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Arts-chipels.fr

Girls and Boys. Chronique d’une descente aux enfers.

Girls and Boys. Chronique d’une descente aux enfers.

Une langue forte telle qu’on la parle ou presque, une comédienne seule en scène directement confrontée au public et une histoire qu’on pourrait croire tout droit sortie d’un fait divers pour feuille de chou avide de sensationnel… tel est le plat sans complaisance et puissamment épicé que nous propose Denis Kelly.

Une scène vide seulement meublée d’une rangée de chaises. Au fond, un long mur métallisé. Un décor neutre, impersonnel, comme on peut en trouver dans des endroits publics et fonctionnels. Des rangées de sièges ont été disposés pour le public très près de la scène. Et justement, la comédienne qui s’avance se place devant la scène, presque sur les pieds des spectateurs. Ils sont les destinataires de son histoire, celle qui va se dérouler sur cet espace nu, derrière elle. L’humour ravageur, avec la volonté d’appeler un chat un chat, elle dit ses projets inaboutis, ses espoirs déçus, son désert amoureux, sa déglingue mentale. Une vie de merde, qu’elle fuit vers une destination de merde, dans un aéroport sans âme où les avions sont bien sûr en retard et où les queues s’allongent inexorablement dans un climat de tension croissante.

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

De la comédie à la tragédie

C’est alors que se produit le miracle, la rencontre qui vous soulève de terre et vous entraîne vers des contrées où le ciel est toujours bleu, où il suffit de vouloir pour pouvoir, où le monde s’ouvre telle une immense corolle où butiner au gré de ses désirs. Il est trop beau, tout est trop beau et la voie est ouverte à tous les devenirs, professionnels et personnels. Alors ils se marient et ont – pas beaucoup mais deux – enfants. Nous voici projetés dans un appartement dont les pièces se dévoilent au gré du coulissement du panneau du fond. Les enfants courent, hurlent de manière muette, se font des crasses. Elle leur parle, tente de les calmer. Elle veut être une « bonne » mère. Mais le temps passe, l’amour se ternit, l’indifférence survient, avec peut-être quelque chose d’indéfinissable en plus. Le doute s’installe, et avec lui la suspicion. Et les enfants au milieu. La dégradation de leur relation s’achemine irrémédiablement vers une conclusion qui s’avèrera tragique…

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Une gradation du jeu

L’entièreté du spectacle repose sur les épaules de Bénédicte Cerruti. C’est elle qui raconte, elle qui répond aux enfants inexistants dont on comprendra à la fin l’absence, elle qui pose sur elle-même et sur les autres ce regard sans complaisance et teinté d’humour noir qui traverse la pièce. Elle aussi qui assume la gradation progressive qui mène de la comédie à l’eau de rose – vécue dans la crudité du langage de la rue d’aujourd’hui – à une descente progressive, implacable et inéluctable vers l’horreur nue qui met un terme à l’histoire. Proche du public au démarrage du spectacle, le personnage s’enfonce de plus en plus vers les profondeurs de la scène, comme s’il rentrait en lui-même et que la boîte théâtrale se refermait sur lui. De la légèreté distanciée du début, on passe au drame vécu de l’intérieur où le personnage traite en sursauts successifs de changements de tons les déprimes-réactions qui en découlent.

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Si le spectacle de cette descente aux enfers donne un petit sentiment de longueur vers la fin, il n’en est pas moins magistralement mené vers l’anticlimax final. La force de la langue brute, débarrassée des affèteries de l’écrit, de Dennis Kelly claque comme une provocation, un refus de se conformer, une forme de résistance au monde policé, encadré, ratiboisé que nous propose la société. Ce verbe incandescent en révèle sans fioriture la violence masquée. Il est le politiquement correct, l’expression pure, d’une société politiquement incorrecte sous ses dehors trop propres…

© Victor Tonelli

© Victor Tonelli

Girls and Boys. Texte Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine (L'Arche, éditeur et agence théâtrale)

S Mise en scène Chloé Dabert S Avec Bénédicte Cerutti S Scénographie et création vidéo Pierre Nouvel S Création lumière Nicolas Marie S Création sonore Lucas Lelièvre S Création costumes Marie La Rocca S Régie générale Arno Seghiri S Assistanat à la mise en scène Matthieu Heydon S Spectacle créé en mars 2020 à la Comédie – Centre dramatique national de -Reims ! S Production la Comédie – Centre dramatique national de Reims S Avec le soutien du Centquatre – Paris, construction décors Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France S Durée 1h30

Du 6 au 23 décembre 2022 , mar., mer., ven. à 20h, jeu. 19h, sam. 16h

Théâtre 14  – 20, avenue Marc Sangnier, 75014 Paris

Rés. 01 45 45 49 77 www.theatre14.fr

 

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