys.chronique-d-une-descente-aux-enfers.html) abordait la lente et terrible dégradation de la vie d’un couple, conduisant à une issue tragique. Là encore, le récit était porté par une femme. Elle voulait être une « bonne mère », mais ses repères avaient vacillé et sa vie avait basculé dans la déprime et la folie. En montrant des femmes en rupture, Mélanie Leray nous plonge dans la charge mentale des femmes d’aujourd’hui. Elle nous rappelle que la frontière entre santé mentale et maladie est poreuse et fragile et que les circonstances de la vie peuvent nous faire basculer. En choisissant des portraits féminins, elle nous ramène là où plongent les racines du mal-être, dans les attendus de la société à l’égard des femmes, qui considèrent que la maternité se doit d’être merveilleuse et la femme comblée, et que tout passage à vide professionnel ne peut ressortir qu'à la responsabilité individuelle et, de ce fait, être intolérable et proscrit. Mais la vie des femmes d'aujourd'hui n’est pas une image d’Épinal et la réalité s'apparente davantage à celle d'une machine enrayée… c'est ce que ce beau drame intime vient remettre en mémoire.
Viviane
S Mise en scène et réalisation Mélanie Leray S D’après le roman de Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauvel (Éd. de Minuit) S Adaptation Mélanie Leray avec la participation de Claire Ingrid Cottanceau et Marie-Pomme Carteret S Avec Marie Denarnaud et à l’image Christian Colin, Muriel Combeau, Hafsia Herzi, Elina Löwensohn, Marcel Mankita, Philippe Marteau, Céline Martin-Sisteron, Anaïs Muller, Ronan Rouanet, Airy Routier, Jean-Philippe Vidal et le bébé, Aénor Marie Creissels S Éclairagiste François Menou S Régisseur général et lumière François Rault S Conception et régie vidéo Cyrille Leclercq S Cadreuse Clémence Lesné / Lara Laigneau (à partir de septembre 2021) S Conception et régie son Jérôme Leray S Musique originale Yann Crépin S Assistante à la mise en scène Lorraine Kerlo Auregan S Scénographie Vlad Turco, Alain Burkarth, Mélanie Leray S Construction Alain Burkarth S Costumes Laure Maheo S Sculpture Romain de Souza S Régisseurs résidences Joël L’Hopitalier, Sylvain Marchal et Tugdual Tremel S Le film Montage images et son Marie-Pomme Carteret | Chef Opérateur Kristy Baboul | Chef décorateur Vlad Turco | Son design Jérôme Leray | Mixage Frédéric Hamelin | Costumes Laure Maheo et Danila Fatovich | Coiffure Jimmy Springard | Casting Sarah Teper | Assistantes à la réalisation Charlotte Villard (Paris), Clémence Dirmeikis (Rennes) | Scripte Aurélie Bidault | Cadreurs Nicolas Ruffault (Paris), Mathilde Nury et Clémence Lesné (Rennes) | Ingénieur du son Mathieu Burgess | Assistante à la décoration Natalia Grabundzija, Stagiaires Marie-Cassandre Segura et Marie Saillard | Construction du décor Yann Chollet | Régisseur général Blaise Denarnaud (Paris), Joël L’Hopitalier (Rennes) | Assistante aux costumes Lucie Germon | Synchronisation Maxime Moriceau | Étalonnage Baptiste Leroy Administration, Production Martin Lorenté / Cyclorama Assistants à la production Claire Macchi, Andrew Huart S Production Compagnie 2052 S Coproduction MC2 Grenoble ; Le Canal - Théâtre du Pays de Redon, scène conventionnée pour le théâtre ; MCB Scène nationale de Bourges ; La Halle aux Grains – Scène Nationale de Blois ; La Comédie de Caen – CDN de Normandie ; L’Archipel – Pôle d’action culturelle Fouesnant-les Glénan ; La Maison du Théâtre – Brest ; CPPC – Théâtre L’Aire Libre ; Printemps des Comédiens – Montpellier S Avec le soutien de l’État - préfet de la Région Bretagne - DRAC Bretagne ; de la Région Bretagne ; de la Ville de Rennes ; du Festival d’Anjou - Prix Jean-Claude BRIALY - STREGO 2019 S Création le 10 mars 2020 à l’Archipel - Pôle d’action culturelle Fouesnant-les Glénans
Du 30 mars au 9 avril 2022 à 19h30
Le Monfort – 106, rue Brancion, 75015 Paris
www.lemontfort.fr Tél. 01 56 08 33 88
TOURNÉE (PREMIÈRES DATES)
22 & 23 novembre 2022 – Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines