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Arts-chipels.fr

Giselle… Un ballet très en pointe, mais sans pointes ni tralala.

© Dorothée Thébert Filliger

© Dorothée Thébert Filliger

François Gremaud, dont on connaît l’humour taquin en matière de culture, a choisi de s’intéresser aux « monuments » que représentent Phèdre de Racine et Giselle, le ballet emblématique du romantisme. Une mise à nu très contemporaine qui en dit long sur notre héritage.

Il est de certaines œuvres qu’on peut considérer comme un modèle indépassable. C’est le cas, pour la tragédie, de Phèdre, l’une des plus belles œuvres du répertoire français sur la passion amoureuse. Jean Racine la dédie, comme nombre de ses plus belles pages, à Mademoiselle de Champmeslé dont il fut l’amant. Plus d’un siècle et demi plus tard, un autre passionné, Théophile Gautier, imagine un argument pour la femme qu’il aime et dont il restera toujours proche : la danseuse Carlotta Grisi. Il collabore au livret de Giselle. L’archétype du ballet romantique est né. Dans les deux cas, l’amour a engendré des chefs d’œuvre.

© Dorothée Thébert Filliger

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Giselle... et les points de suspension de François Gremaud

Lorsque la scène s’éclaire, point de maison paysanne ou de forêt ombreuse, mais un plateau nu sur lequel s’installent en fond de scène quatre instrumentistes qui offrent un assemblage pour le moins insolite : une flûte, un violon, une harpe et un saxophone… La musique célèbre d’Adolphe Adam est devenue citation. Au premier plan, un espace rectangulaire blanc, au sol,  délimite l’espace du ballet. Son occupante, la danseuse et chorégraphe Samantha Van Wissen, arpentait, depuis le début, la scène en baskets. Elle sera la narratrice de l'histoire et son fil conducteur, et endossera au fil de l’évocation le rôle des différents personnages du ballet. Les points de suspension de François Gremaud sont dans cet entre-deux entre Giselle et son commentaire, entre l’histoire du ballet – et l’histoire racontée par le ballet – et son interprétation contemporaine.

© Dorothée Thébert Filliger

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Une œuvre emblématique

La danseuse sera notre guide, la passerelle qui relie entre elles toutes les thématiques. Elle nous ramène longtemps en arrière – au temps de Racine, justement – où un jeune roi, passionné d’art et de danse – il n’est pas encore le « Roi-Soleil » mais il le deviendra – encourage la création du ballet en tant que spectacle. Petit coup de chapeau à Jean-Baptiste (Poquelin dit Molière) avant de s’élever, dans un envol gracieux et éthéré, vers les cieux. Le ballet romantique a fait son apparition. Ses codes seront établis, et magnifiés, par le chorégraphe Jules Perrot – en passant, amant de Carlotta Grisi – et le maître de ballet Jean Coralli, et musicalement traduits par Adolphe Adam, qui signe une œuvre remarquable. L’argument est dans le droit fil de l’esprit romantique. Des amours évidemment contrariées entre jeunes gens de condition différente, la mort de la ballerine et sa résurrection sous la forme d’un willi, un esprit maléfique et vengeur, un spectre qui rejoint ceux des jeunes filles défuntes qui entraînent les hommes dans une danse à perte de souffle jusqu’à ce que mort s’ensuive en sont les ingrédients naturels. Mais il fallait que l’amour surnage et que les amants se rejoignent, fût-ce dans la mort. Ajoutez un fort sentiment de la nature, badigeonnez de noir et de nuit et vous obtenez la synthèse parfaite. Quant à Théophile Gautier, le voilà totalement investi pour les beaux pieds de cette ballerine qui « rase le sol sans le toucher. On dirait une feuille de rose que la brise promène ». La messe est dite.

© Dorothée Thébert Filliger

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Giselle, quelle Giselle ?

