15 Avril 2024
Cette inventive forme de théâtre de récit plonge ses racines dans les traditions togolaises pour aborder le thème de la séparation et du deuil.
Akouété et Akouélé sont frère et sœur. Jumeaux, ils sont presque considérés comme des demi-dieux dans le petit village d’Afrique où ils vivent. La légende veut que des jumeaux ne puissent être séparés sans que la mort de l’un entraîne la mort de l’autre. Le seul moyen de contrer cette malédiction et de préserver celui qui reste est de fabriquer une statue qui soit à l’effigie du mort, le venavi. Mais le jour où Akouété, le garçon, décède, au lieu de créer son icône de bois pour accompagner Akouélé, les adultes du village prétendent que le garçonnet est parti dans la forêt voisine et qu'il va revenir. Alors sa sœur s’installe face à la forêt pour l’attendre…
Le deuil impossible
Rien ne peut la dissuader de quitter cette lisière où son frère doit apparaître. Mais ce n’est pas seulement son attente obstinée qui désarçonne les villageois. C’est que les années passent et que la petite fille demeure telle qu’elle était au moment du départ de son frère, coincée dans une enfance que ses souvenirs ont figée. L’attente a suspendu le temps, elle ne peut plus évoluer tandis que passent jours, semaines, mois et années. Cette histoire, c’est le fantôme invisible du petit garçon qui la raconte. Parce qu’il sait bien, lui, ce qui s’est passé et ce qu’il faudrait faire pour qu’enfin la petite fille recommence à vivre : lui permettre de faire son deuil.
Renouer avec l’art du conteur
Point ici de décor exotique, d’accessoire folklorique, de forêt luxuriante. Simplement des caisses de bois – seule référence au cadre du récit – de forme trapézoïdale, ouvertes sur une face qui, emboîtées les unes dans les autres, forment un volume compact. Allongé, il figure le banc ou le tronc sur lequel la fillette s’assoit pour attendre. Divisé en une multitude d’autres qui en sont sortis, il renvoie à la forêt de troncs qui lui fait face. Il suffira de retourner l’un de ces blocs pour voir apparaître les deux yeux du personnage de la maîtresse, qui s’étonne de ne pouvoir faire avancer la petite fille dans ses études, et d’une paire de chaussures à talons sortis du tronc comme d’un chapeau de magicien pour représenter la mère de la petite. Théâtre d’objets minimaliste, la pièce est aussi théâtre de récit où la seule présence du conteur crée la dynamique. Le jeune comédien qui incarne Akouété – et avec lui tous les personnages – est à son affaire dans ce one-man show malicieux et plein d’humour qui traite de choses graves.
La mort occultée
Il lui faut pas mal de finesse pour arriver à présenter un événement aussi tragique que la mort, pour la petite fille, de son alter ego sans que la sensibilité des jeunes spectateurs s’en trouve perturbée. Le doux fantôme qui hante les lieux dans la pièce en atténue l’impact et avec lui l’omniprésence du jeu, du faire semblant qui traverse tout le spectacle. Quant au remède, qui est l’acceptation du deuil, il viendra, pour la petite fille, du venavi qu’en désespoir de cause le père sculptera, comme une renonciation à l’occultation de la disparition du petit garçon. Alors la fillette, libérée du mensonge, récupérera son intégrité gémellaire et pourra affronter la réalité du décès de son frère. Elle grandira en accéléré pour se transformer en belle jeune fille, après avoir traversé toutes les épreuves dont celle d’affronter la forêt pour, d’une certaine manière, renaître à la vie. Parabole et métaphore poétique sur la mort, parfaitement huilé, Venavi est aussi un conte initiatique où se construit la vie.
Venavi (ou pourquoi ma sœur ne va pas bien) de Rodrigue Norman
S Adaptation Catherine Verlaguet S Mise en scène Olivier Letellier S Avec Alexandre Prince S Scénographie Sarah Lefèvre S Création lumières, son et régie générale Sébastien Revel S Régie de tournée en alternance Jean-Philippe Boinot et Laurent Labarrère S Production Théâtre de Sartrouville et des Yvelines–CDN Un spectacle Odyssées en Yvelines-édition 2011, biennale de création théâtrale tout public, conçue par le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-CDN en collaboration avec le Conseil général des Yvelines S Production déléguée Le Théâtre du Phare, puis les Tréteaux de France - Centre dramatique national itinérant S Avec le soutien de la ville d’Andrésy S Cette œuvre a bénéficié de l’aide à la production et à la diffusion du Fonds SACD–Théâtre, de l’aide à l’écriture de l’association Beaumarchais–SACD et de l’aide de l’Organisation internationale de la francophonie S Théâtre de récit S Création 2011 S Tout public à partir de 7 ans S Durée 45 min
Une large tournée a déjà eu lieu. Tournée à venir en attente pour 2024-2025.