Notre danseuse-conteuse ne tient pas en place Elle arpente la scène, commente le commentaire, esquisse des pas de danse, passe de cour, où se trouve justement la demeure du prince déguisé en paysan, à jardin où se trouve l’humble chaumière de Giselle. Paysans et chasseurs entrent et sortent, les spectres « en trois rangées de quatre » s’avancent de chaque côté, on fait émerger l’épée révélatrice au grand jour. Il y a les pour et les contre, tout un petit peuple qui se presse, la reine des willis qui refuse toute grâce – pas de ça, Lisette ! Elle (Samantha) ne se contente pas de les introduire, elle nous dit comme elle – ou/et François Gremaud – les voient. À une vision univoque du ballet, elle substitue une approche équivoque, toute en points de vue. L’humour est là, mais il ne ridiculise pas l’œuvre, il la sublime comme l’on fait pour ceux qu’on aime bien, pour qui on éprouve de la tendresse, voire de l’admiration.

© Dorothée Thébert Filliger

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Giselle, une relecture dansée

Samantha Van Wissen n’oublie jamais qu’elle est danseuse. Elle grimpe sur ses pointes dépourvues de chaussons, esquisse une arabesque, nous introduit au sein de ce monde tout en sauts et en pas dont le glossaire est à soi seul tout un programme. Dans le traditionnel tutu dont le voile aérien escortera les noces, entrechats, fouettés, jetés, piqués, développés, en-dedans accompagneront les sauts de biche, de chat ou de l’ange. Les gestes sont là, mais en amorce, en tracé saisi sur le vif, en esquisse de ce que serait la gestuelle classique. Mais tout aussitôt la danseuse les casse, les distord, les reprend, les interprète dans un déhanchement volontairement burlesque, une torsion intempestive des épaules, une élévation qui tourne court, un mouvement de travers qui viennent contredire la rigueur des positions et la verticalité ascensionnelle qui forment les règles imprescriptibles de la danse classique. C’est un véritable régal de la voir citer, révéler ce qui est à l’œuvre dans la danse classique et en marquer les limites, en dénoncer le fonctionnement.

Et quand vient la fin de l’histoire, qu’on a pris toute la mesure du drame de Giselle et qu’on a refermé la suite des variations que sont les commentaires de l’œuvre, ne reste plus à clore qu’une boîte : celle du théâtre. Il est la matrice première dans laquelle tous les développements sont inclus, le cadre dans lequel l’action s’achève, nécessairement, par le salut final… et les applaudissements d’un public conquis.

© Dorothée Thébert Filliger

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Giselle…

S Texte François Gremaud d’après Théophile Gautier & Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges S Concept & mise en scène François Gremaud S Assistante à la mise en scène Wanda Bernasconi S Musique Luca Antignani d’après Adolphe Adam S Chorégraphie Samantha Van Wissen d’après Jean Coralli & Jules Perrot S Son Bart Aga S Avec Samantha Van Wissen & les musiciennes Léa Al-Saghir (violon), Tjasha Gafner (harpe), Héléna Macherel (flûte), Sara Zazo Romero (saxophone) S Durée 1h50 S Production 2b company. S Production de la tournée francilienne Festival d’Automne à Paris S Coproduction Théâtre de Vidy-Lausanne – Théâtre Saint- Gervais, Genève – Bonlieu, scène nationale Annecy – Malraux, scène nationale Chambéry Savoie dans le cadre du projet PEPS- Plateforme européenne de production scénique – Théâtre de la Ville-Paris – Festival d’Automne à Paris. Soutenu par le programme PEPS de coopération territoriale européenne INTERREG V. S La 2b company est au bénéfice d’une convention de soutien conjoint de la Ville de Lausanne et du Canton de Vaud. S Avec le soutien de Loterie Romande – Pro Helvetia, Fondation suisse pour la culture – Ernst Göhner Stiftung – Fondation Leenaards – Pour-cent culturel Migros Vaud, Fondation Suisse des artistes interprètes. S Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris – Festival d’Automne à Paris.

Tournée

10 mai 2024 à 20h Metz, Opéra-Théâtre, dans le cadre du Festival Passages Transfestival

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